«JAMAIS NOUS N’AURIONS pensé que la place des usagers dans le système de santé aurait l’ampleur qu’elle a aujourd’hui.»
A l’ouverture des premières Journées nationales du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss, regroupant 24 associations de patients, de consommateurs et de handicapés), son président d’honneur Pierre Lascoumes a pu mesurer le chemin parcouru depuis les premiers pas du Ciss il y a dix ans (« le Quotidien » du 9 novembre). Une ordonnance Juppé de 1996 a d’abord fait entrer les usagers dans les conseils d’administration des hôpitaux. Ensuite, la loi Kouchner de 2002 sur les droits des malades, élaborée en concertation avec le Ciss (qui «a obtenu l’accès direct au dossier médical»), a constitué un tournant majeur. Puis la loi Douste-Blazy du 13 août 2004 a permis aux usagers de siéger dans les conseils des caisses d’assurance-maladie, quoique «le tapis de la décision ait été retiré sous leurs pieds», a souligné Christian Saout, vice-président du Ciss et président d’Aides.
« Vilain petit canard ».
Les premiers témoignages des représentants des usagers au sein des différentes instances furent plutôt mitigés. A la Commission régionale de conciliation et d’indemnisation (Crci) d’Ile-de-France, «les choses se sont décantées petit à petit et l’entente est bonne» entre les différentes parties, a affirmé Marie-Solange Julia, présidente de l’Association d’aide aux victimes d’accidents médicaux (Aviam). «Disposer d’un fauteuil, c’est une victoire (...). A nous de travailler pour avoir une voix réelle dans les commissions et devenir un vrai partenaire; ça c’est plus difficile», a nuancé Françoise Tissot, de l’Alliance maladies rares, membre du conseil d’administration du CHU de Bordeaux et du bureau de la Conférence régionale de santé (CRS) d’Aquitaine. «On nous dit: “Ah mais vous n’êtes pas médecin? Vous n’êtes pas de l’administration?” On n’est pas grand chose effectivement: l’administration (du CHU) gère, les médecins soignent, tandis que l’usager est le vilain petit canard qui gêne, et jette un pavé dans la mare!»
Bernadette Devictor, présidente de la CRS et du Ciss en région Rhône-Alpes, se heurte aux mêmes réticences : «Le fait que les usagers gagnent des présidences fait grincer des dents chez les professionnels de santé et les élus locaux parce que l’on marche sur leurs plates-bandes.» L’exercice de ces nouvelles fonctions a réservé en tout cas quelques surprises aux quelque 10 000 usagers acteurs de la démocratie sanitaire. «Croyez-vous que la CRS a un tableau de bord des actions de santé publique dans la région? Pas du tout. La prise de décision en matière de santé publique est un peu éclairée, mais pas totalement», a déploré la présidente de la Conférence rhône-alpine.
Didier Tabuteau, directeur général de la fondation Caisses d’épargne pour la solidarité, a présenté pour sa part les «grands enjeux aujourd’hui» pour le mouvement des usagers. Celui qui fut, avenue de Ségur, la cheville ouvrière de la loi du 4 mars 2002 (en tant que proche collaborateur des ministres Bernard Kouchner et Martine Aubry) estime que le Ciss doit «avoir la capacité d’institutionnaliser le mouvement», grâce à «une présence sur l’ensemble du territoire» et dans un maximum d’instances. D’autres défis attendent le mouvement de représentation des patients : «Casser la dichotomie entre assurance-maladie et santé publique», anticiper le débat sur les «arbitrages à faire entre liberté et sécurité en matière de santé» (contraintes en cas de crise sanitaire, choix d’un médecin traitant), et opérer «le virage de la médiatisation».
Selon Didier Tabuteau, le Ciss devrait enfin participer à la constitution d’un «mouvement des usagers des systèmes de santé européens» puisque «l’Europe de la santé est en train de se constituer.» Pour Nicolas Brun, cofondateur du Ciss et chargé de mission santé de l’Union nationale des associations familiales (Unaf), une telle perspective donne «du travail [au Ciss] pendant vingt ou trente ans».
A plus court terme, les Journées du Collectif ont permis d’esquisser les grandes lignes de sa plate-forme de revendications avant les échéances électorales de 2007. Le président du Ciss, Jean-Luc Bernard, a défendu la vision d’un «secteur de santé créateur de richesses et d’emplois», et mis en avant la nécessité d’une «stratégie de prévention», qui suppose «une formation différente du corps médical». Il a souligné également la distorsion entre les nouvelles responsabilités des associations d’usagers et leurs «moyens très réduits», pour les indemnisations et les frais de déplacement, ainsi que les nombreuses «inégalités d’accès aux soins» sous toutes leurs formes (discrimination de certaines populations, déséquilibres territoriaux, assurés sans mutuelle, refus de soins).
En conclusion, le ministre de la Santé et des Solidarités a assuré que «le pli est pris» en matière de prévention, citant plusieurs mesures récentes (contre le tabac ou l’ostéoporose).
Par ailleurs, le ministre a promis l’agrément de neuf associations d’usagers «dans les prochains jours» (ce qui portera à vingt-trois le nombre d’associations agréées depuis le décret du 1er avril 2005). Enfin, Xavier Bertrand «s’est engagé» à financer à hauteur de «30000euros» le fonctionnement de chaque Ciss régional, en plus des 900 000 euros déjà attribués par l’Etat au Ciss en 2007.
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