Prostatectomie radicale ou suivi rapproché en cas de cancer localisé de la prostate : suivi à 29 ans.
Bill-Axelson A, Holmberg L, Garmo H & al. Radical Prostatectomy or Watchful Waiting in Prostate Cancer: 29-Year Follow-up N Engl J Med 2018;379:2319-29. http://doi.org/10.1056/NEJMoa1807801
CONTEXTE
Entre octobre 1989 et février 1999, cette équipe d’urologues et chercheurs scandinaves a randomisé 695 patients atteints d'un cancer localisé précoce (CLP) de la prostate (cliniquement diagnostiqué) entre un groupe “prostatectomie radicale” et un groupe “surveillance rapprochée” ou Watchful Waiting (WW). En 2002, après une médiane de suivi de 6,2 ans, il y avait une différence significative entre les groupes sur la mortalité spécifique en faveur de la prostatectomie (1) : risque relatif (RR) = 0,50 ; IC95 % = 0,27-0,91, (intervalle de confiance très large donc imprécis) mais pas sur la mortalité totale (p = 0,31). En 2005, après 8,2 ans de suivi médian, le bénéfice sur la mortalité spécifique était toujours démontré : RR = 0,60, IC95 % = 0,42-0,86, et il y avait une différence significative sur la mortalité totale en faveur de la prostatectomie (2) : risque absolu = 23,9 % vs 30,5 %, p = 0,04. Il en était de même en 2014 (23 ans de suivi) sur la mortalité spécifique (3) : RR = 0,56, IC 95 % = 0,41-0,77, et la mortalité totale : risque absolu = 57,6 % vs 71,0 %, p < 0,001.
OBJECTIFS
Après 29 ans de suivi et 80 % des patients inclus décédés, mesurer le bénéfice de la prostatectomie sur la mortalité prostatique et totale.
MÉTHODE
Essai randomisé en ouvert qui a inclus 695 patients ayant un diagnostic clinique (95 % hors dépistage) de cancer localisé de la prostate.
Les critères de jugement étaient la mortalité spécifique liée au CLP, la mortalité totale, le taux de survenue de métastases à distance et le nombre d’années de vie gagnées (critère pertinent pour les patients). Au sein du groupe prostatectomie, la valeur pronostique du score de Gleason et d’une éventuelle extension extracapsulaire découverte lors de l’intervention a été évaluée à l’aide d’un modèle de Cox proportionnel ajusté. Entre la fin de l’essai et l’analyse de 2017, les patients des deux groupes ont reçu les mêmes traitements en cas de progression de la maladie. L’analyse a été faite en stricte intention de traiter.
RÉSULTATS
Entre 1989 et 1999, 347 hommes ont été alloués au groupe prostatectomie, et 348 au groupe WW. Leurs caractéristiques étaient similaires à l'inclusion : âge = 64 ans, PSA = 23 ng/ml, cancer de stade II = 75 %. Il n’y a eu aucun perdu de vue et tous les patients ont été suivis jusqu’au 31 décembre 2017 ou à la date de leur décès.
Au 31 décembre 2017, 71 patients (19,6 %) du groupe prostatectomie étaient décédés de leur cancer vs 110 (31,3 %) dans le groupe WW : RR = 0,55 ; IC95 % = 0,41-0,74, NNT = 9. Il en était de même pour la mortalité totale : 261 (71,0 %) décès vs 292 (83,8 %) : RR = 0,74 ; IC 95 % = 0,62-0,87, NNT = 8, et pour la survenue de métastases à distance : RR = 0,54 ; IC95 % = 0,42-0,70, NNT = 6. Le nombre moyen d’années de vie gagnées était de 2,9 ans dans le groupe prostatectomie vs WW. Enfin, au sein du groupe prostatectomie, un score de Gleason > 7 à l’inclusion multipliait le risque de décès spécifique par 10 comparativement à un Gleason < 7 et une extension extracapsulaire multipliait ce risque par cinq comparativement à l’absence d’extension.
COMMENTAIRES
Il n’y a que les Scandinaves résolus, organisés et disciplinés pour être capables de suivre 695 patients pendant 30 ans sans en perdre un seul. Cet essai est méthodologiquement exemplaire et ses résultats confirment ceux de l’essai Pivot présenté dans ces colonnes en 2017 (4, 5) qui montrait une réduction absolue du risque moins importante (4 % vs 12,8 %) sur la mortalité totale, liée au fait que les patients inclus provenaient du dépistage par PSA et étaient moins à risque. à noter que pour les patients scandinaves, la mortalité non liée au cancer de la prostate était au moins 2,5 fois plus importante que celle liée à ce cancer, ce qui confirme que la majorité des patients atteint d’un CLP meurt d’autre chose que de cette maladie.
En pratique, cet essai est utile pour la médecine générale, car il permet d’informer le patient sur le pronostic vital après chirurgie en cas de cancer localisé de la prostate et de lui laisser le choix entre 3 ans de vie gagnés (en moyenne) grâce à la prostatectomie (et plus si âge < 65 ans), à mettre en perspective avec ses éventuels inconvénients (4, 5) que sont les troubles érectiles (14,6 %) et l’incontinence urinaire (17,3 %).
Bibliographie
1- Holmberg L, Bill-Axelson A, Helgesen F, & al. A randomized trial comparing radical prostatectomy with watchful waiting in early prostate cancer. N Engl J Med 2002;347:781-9.
2- Bill-Axelson A, Holmberg L, Ruutu M & al. Radical Prostatectomy versus Watchful Waiting in Early Prostate Cancer. N Engl J Med 2005;352:1977-84.
3- Bill-Axelson A, Holmberg L, Garmo H & al. Radical Prostatectomy or Watchful Waiting in Early Prostate Cancer. N Engl J Med 2014;370:932-42.
4- Félibre S. Cancer localisé : prostatectomie ou pas ? Le Généraliste 2017;2812:26.
5- Wilt TJ, Jones KM, Barry MJ et al. Follow-up of Prostatectomy versus Observation for Early Prostate Cancer. N Engl J Med 2017;377:132-42. http://dx.doi.org/10.1056/NEJMoa1615869
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