L’absence de nouveautés dans la recherche et le développement des antibiotiques, en particulier pour les bactéries à Gram négatif, représente un risque réel et imminent de voir survenir une crise de santé publique. Aucune nouvelle famille d’antibiotique n’a vu le jour depuis 1984 et cet état de fait va encore se prolonger pendant plusieurs années alors qu’il faudrait prévoir des aujourd’hui des produits actifs sur les bactéries résistantes de demain. La survenue d’infections intraitables par antibiotiques n’est plus une simple menace mais devient une réalité. La prescription abusive et/ou inadaptée d’antibiotique provoque des résistances bactériennes et cette augmentation des résistances aux antibiotiques doit devenir une préoccupation majeure des médecins.
Il est devenu essentiel d’avoir pour objectif un diagnostic clinique et biologique performant des infections urinaires, de suivre l’évolution des résistances bactériennes, d’éviter les traitements inutiles et d’optimiser le choix thérapeutique. Si le choix d’un antibiotique repose toujours sur son efficacité et sa tolérance, dorénavant il doit aussi tenir compte du risque écologique individuel et collectif.
UNE ÉCOLOGIE BACTÉRIENNE FRAGILE
Le caractère imprévisible de l’évolution des résistances rend difficile de savoir quelles molécules seront indispensables dans les années à venir. Depuis le début 2011, un nouveau plan (3ème plan) a été mis en place par le ministère de la santé pour préserver l’efficacité des antibiotiques. De nombreuses données ont été mises en évidence par l’Observatoire national de l'épidémiologie de la résistance bactérienne aux antibiotiques (ONERBA).
1- Répartition des germes retrouvés en cas d’infection urinaire en 2005 :
- Escherichia coli : 80 %
- Proteus mirabilis : 4,5 %
- Klebsiella sp : 2 %
- Staphyloccocus saprophyticus : 3,5 %
- Autres entérobactéries : 4,5 %.
2- Résistances respectives de ces germes aux antibiotiques en 2010 :
- E coli : environ 10-15 % de résistance aux fluoroquinolones, largement plus de 40 % pour les amino-penicillines, 35 % pour l’association amoxicilline/ac.clavulanique, 15 à 35 % pour le cotrimazole et 5 % pour le cefixime. La résistance est très basse pour les C3G injectables et pour la fosfomycine,
- Proteus mirabilis : naturellement résistant à la nitrofuratoïne, la résistance acquise est comprise entre 15 et 20 % pour les amino-penicilines et le cotrimazole ; ces résultats sont du même ordre pour Klebsielle sp
- Staphyloccocus saprophyticus : naturellement résistant au mécillinam, à l’acide nalixidique et à la fosfomycine , ses taux de résistances acquises restent inférieures à 5 % pour les autres antibiotiques.
Ces données sont évolutives et doivent régulièrement être mises à jour.
3- Le risque de sélection de résistance existe à l’échelon individuel et pas uniquement à l’échelon collectif. Ainsi les patients ayant reçu un antibiotique dans les 6 mois précédents ont un risque accru d’avoir une souche résistante à cet antibiotique. L’écologie des infections urinaires (IU) est en effet très dépendante de l’exposition antibiotique antérieure du fait du mécanisme ascendant de ces infections à partir de la flore périnéale, elle-même très dépendante de la flore digestive, or un traitement antérieur est à risque d’avoir sélectionné dans la flore digestive un germe résistant. Ainsi il a été démontré que la sensibilité d’ E coli en cas de traitement par beta-lactamines dans les 6 derniers mois passait de 64 à 41 % pour l’amoxicilline et en cas de traitement par les quinolones de 91 à 63 % pour l’acide nalidixique et de 97 à 78 % pour la ciprofloxacine. Il importe de noter que cette augmentation de la résistance n’est pas retrouvée pour la fosmomycine- trométamol.
La prise en compte de ce risque écologique aboutît à des mesures très concrètes telle l’alerte sur un risque majoré de résistance en cas d’antibiothérapie récente, pour quelque motif que ce soit, en particulier pour une prise de quinolone ; il faut donc interroger son patient sur ses traitements antérieurs. Il en découle aussi l’impératif d’une épargne des quinolones pour des cystites simples, et le choix, chaque fois que possible ,d’une antibiothérapie adaptée pour le traitement des IU compliquées pour limiter ce risque de résistance auquel expose un choix probabiliste inadéquat. Ceci implique de prendre le temps de regarder attentivement l’antibiogramme et de réfléchir au choix de la meilleure molécule active. Par exemple, en cas de résistance à l’acide nalidixique, même s’il est signalé une sensibilité aux fluoroquinolones systémiques, il est recommandé de ne pas utiliser cette classe d’antibiotiques
ACTUALISATIONS GENERALES DE LA PRISE EN CHARGE DES IU
Les recommandations 2008 de l’Afssaps sur la prise en charge des infections urinaires communautaires de l’adulte apportent des changements notables :
=› La terminologie d’IU simple ou compliquée a été retenue. L’IU compliquée correspond à une IU à risque de complication et non à complication nécessairement établie.
=› Chez la femme, l’âge n’est plus considéré comme un facteur de complication en soi
=› Chez l’homme, toute cystite est considérée comme une prostatite
=› L’appellation « colonisation bactérienne » remplace celle de « bactériurie asymptomatique » pour désigner la présence d’un (où plusieurs) micro-organismes dans l’arbre urinaire sans qu’il ne génère de manifestations cliniques. La colonisation bactérienne ne justifie pas une antibiothérapie (sauf chez une femme enceinte ou en cas de geste invasif urinaire).
=› Les bandelettes urinaires réactives (BU) doivent être largement utilisées, leur réalisation est facile et leur valeur prédictive négative élevée permet d’éliminer une infection sous réserve d’une activité leucocytes et nitrite négative (moins de 5% de faux négatifs) : toute suspicion d’IU justifie une BU au cabinet médical. Il est regrettable qu’elles soient non encore remboursées, alors que leur utilisation a un effet sur le nombre d’examens (ECBU notamment) et de prescriptions.
=› L’ECBU est inutile lors d’un épisode unique de cystite simple mais est obligatoire en cas d’infections parenchymateuses (pyélonéphrite, prostatite)
=› La prise d'antibiotique doit être limitée aux infections d'origine bactérienne documentée ou probable, définies par :
- un seuil de leucocyturie retenu comme pathologique fixé à › ou = 10 4/mm3
- un seuil de bactériurie associé à une leucocyturie significative tenant compte de l'espèce bactérienne et de la forme clinique. A savoir › ou = 10 puiss 3/ml pour les cystites aigues à E coli et autre entérobactéries notamment Protéus, klebsielles et S. saprophyticus, › ou = 10puiss5/ml pour les cystites à autres bactéries notamment entérocoque, et › ou =10 4/ml pour les infections urinaires fébriles et prostatites. Dns tous les cas, ce seuil ne peut être opposé au tableau clinique si celui-ci est évident.
=› La monothérapie doit rester la règle dans les IU, sauf cas exceptionnels.
=› La tendance actuelle est au raccourcissement des durées de traitement pour réduire la sélection de bactéries multirésistantes.
TRAITER L'INFECTION URINAIRE
La cystite simple
Un tableau de cystite simple doit conduire à l’utilisation de BU (non à un ECBU) méthode diagnostique de choix : le virage de la plage des leucocytes est témoin d'une pyurie, celui de la plage des nitrites, d'une bactériurie. La valeur prédictive du dépistage par BU est élevée (valeur prédictive négative › 95 %) dans la cystite aiguë simple. Les causes de faux négatifs des nitrites sont : une dilution des urines, un régime restreint en nitrates, une infection à Staphylococcus saprophyticus.
-› Le traitement de la cystite simple est bien codifié.
- en première intention, le seul médicament préconisé est la fosfomycine-trométamol en dose unique du fait notamment de ses avantages écologiques : résistances rares et non croisées aux autres antibiotiques, classe spécifique épargnant les autres. La patiente doit être informée que les symptômes peuvent persister 2/3 jours après le début du traitement.
- en deuxième intention, peuvent être également utilisés : la nitrofurantoïne (traitement de 5 jours) ou une fluoroquinolone (ciprofloxacine, loméfloxacine, norfloxacine et ofloxacine), en dose unique ou pendant 3 jours. Les quinolones de première génération n’ont plus de place dans le traitement des cystites simples. L’usage de la nitrofurantoïne doit être prudent et surtout non répété, non prolongé compte tenu des risques de toxicité pulmonaire et hépatique (Afssaps, 11 mars 2011).
- en cas de suspicion d'infection à Staphylococcus saprophyticus (femmes < 30 ans et recherche de nitrites négative à la BU), on privilégie la nitrofurantoïne ou les fluoroquinolones pendant 3 jours.
- en raison du risque de résistance bactérienne, les antibiotiques suivants ne sont plus recommandés pour les cystites simples : bêtalactamines, céphalosporines de 1re et 2e générations, pivmecillinam et sulfaméthoxazole-triméthoprime.
- la barre d’âge à 65 ans pour le traitement antibiotique court de la cystite simple n’a plus lieu d’être.
-› Du nouveau en cas de cystites récidivantes : il est conseillé, pour les patientes bien informées et éduquées de proposer l’utilisation des BU en cas de symptômes de cystite tout en leur remettant une pré prescription d’antibiotique, afin qu’elles puissent s’autogérer et instaurer au plus vite un traitement curatif ce qui va améliorer leur confort, limiter les risques de l’antibioprophylaxie et réduire les automédications incontrôlées. Un ECBU annuel permet de surveiller la sensibilité des bactéries aux antibiotiques.
L’antibioprophylaxie au long cours n’est plus recommandée, elle expose à des effets indésirables et potentiellement graves et à un risque de selection de bactéries résistantes
La cystite compliquee
Une infection urinaire compliquée est une IU avec une complication établie ou à risque de complication (anomalie de l’arbre urinaire ou terrain particulier). Ne rentrent pas dans ce cadre la cystite de la femme de plus de 65 ans sans autre facteur de risque de complication qui est à considérer comme une cystite simple ni celle de l’homme toujours à considérer comme une prostatite aigue, sauf exception. L’ECBU est systématique en raison du risque particulier d’antibiorésistances (antécédents fréquents d’antibiothérapie).
Le principe est de différer l'antibiothérapie, si la clinique le permet, pour l'adapter d'emblée aux résultats de l'antibiogramme, ce qui limite le risque de sélectionner une bactérie encore plus résistante. Le choix sera porté sur la molécule à spectre le plus étroit possible pour, la aussi, réduire le risque de sélection des germes. La durée du traitement est ›ou égal à 5 jours.
Si le traitement ne peut être retardé compte tenu de l'importance des symptômes ou de facteurs de risque, le traitement probabiliste recommandé en prenant en compte la pression de sélection sera en première intention de la nitrofurantoine ou de la fosfomycine ; puis en deuxième intention de la cefixime ou sinon une fluoroquinolone. En cas de grossesse, une antibiothérapie probabiliste d’emblée par céfixime ou nitrofurantoine est prescrite.
La pyélonéphrite aiguë simple (PNA)
Hormis les exceptionnelles formes avec sepsis sévère, le pronostic des PNA simples est excellent, à la seule condition que l’antibiorésistance du germe en compte soit bien pris en considération.
-› La stratégie de prise en charge est simplifiée. Le traitement initial est probabiliste par cephalosporine impérativement administrée par voie parentérale. Les fluoroquinolones présentent un risque majoré d’échec si elles ont été administrées dans les 6 derniers mois.
La suite du traitement dépend de l’antibiogramme, et peut faire appel pour les E. coli qui sont majoritaires à l’amoxicilline ou à la cefixime (10 à 14 jours) ou a une quinolone (7 jours) ou en fonction de la résistance au sulfamethoxazole-trimethoprime.
-› La BU en urgence (sa négativité fait rechercher une autre cause), l’ECBU initial et une échographie de l’appareil urinaire dans les 24 heures (recherche d’obstacle) sont les seuls examens recommandés. Aucun contrôle ECBU post thérapeutique n’est utile.
La pyélonéphrite aiguë compliquée
Le traitement probabiliste initial est identique à celui des PNA simple (C3G par voie parentérale). Il en est de même pour le traitement adapté sur l’antibiogramme mais sa une durée est plus longue, au moins 10 jours et parfois plus de 21 jours (abcès, insuffisance rénale, bactérie multi-résistante…).
-Une PNA compliquée justifie en urgence, en plus de l’ECBU, des hémocultures, une uro-TDM qui est l’examen le plus sensible sinon une échographie de l’appareil urinaire. Un contrôle par ECBU pendant et après traitement doit être systématique.
La prostatite aiguë
Il n’est jamais inutile de le rappeler : toute infection urinaire masculine doit être gérée comme une prostatite aigue. La BU, à réaliser de suite, a uniquement une valeur d’orientation et l’ECBU en urgence est impératif. En complément, et avant l'antibiothérapie, des hémocultures sont recommandées dans les formes graves.
=› Le traitement probabiliste débuté en urgence avant les résultats de l’antibiogramme repose sur une céphalosporine de 3e génération par voie injectable ou une fluoroquinolone per os. Mais le choix se portera préférentiellement sur une C3G parentérale en cas de prise récente (< 6 mois) par le patient d'une fluoroquinolone pour quelque indication que ce soit. Dans les formes sévères, l’ajout d’un aminoside (gentamicine, nétilmicine ou tobramicine) est recommandé pendant 1 à 3 jours à la phase initiale. Le sulfamethoxazole-trimethoprime n'est pas recommandé en traitement probabiliste du fait de la forte prévalence des résistances acquises de E. coli.
=› Le relais par voie orale, adapté aux résultats de l'antibiogramme, fait appel préférentiellement aux fluoroquinolones ou, à défaut, au sulfamethoxazole-trimethoprime. L’amoxicilline n’est pas recommandée, même si le germe est sensible, du fait de sa mauvaise diffusion tissulaire.
=› Il n'existe pas de consensus quant à la durée totale du traitement, qui varie de 2 semaines pour les formes simples (germe sensible, sepsis non sévère, etc.) à 4 semaines, voire plus selon le tableau clinique (abcès, traitement probabiliste inefficace, etc.).
=› Une échographie des voies urinaires par voie sus-pubienne, et non endorectale, est recommandée dans les 24 heures (recherche d'obstacle, dilatation des voies urinaires ou rétention aiguë d'urine).
=› La persistance de la fièvre et/ou la survenue de signes de gravité nécessitent de contrôler l'ECBU et de compléter l'imagerie (IRM/échographie par voie sus-pubienne/scanner) à la recherche d'une cause locale.
=› Les PSA doivent être réalisée à au moins 6 mois de distance de l’infection - chez l'homme de plus de 50 ans, un cancer de prostate est parfois révélé par une infection.
Cas clinique
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Mise au point
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