Ça y est, la loi dite de bioéthique a été adoptée par l’Assemblée nationale le 29 juin 2021 et promulguée le 2 août 2021 (publication au JO le 3 août) ! Ses décrets d’applications se sont encore fait attendre, jusqu’au 31 décembre 2021 pour les derniers.
Certes, la pandémie est passée par là et a tout ralenti, mais rappelons que la première version du projet de loi avait été présentée en conseil des ministres le 24 juillet 2019 et adoptée par l’Assemblée à l’automne 2019. L’allongement des délais s’explique surtout par les navettes entre l’Assemblée nationale et le Sénat qui, faute d’accord, ont conduit à une adoption en troisième lecture à l’Assemblée. Enfin, une saisine du Conseil constitutionnel par 80 députés a encore retardé la promulgation. Après cette gestation si longue et difficile, petit à petit, la loi commence à s’appliquer.
Une demande soutenue d’accès à l’AMP
La mesure phare, celle qui a presque masqué tous les autres points : l’accès l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour toutes les femmes, en couple ou seules (dénommées dans la loi « femmes non mariées »). C’est acté, toutes ces femmes peuvent désormais être prises en charge.
En pratique, dès la rentrée 2021, elles ont consulté leur gynécologue, les centres d’AMP ou encore parfois directement les banques de sperme (en France, seuls les 31 centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains [Cecos], sont autorisés à cette activité). Les professionnels ont réalisé le bilan pour déterminer si une simple insémination avec sperme de donneur suffisait, ou s’il fallait recourir directement à la fécondation in vitro (FIV) ; ensuite, ces femmes ont été adressées au Cecos le plus proche pour obtenir les précieuses paillettes. En Île de France, les premières patientes, adressées à l’automne aux Cecos, devraient pouvoir recevoir leur don dès cet été ou cet automne.
Avant la loi, lorsque nous adressions nos couples hétérosexuels aux Cecos, le délai moyen d’attente pour obtenir des paillettes était d’un an, voire 18 mois selon les régions. L’agence de biomédecine (ABM) avait estimé que l’ouverture aux couples de femmes ou aux femmes seules allait entraîner 2 000 demandes supplémentaires. En réalité, elle vient d’annoncer que, au 31 décembre 2021, 6 700 nouvelles demandes de sperme de donneur avaient été enregistrées.
On devine que nombre de femmes, notamment les plus âgées, pour ne pas attendre et perdre des chances de grossesse, continuent à prendre le Thalys pour bénéficier d’une insémination en Belgique, avec du sperme qui provient bien souvent des banques danoises ! Dans ces banques, les donneurs sont rémunérés, ce qui reste interdit en France… mais ils sont très nombreux.
Des limites d’âge
Autre nouveauté, des décrets parus le 28 septembre ont défini les limites d’âge pour pouvoir accéder à la FIV. La ponction ovocytaire doit être réalisée avant le 43e anniversaire de la femme et le 60e anniversaire du conjoint ou de la conjointe. Le transfert d’embryon congelé, le don d’ovocyte, la reprise d’ovocytes autoconservés ou l’insémination peuvent quant à eux se faire jusqu’au 45e anniversaire de la femme, avec les mêmes limites de 60 ans pour le ou la partenaire.
Cette différence de limite d’âge entre FIV et insémination est incompréhensible pour les professionnels. Si les ponctions d’ovocytes en vue de FIV (avec ou sans injection intracytoplasmique de spermatozoïde [ICSI]), ne sont autorisées que jusqu’au 43e anniversaire de la femme, c’est parce que les résultats sont trop mauvais au-delà, les ovocytes devenant de plus en plus chromosomiquement anormaux avec l’âge. Le problème est que les résultats des inséminations sont eux aussi catastrophiques après 40 ans ! On a l’impression que l’on a cédé aux pressions des couples de femmes et des femmes célibataires les plus âgées, sans tenir compte de la dégradation, inéluctable avec l’âge, des résultats de tous les traitements. Nombre de professionnels affirment qu’ils ne feront pas d’inséminations après 43 ans. Il faut proposer à ces femmes le recours au double don, ovocytes et spermatozoïdes, pour qu’elles aient de réelles chances d’obtenir une grossesse.
La levée de l’anonymat des dons de gamètes
Autre révolution très attendue dans cette loi, la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes. À l’heure des tests génétiques, il était illusoire de vouloir à tout prix conserver l’anonymat. Toute personne conçue par AMP avec tiers donneur peut désormais, si elle le souhaite, accéder à sa majorité à l’identité et aux données non identifiantes du tiers donneur. À partir de septembre 2022, seules les personnes qui consentent à la communication de ces données et de leur identité pourront procéder à un don de gamète ou d’embryon.
Mais combien de donneurs de sperme ou donneuses d’ovocyte vont accepter ces conditions ? Sans parler du don d’embryon, qui va probablement cesser ! Il est déjà très difficile (et pourtant très généreux) pour les couples qui ont eu leurs enfants avec notre aide, de donner le ou les embryons congelés restants à un autre couple infertile ; s’ils savent que l’enfant pourra venir les voir un jour, et leur reprocher de ne pas lui avoir donné la même vie qu’à ses frères et sœurs biologiques, comment pourront-ils encore céder leurs embryons ? Jouer à « La vie est un long fleuve tranquille » et à l’échange d’enfants entre les familles Groseille et Le Quesnoy* risque fort de ne pas tenter ces couples.
Les données relatives aux tiers donneurs et aux personnes nées de ces dons, ainsi que l’identité des receveurs, seront conservées dans un registre par l’ABM. La personne qui, à sa majorité, sait (ou croit savoir) qu’elle est issue d’un don pourra contacter une commission qui se tournera vers celle-ci… Tout cela entrant en vigueur un an après la promulgation de la loi, soit en septembre 2022.
Ce qui n’a pas été accordé
Nous regrettons que la loi ait refusé d’ouvrir le diagnostic préimplantatoire (DPI) aux femmes de plus de 38 ans, ce qui éviterait de multiples transferts inutiles d’embryons chromosomiquement anormaux, voués à l’échec.
La grossesse pour autrui (GPA) reste exclue. La réception des ovocytes de la partenaire (Ropa) aussi. C’est pourtant une jolie solution pour les couples de femmes, qui consiste à ce que l’une donne son ovocyte à l’autre qui portera l’enfant. Un homme peut donner son sperme à sa conjointe pour une insémination mais une femme ne peut pas en faire de même : pourquoi ?
Globalement, cette loi est clairement un progrès qu’il faut saluer, elle commence à s’appliquer, même si certaines portes restent fermées aux Françaises… sauf à continuer, pour celles qui le peuvent, à aller à l’étranger.
Exergue 1 : « Nombre de professionnels affirment qu’ils ne feront pas d’inséminations après 43 ans »
Exergue 2 : « Les couples donneurs d’embryons risquent fort de ne pas vouloir jouer à « La vie est un long fleuve tranquille » »
Présidente du CNGOF, CH des 4 villes, Saint-Cloud * Dans cette comédie, au cœur d’une petite ville du nord de la France, deux familles, les Le Quesnoy et les Groseille, d’origine sociale très différente, n’auraient jamais dû se rencontrer si une infirmière n’avait pas échangé les deux bébés