Infectiologie

COVID-19 : ÉVALUATION DES MESURES DE PROTECTION

Publié le 09/10/2020
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Les mesures de distanciation physique, les masques et les protections oculaires ont animé de nombreux débats et controverses depuis le début de la pandémie de Covid-19. Aujourd’hui, ils se sont en grande partie imposés. Une évaluation de ces mesures par revue systématique de la littérature et méta-analyse a été réalisée et publiée dans le Lancet.

Crédit photo : BURGER/PHANIE

Distanciation physique, masques et protection oculaire pour prévenir la transmission individuelle du SARS-CoV-2 et du Covid-19 : revue systématique et méta-analyse
Physical distancing, face masks, and eye protection to prevent person-to-person transmission of SARS-CoV-2 and COVID-19: a systematic review and meta-analysis Chu DK, Akl EA, Duda S, & al.
Lancet 2020 ; 395:1973-87. https://doi.org/10.1016/S0140-6736(20)31142-9

CONTEXTE

Le SARS-CoV-2 est un virus respiratoire qui se transmet principalement à courte distance via des gouttelettes (1). Nonobstant, la transmission par aérosol de microgouttelettes à longue distance ou par contact avec des surfaces contaminées n’est pas totalement exclue (2). Le Covid-19 est une affection très contagieuse dont le pronostic est majoritairement bénin. Cependant, chez certains sujets à risque, l’infection peut évoluer vers une forme sévère nécessitant une hospitalisation avec ou sans oxygénothérapie et jusqu’à des soins de réanimation. En l’absence de vaccin et de traitement ayant démontré une efficacité clinique indiscutable, les interventions non pharmacologiques pour limiter l’expansion de l’épidémie ont été recommandées (voire parfois imposées) presque partout dans le monde.
En France, depuis le début de la pandémie de Covid-19, le port du masque pour prévenir la transmission du SARS-CoV-2 a été sujet à de nombreuses et parfois bouillantes controverses. Au début de la pandémie, juste avant et pendant le confinement, les autorités politiques de santé ont décrété qu’il était inutile (car le stock de masques constitué par Roselyne Bachelot en 2009 avait technocratiquement disparu). Puis il a été fortement recommandé dans les lieux clos très fréquentés, et enfin édicté obligatoire dans certains espaces publics. La pénurie logistique, les arguments mensongers et les messages sanitaires contradictoires ont amené un certain nombre de citoyens (voire d’« experts ») à contester l’efficacité et l’utilité des masques et des autres mesures sécuritaires (dites barrières).

OBJECTIFS

Évaluer l’efficacité et le niveau de preuve des interventions non pharmacologiques dans la prévention de la transmission des maladies respiratoires virales : distance physique, port d’un masque, hygiène des mains, port de gants, désinfection des surfaces, protection des yeux et ventilation efficace des espaces confinés.

MÉTHODE

Revue systématique de la littérature et méta-analyse. Les auteurs ont exploré toutes les bases de données bibliographiques disponibles jusqu’au 26 mars 2020, ainsi que les sites de « préprint » et les centres de ressources sur les coronavirus du Lancet, du Jama et du New England Journal of Medicine jusqu’au 3 mai 2020. Les critères de sélection étaient les études (quelle qu’en soit la méthode) évaluant l’efficacité d’une distance physique ≥ 1 mètre ou plus courte, et/ou du port d’un masque avec ou sans protection oculaire (lunettes ou visière) par les sujets exposés. Le critère de jugement principal était une infection Covid-19, SARS ou MERS (toutes liées à un coronavirus) confirmée par un laboratoire ou fortement suspectée sur la base du tableau clinique et du contexte, en établissement de soins ou en dehors. Les risques de biais ont été indépendamment évalués par deux des chercheurs, à l’aide d’une grille spécifique validée (Covidence). Les avis contradictoires ont été réglés par consensus. En l’absence d’essais randomisés, la méta-analyse des études observationnelles a utilisé la méthode statistique de DerSimonian et Laird, ajustée sur les principales et nombreuses variables confondantes. Les résultats sont présentés en risques absolus et relatifs avec leur intervalle de confiance à 95 %. L’évaluation du niveau de preuve a utilisé l’approche Cochrane GRADE (3,4).

RÉSULTATS

La recherche bibliographique a retenu 172 études observationnelles (aucun essai randomisé comparatif). 66 d’entre elles portaient sur la distanciation physique, et 30 sur les masques avec ou sans protection oculaire. Enfin, 44 d’entre elles (cohortes comparatives mais non randomisées) ont été considérées comme ayant les caractéristiques nécessaires et suffisantes pour être intégrées dans une méta-analyse (25 967 sujets).

Pour le masque couvrant la bouche et le nez de la personne exposée, le risque absolu de contamination était de 3,1 % avec masque et de 17,4 % sans masque, soit une différence absolue de 14,3 %, et une réduction du risque relatif de 85 % : OR = 0,15, IC95 % = 0,07-0,34, nombre de patients à masquer pour observer une contamination en moins = 19, niveau de preuve GRADE = faible.

Pour la distance physique, le risque absolu de contamination était de 2,6 % en cas de distance ≥ 1 mètre et de 12,8 % si < 1 mètre, soit une différence absolue de 10,2 % et une réduction relative du risque de 82 % : OR = 0,18 ; IC95 % = 0,09-0,38, nombre de sujets à distance ≥ 1 mètre pour observer une contamination en moins = 38, niveau de preuve GRADE = modéré. Le risque relatif de protection selon la distance était multiplié par un facteur 2,02 par mètre (p = 0,041 pour l’interaction).

Pour la protection oculaire, le risque de contamination était de 5,5 % avec protection et de 16 % sans protection, soit une réduction du risque absolu de 10,6 % et relatif de 78 % : OR = 0,22 ; IC95 % = 0,12-0-39, nombre de sujets à protéger par des lunettes ou une visière pour observer une contamination en moins = 15, niveau de preuve GRADE = faible.

Dans les 25 études ayant recueilli les opinions des sujets inclus, la majorité d’entre eux considérait que la distanciation physique, le port d’un masque et la protection oculaire étaient acceptables et rassurants. Les principaux effets indésirables (mais tolérables) étaient l’inconfort, le coût pour certaines catégories de population et une moins bonne intelligibilité de la communication et de la parole de l’autre.

COMMENTAIRES

Cette revue systématique sur un sujet complexe et controversé est de bonne qualité méthodologique : recherche exhaustive de la littérature, extraction des données et évaluation indépendantes de la qualité de chaque étude et niveau de preuve de la méta-analyse évalué à l’aide de l’outil GRADE, validé et reconnu. Les auteurs de ce courageux travail concluent qu’une distance physique ≥ 1 mètre, le port du masque et la protection oculaire réduisent fortement le risque de contamination par un coronavirus.
Cependant, quand une revue systématique de la littérature et une méta-analyse ne sont basées que sur des études à faible niveau de preuve (et que le nombre d’études spécifiques au Covid-19 est limité), leurs conclusions ne peuvent être que de même nature. De plus, il existait une forte hétérogénéité clinique des études dans de nombreux domaines : milieux variables (établissements de soins ou familles comprenant un cas avéré), biais de mémoire et de détection, pas de test virologique systématique, pas de randomisation, etc.

En pratique, si l’efficacité de ces mesures n’a qu’un faible niveau de preuve, elles ne sont pas dangereuses, même si elles sont parfois inconfortables : leur rapport efficacité/effets indésirables est donc favorable, d’abord dans l’activité de soins (y compris la médecine générale), au cours de laquelle le risque est plus élevé, ET dans la vie publique courante (niveau de preuve hyper faible). Bien que la démonstration de l’efficacité clinique de ces mesures soit scientifiquement fragile, le bon sens, le principe de précaution (5) et la nécessité absolue d’une démarche de prévention collective (a contrario de la médecine individualisée encouragée depuis des années) militent pour leur adoption. Si ces mesures sont considérées comme liberticides par certains, elles le sont de toute façon beaucoup moins que le SARS-CoV-2 et le Covid-19.

Bibliographie

1 - Jefferson T, Spencer EA, Plüddemann A, & al. Analysis of the transmission dynamics of COVID-19: an Open Evidence Review. https://www.cebm.net/evidence-synthesis/transmission-dynamics-of-covid-…

2 - van Doremalen N, Bushmaker T, Morris DH, & al. Aerosol and surface stability of SARS-CoV-2 as compared with SARS-CoV-1. N Engl J Med 2020;382:1564-7. https://doi.org/10.1056/nejmc2004973

3 - Guyatt GH, Thorlund K, Oxman AD, & al. GRADE guidelines 13: preparing summary of findings tables and evidence profiles— continuous outcomes. J Clin Epidemiol 2013;66:173-83.

4 - Santesso N, Glenton C, Dahm P, & al. GRADE guidelines 26: informative statements to communicate the findings of systematic reviews of interventions. J Clin Epidemiol 2020;119:126-35.

5 - Greenhalgh T, Schmid MB, Czypionka T, & al. Face masks for the public during the covid-19 crisis. BMJ 2020;369:m1435. https://doi.org/10.1136/bmj.m1435

Dr Santa Félibre (généraliste enseignant, Paris)

Source : lequotidiendumedecin.fr