Oseltamivir + traitement habituel versus traitement habituel du syndrome grippal en soins primaires : un essai randomisé pragmatique comparatif en ouvert.
Oseltamivir plus usual care versus usual care for influenza-like illness in primary care : an open-label, pragmatic, randomised controlled trial. Butler CC, van der Velden AW, Bongard E & al. Lancet 2019. https://doi.org/10.1016/S0140-6736 (19)32982-4
CONTEXTE
Les inhibiteurs de la neuraminidase (dont l’oseltamivir, alias Tamiflu®) sont indiqués dans le traitement précoce (< 48 heures) de la grippe et sa prophylaxie post-exposition précoce également. Cependant, ces médicaments sont très peu prescrits en médecine générale (1, 2) car ils sont perçus comme peu efficaces, pas très bien tolérés, et qu’il a été impossible d’identifier les personnes les plus susceptibles d’en bénéficier dans les études indépendantes de l’industrie pharmaceutique (3). Par ailleurs, en l’absence de test d’identification virale disponible au cabinet médical, il est très difficile de différencier une (vraie) grippe d’un syndrome grippal, surtout à un stade précoce. Enfin, les méta-analyses des essais randomisés (dispositifs expérimentaux incluant des populations très sélectionnées, précautionneusement suivies, particulièrement observantes, mais éloignées de celles qui consultent en soins primaires) ont montré que l’oseltamivir réduisait la durée des symptômes grippaux de 17,8 heures vs placebo (4) et le délai d’apparition du premier soulagement symptomatique de 16,8 heures (5).
OBJECTIFS
Évaluer l’efficacité de l’oseltamivir, associé au traitement habituel à la discrétion de l’investigateur, comparativement à la prise en charge usuelle d’un syndrome grippal en soins primaires.
MÉTHODE
Essai pragmatique randomisé en ouvert conduit au sein de 209 cabinets de soins primaires dans 15 pays européens (dont 1 centre et 49 patients à Nice). Pour être inclus, les sujets (âge > 1 an) devaient être atteints d’un « syndrome grippal » défini par une fièvre d’apparition brutale avec au moins un symptôme respiratoire (toux, mal de gorge, rhinite ou obstruction nasale) et un symptôme « général » (céphalée, courbatures, sueurs ou frissons, asthénie) depuis moins de 72 heures, survenant en période d’épidémie de grippe.
Ils ont été randomisés (avec de nombreuses stratifications et la constitution pré-spécifiée de 36 sous-groupes), soit dans un groupe traitement symptomatique (TS) au choix de l’investigateur, soit dans un groupe traitement symptomatique + oseltamivir (TSO) : posologie = 150 mg/j pendant 5 jours pour les adultes, et adaptée au poids pour les enfants. Ils ont été suivis pendant 28 jours. Un test d’identification de virus grippal A et B a été effectué chez tous les patients inclus, mais son résultat était inconnu au moment de la randomisation et de l’initiation du traitement alloué.
Le critère de jugement principal était le délai nécessaire pour retrouver son activité habituelle, mesuré par le patient lui-même en remplissant plusieurs questionnaires par jour. Les principaux critères de jugement secondaires étaient l’évolution des différents symptômes vers une intensité mineure (pas de gêne) ou leur disparition, les prescriptions d’antibiotiques, la transmission de la maladie dans l’entourage et les complications cliniques (pneumonies ou hospitalisations).
L’analyse statistique a été faite en intention de traiter à l’aide d’un modèle bayésien exponentiel « de survie » avec de nombreuses analyses en sous-groupes pré-spécifiés, mais sans procédure hiérarchique pour contrôler l’inflation du risque alpha.
RÉSULTATS
Entre janvier 2016 et avril 2018, au cours de trois hivers consécutifs, 3 266 participants ont été inclus : 1 635 ont constitué le groupe TS et 1 624 le groupe TSO, pour l’analyse finale. 80 % des patients étaient âgés de 12 à 65 ans et leurs caractéristiques étaient similaires entre les groupes (55 % de genre féminin). 51 % des inclus avaient une grippe virologiquement confirmée, et 9,4 % d’entre eux étaient vaccinés.
Le délai pour recouvrer une activité habituelle (critère principal) a été de 6,73 jours dans le groupe TS et de 5,71 jours dans le groupe TSO, soit une différence absolue d’environ 1 jour et un hazard ratio (HR) = 1,29 ; IC95 % = 1,20-1,39 dans le groupe TS. Le HR (entre 1,13 et 1,72) et la différence absolue d’environ une journée étaient du même ordre de grandeur dans les 36 sous-groupes pré-spécifiés. Il en était de même chez les patients atteints d’une grippe virologiquement confirmée ou non, et le bénéfice a été similaire quelle que soit l’épidémie hivernale considérée. Les sujets âgés avec comorbidités semblaient avoir un délai de retour à une activité normale encore plus court dans le groupe TSO. Enfin, il y a eu un peu moins de prescriptions d’antibiotiques et de transmission à l’entourage dans le groupe TSO, et aucune différence entre les groupes en termes de complications cliniques, y compris les hospitalisations.
En termes de tolérance, il y a eu un peu plus de nausées et vomissements dans le groupe TSO et de durée prolongée. Il n’y a pas eu de différence sur les effets indésirables graves imputables au traitement alloué.
COMMENTAIRES
Ce travail très original conduit par une équipe de généralistes d’Oxford a quatre grandes qualités :
→ Il est totalement indépendant de l’industrie pharmaceutique, car il a été financé par des fonds octroyés par la communauté européenne en tant que lauréat d’un appel d’offres de recherche clinique.
→ Il est particulièrement pertinent pour la médecine générale dans la mesure où tous les patients ont été inclus, traités et suivis par des médecins généralistes (et leurs nurses dans certains pays).
→ Son critère de jugement est inhabituel, mais plus global et beaucoup plus cliniquement pertinent pour le patient (retour à ses activités habituelles) que ceux utilisés dans les autres essais randomisés (durée des symptômes ou délai de leur amélioration).
→ Il a été bien conçu d’un point de vue médecine générale et a inclus le nombre de patients nécessaire pour démontrer un bénéfice, relativement modeste mais cohérent avec les résultats des précédents essais randomisés chez les adultes (6) et les enfants (7).
En revanche, ce travail souffre de la grande faiblesse qu’est la randomisation en ouvert (médecins et patients connaissaient le traitement alloué), de n’avoir pas comparé l’oseltamivir à un placebo (ce qui était tout à fait possible), et surtout d’avoir combiné ces insuffisances avec un critère de jugement principal et quelques critères secondaires mesurés subjectivement par les patients eux-mêmes, ce qui entraîne un biais rédhibitoire. Les auteurs argumentent leur choix volontaire en soulignant que les résultats des essais randomisés en double insu ne sont pas reproductibles dans la « vraie vie » et que ceux qu’ils ont observés dans leur essai sont généralisables à la population qui consulte en soins primaires, dans la mesure où chacun (patient et médecin) sait ce qui a été prescrit. Cette argumentation est audible et recevable, mais elle ne peut pas totalement éliminer le biais inhérent à l’absence de placebo, de double insu et de critère principal autoévalué subjectivement par le patient. Faire de la recherche en médecine générale ne permet pas de s’affranchir totalement des principes fondamentaux et des exigences de la méthode des essais comparatifs.
En pratique, chez un patient atteint d’un syndrome grippal qui consulte en période épidémique moins de 72 heures après le début des symptômes, lui proposer de l’oseltamivir pendant cinq jours peut l’aider à reprendre ses activités habituelles un jour plus tôt que s’il n’en reçoit pas, mais le niveau de preuve scientifique de cette proposition est faible et le résultat relativement incertain.
Bibliographie
1. Adriaenssens N, Coenen S, Kroes AC, & al. European Surveillance of Antimicrobial Consumption (ESAC): systemic antiviral use in Europe. J Antimicrob Chemother 2011;66:1897-905.
2. Stewart RJ, Flannery B, Chung JR, et al. Influenza antiviral prescribing for outpatients with an acute respiratory illness and at high risk for influenza associated complications during 5 influenza seasons—United States, 2011-2016. Clin Infect Dis 2018;66:1035-41.
3. Mertz D, Kim TH, Johnstone J, & al. Populations at risk for severe or complicated influenza illness: systematic review and meta-analysis. BMJ 2013;347:f5061.
4. Dobson J, Whitley RJ, Pocock S, & al. Oseltamivir treatment for influenza in adults: a meta-analysis of randomised controlled trials. Lancet 2015;385:1729-37.
5. Jefferson T, Jones MA, Doshi P, & al. Neuraminidase inhibitors for preventing and treating influenza in healthy adults and children. Cochrane Database Syst Rev 2014;4:CD008965.
6. Ebell MH, Call M, Shinholser J. Effectiveness of oseltamivir in adults: a meta-analysis of published and unpublished clinical trials. Fam Pract 2013;30:125-33.
7. Malosh RE, Martin ET, Heikkinen T, & al. Efficacy and safety of oseltamivir in children: systematic review and individual patient data meta-analysis of randomized controlled trials. Clin Infect Dis 2018;66:1492-500.
Liens d'intérêts
Aucun
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique