Oncologie

DÉPISTAGE DU CANCER PROSTATIQUE : LOIN DES RECOS

Publié le 04/04/2022
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Malgré les recommandations qui encadrent le dépistage du cancer de la prostate, une étude montre que les pratiques sont bien différentes dans la vraie vie. Même si ce travail porte sur les centres anticancéreux états-uniens, n’est-on pas en droit de s’interroger sur ce qu’il se passe en France ?

Préconisations des centres anticancéreux états-uniens sur le dépistage du cancer prostatique comparativement à celles des guides de pratique nationaux basés sur les preuves

Comparison of US Cancer Center Recommendations for Prostate Cancer Screening with Evidence-Based Guidelines Koh ES, Lee AYJ, Ehdaie B, Marti J. JAMA Internal Medicine 2022.

CONTEXTE

Aux États-Unis, l’US Preventive Services Task Force (1), la Société américaine de cancérologie (2) et l’Association nationale d’urologie (3) préconisent le dépistage du cancer de la prostate par un dosage du PSA chez les hommes « à risque » âgés de 50 à 55 ans. Elles le déconseillent chez les sujets âgés de 70 ans ou plus et chez ceux dont l’espérance de vie est < 10 ans. Dans ces guides de pratique, le dépistage doit être proposé à la demande du sujet et dans le cadre d’une décision partagée après information objective, claire et honnête du sujet sur les bénéfices et les risques de cet acte. En termes de bénéfices, le dépistage réduit le risque de cancer métastatique et de décès par cancer de la prostate – 1 décès évité pour 781 sujets dépistés (4) – mais pas la mortalité totale. En termes de risques, il expose aux faux positifs, aux complications cliniques des biopsies et aux séquelles de traitements inappropriés (surdiagnostics) ou de tumeurs indolentes (1-4).

OBJECTIFS

Recueillir et analyser les informations disponibles sur le dépistage du cancer de la prostate publiées sur les sites internet des 1 119 centres anticancéreux accrédités aux États-Unis.

MÉTHODE

Étude observationnelle transversale sur les sites web des centres anticancéreux états-uniens : 1 055 estampillés fédéraux et 64 nationaux. Les données recueillies étaient l’âge préconisé pour mesurer le PSA, la notion de décision médicale partagée après information sur les bénéfices et les risques du dépistage, et la nature de ces risques. Ces données ont été comparées à celles disponibles dans les guides de pratique basés sur les preuves élaborés par les institutions nationales (1-3).

RÉSULTATS

607 des 1 119 (54 %) centres anticancéreux publient des préconisations sur leur site internet. Sur ces 607, 451 (74 %) recommandent que les hommes discutent du dépistage du cancer de la prostate avec un professionnel de santé : 209 (34 %) à l’âge de 50 ans, et 106 (17 %) à 55 ans. Contrairement aux recommandations nationales, 156 centres (26 %) préconisent un dépistage de masse (et non pas uniquement chez les sujets « à risque »), dont 22 (4 %) avant 50 ans, 114 (19 %) à 50 ans et 16 (3 %) à 55 ans. 78 % des centres ne spécifient pas d’âge au-delà duquel le dépistage est déconseillé. Les centres fédéraux sont davantage enclins que les nationaux à ne pas proposer de décision médicale partagée et à recommander un dépistage de masse. Enfin, 62 % des centres ne signalent pas les risques du dépistage et, même, 2,5 % mentionnent qu’il n’y en a aucun !

COMMENTAIRES

Cette lettre de recherche adressée à la rédaction du Jama, soutenue par une méthode archi-simple, est une belle illustration des différences de communication entre certains centres anticancéreux et les recommandations nationales basées sur des preuves solides et théoriquement indemnes de conflits d’intérêts (quoique). Bien que ce ne soit pas très déontologique ni transparent, il faut espérer que les centres qui ne spécifient pas (ou peu) les risques du dépistage le font pour ne pas effrayer leur patientèle et non pour augmenter leur activité ou par intérêt financier. Ces comportements peu recommandables s’observent également pour le dépistage des cancers bronchique et du sein dans ce pays (5, 6). En pratique de médecine générale, la décision partagée sur les dépistages avec un patient objectivement et loyalement informé est une démarche éthique indispensable. Toutes les données scientifiques sont disponibles pour vertueusement informer le patient.

Docteur Santa Félibre (généraliste enseignant, Paris)

BIBLIOGRAPHIE
1. Grossman DC, Curry SJ, Owens DK, & al. US Preventive Services Task Force. Screening for prostate cancer: US Preventive Services Task Force Recommendation Statement. JAMA. 2018;319:1901-13. https://doi.org/10.1001/jama.2018.3710
2. Wolf AM, Wender RC, Etzioni RB, & al. American Cancer Society Prostate Cancer Advisory Committee. American Cancer Society guideline for the early detection of prostate cancer: update 2010. CA Cancer J Clin. 2010;60:70-98. https://doi.org/10.3322/caac.20066
3. Carter HB, Albertsen PC, BarryMJ, & al. Early detection of prostate cancer: AUA Guideline. J Urol. 2013;190):419-26. https://doi.org/10.1016/j.juro.2013.04.119
4. Schröder FH, Hugosson J, Roobol MJ, & al. Screening and prostate cancer mortality: results of the European Randomized Study of Screening for Prostate Cancer (ERSPC) at 13 years of follow-up. Lancet. 2014;384:2027-35.
https://doi.org/10.1016/S0140-6736(14)60525-0
5. Clark SD, Reuland DS, Enyioha C. Assessment of lung cancer screening program websites. JAMA Int Med. 2020;180:824-30.https://doi.org/10.1001/jamainternmed.2020.0111
6. Patel NS, Lee M, Marti JL. Assessment of screening mammography recommendations by breast cancer centers in the US. JAMA Int Med 2021;181:717-9. https://doi.org/10.1001/jamainternmed.2021.0157


Source : lequotidiendumedecin.fr