La capsule endoscopique

Une nouvelle technique d'exploration du grêle

Publié le 18/05/2005
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Par le Pr RAYMOND JIAN*

LA CAPSULE endoscopique (CE) rassemble dans une gélule (26 x 11 mm) un système optique, une puce vidéo CMOS, une source lumineuse, un système de transmission d'images et deux piles qui lui confèrent une autonomie d'environ huit heures ( cf. figure). Facilement ingérée par le patient, la capsule est propulsée par le péristaltisme digestif et enregistre deux images par seconde pendant son trajet. Les images télétransmises sont recueillies par des électrodes placées sur la paroi abdominale et stockées sur un disque dur portatif. Elles sont ensuite transférées sur un micro-ordinateur standard pour être visualisées et interprétées à l'aide d'un logiciel spécifique.
Plus besoin d'anesthésie, de jeûne prolongé, d'hospitalisation, et pas de risque infectieux (la capsule éliminée dans les selles est à usage unique). Seule une préparation par 2 l d'une solution de PEG (polyéthylèneglycol) est recommandée. La qualité des images est bonne dans la majorité des cas avec, peut-être, un peu plus de difficultés pour le grêle distal.

Faisabilité excellente.
La faisabilité de l'exploration est excellente, avec moins de 10 % d'échecs, le plus souvent partiels. Le prix d'une capsule, environ 600 euros, confère à cette technique un avantage économique franc par rapport à son compétiteur direct, l'entéroscopie poussée. Le seul risque de cette exploration est le blocage de la capsule dans un diverticule ou en amont d'une sténose digestive qui représente la seule contre-indication de cette technique.
On comprend l'intérêt qu'a suscité la CE, approuvée par la FDA moins d'un an après son lancement et totalisant à ce jour près de 200 000 explorations. Il convient toutefois de bien comprendre les limites de cette technique :
- elle n'explore de façon fiable que l'intestin grêle ;
- elle ne doit être envisagée qu'en deuxième intention après les explorations endoscopiques classiques (gastroscopie et coloscopie) ;
- elle s'adresse à des affections relativement rares et ne doit être envisagée que dans des indications parfaitement validées ;
- son interprétation nécessite une solide expérience et la signification clinique des lésions individualisées n'est pas univoque.

La première étude randomisée.
L'indication la mieux étayée de la CE concerne les saignements digestifs inexpliqués par l'endoscopie classique (gastroscopie et coloscopie), qu'ils s'expriment par une hémorragie digestive extériorisée ou par une anémie ferriprive. La CE a, dans cette indication, un rendement diagnostique nettement supérieur à celui de la radiologie, de l'entéroscopie poussée, et un rendement voisin de celui de l'entéroscopie peropératoire.
Nous avons conduit la première étude randomisée comparant une stratégie de prise en charge des saignements digestifs inexpliqués par CE et par entéroscopie poussée et démontré la supériorité de la CE en termes de diagnostics formels (51 % vs 24 %), d'explorations alternes évitées (76 % vs 22 %) et d'impact thérapeutique (32 % vs 13 %). Ainsi, la CE apparaît comme l'exploration de première intention dans cette indication, mais ne dispense pas d'un abord préalable le plus rigoureux possible visant à déceler des causes gynécologiques, proctologiques, iatrogènes et toute lésion accessible à l'endoscopie classique.
L'intérêt de la CE dans le diagnostic des lésions induites par les AINS concerne surtout les travaux de recherche clinique. En pratique clinique, l'arrêt du traitement ou la prescription d'anti-inflammatoires moins entérotoxiques suffit le plus souvent.
L'intérêt de la CE dans les polyposes (polypose adénomateuse familiale et polyposes hamartomateuses) est également étayé par plusieurs études. Il concerne le dépistage des tumeurs de l'intestin grêle qui compliquent l'évolution de ces affections.

Dans les MICI.
Une autre indication concerne les maladies inflammatoires de l'intestin. La CE est nettement supérieure aux techniques radiologiques pour mettre en évidence des lésions superficielles de l'intestin grêle dans des zones non accessibles à la coloscopie avec iléoscopie et à la gastroscopie. Cependant, l'impact clinique de cette technique concerne des sous-groupes très particuliers de patients. Il s'agit de cas exceptionnels où la maladie de Crohn est fortement suspectée (signes cliniques évocateurs associés à un syndrome inflammatoire), mais ne peut être étayée par les explorations classiques.
Une autre indication, potentiellement plus fréquente, concerne le « bilan d'extension » d'une maladie inflammatoire chronique intestinale connue. Cependant, aucune étude ne permet, pour le moment, d'identifier les sous-groupes de patients pouvant tirer un bénéfice thérapeutique indéniable de cette stratégie et l'expérience clinique montre que le dépistage de lésions minimes, échappant aux investigations conventionnelles, n'améliore que rarement la prise en charge de cette affection. Enfin, le caractère sténosant des lésions de la maladie de Crohn expose à un risque non négligeable de blocage de la capsule.
La CE a également un intérêt diagnostique dans d'autres entéropathies, avec ou sans syndrome de malabsorption, non élucidées par les explorations classiques. Son rôle dans la maladie coeliaque est marginal car les lésions prédominent toujours dans le duodénum et sont donc accessibles à l'endoscopie classique. Quant aux exceptionnelles formes compliquées, le recours à l'entéroscopie semble préférable du fait de l'absolue nécessité de pratiquer des biopsies pour ne pas méconnaître un lymphome ou un état prélymphomateux.

Conclusion et perspectives.
Cette technique a d'ores et déjà révolutionné la gastroentérologie en ouvrant la voie à une endoscopie « sans tube », débarrassée de toutes ses contraintes. D'autres développements sont attendus dans les prochaines années. Les premiers concernent l'extension du champ d'investigation de la CE, qui reste pour le moment limité à l'intestin grêle, et donc à des situations cliniques peu fréquentes. Dès à présent, une nouvelle capsule (Pillcam ESO) permet d'explorer de façon fiable l'œsophage. Cependant, la CE aura du mal à s'imposer face à l'endoscopie de dépistage (nasogastroscopie sans anesthésie) dans cette indication. L'exploration capsulaire du côlon est un enjeu d'une tout autre dimension, mais l'affaire est techniquement beaucoup plus complexe.
Le deuxième axe de développement concerne la possibilité de réaliser des gestes diagnostiques, voire thérapeutiques, avec une capsule. Cette perspective peut paraître inatteignable, mais qui aurait pu prévoir que le roman d'anticipation d'Isaac Asimov qui présentait une technologie permettant un fantastique voyage à l'intérieur du corps humain deviendrait si vite réalité !

* Hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.

JIAN Raymond

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7752