Selon les données de l'Assurance Maladie pour l'année 2007, la numération formule sanguine demeure l’acte de biologie médicale le plus fréquemment réalisé, avec 30 millions d’actes et 286 millions d’euros remboursables. L'interprétation des résultats d'un hémogramme, acte courant en médecine générale, peut toutefois présenter certaines difficultés.
LES VALEURS SEUILS DE L'HEMOGRAMME
- Ce sont toujours les recommandations de l'ANAES qui constituent la référence en ce domaine depuis 1997 (tableau 1). Les éléments devant figurer sur le compte rendu sont les suivants : hématocrite, numération des érythrocytes, volume globulaire moyen (VGM), concentration corpusculaire moyenne en hémoglobine (CCMH) et teneur corpusculaire moyenne en hémoglobine (TCMH), numération des leucocytes avec établissement d'une formule détaillant le nombre de polynucléaires neutrophiles, éosinophiles, basophiles, de monocytes et de lymphocytes (et d’éventuelles autres cellules circulantes), numération des plaquettes. Toutes les anomalies de l'hémogramme sont à interpréter en fonction du contexte clinique.
L'inversion de formule n'existe pas. "Ce terme doit disparaître de notre vocabulaire, et la formule leucocytaire doit être interprétée en tenant compte des chiffres en valeur absolue et des valeurs seuils recommandées, et non des pourcentages. Trop de patients sont encore adressés à l'hématologue au seul motif que leur nombre de lymphocytes est supérieur à celui des neutrophiles", souligne le Dr Lefrère.
Certaines variations non pathologiques sont à connaître.
- Chez la femme enceinte par exemple, la principale modification de l'hémogramme est la baisse de l'hémoglobine, en rapport avec un mécanisme d'hémodilution, ce qui explique que la valeur seuil de l'anémie en cas de grossesse soit fixée à 10,5 g/dL au lieu de 12 pour la femme non enceinte. On observe également une polynucléose neutrophile modérée, sans modification toutefois du seuil pathologique de 7000/mm3 (ou 7000 x 106/L si l'on considère l'unité de mesure utilisée par l'Anaes). Il existe enfin une thrombopénie. Stricto sensu, l'Anaes recommande de considérer comme potentiellement pathologique toute thrombopénie en cours de grossesse. "En pratique, on estime que jusqu’à un seuil de 100 000 plaquettes / mm3, le diagnostic reste compatible avec celui de thrombocytopénie gestationnelle, et l'on n'engage un bilan que lorsque ce nombre devient inférieur à 100 000/mm3".
- Chez le sujet de race noire, il existe une baisse isolée et modérée du taux d'hémoglobine, de 0,8 à 1 g/dL, ainsi qu'une neutropénie, dite neutropénie ethnique, et une thrombopénie. "Dans ce contexte et en l'absence de signes cliniques d'appel, aucun bilan n'est à prévoir dès lors que le nombre de polynucléaires neutrophiles est supérieur à 1000/mm3 et celui des plaquettes supérieur à 100 000/mm3".
- Chez le fumeur, la polynucléose neutrophile est fréquente, proportionnelle à la consommation de tabac. Les autres variations potentielles sont l'hyperlymphocytose binucléée (exceptionnelle) et la polyglobulie, suspectée sur une élévation du taux d'hémoglobine au-dessus des valeurs seuils (et non par l'augmentation du nombre des globules rouges). "La polynucléose liée au tabac, bien que fréquente, est un diagnostic d'élimination, imposant de rechercher une origine à l'élévation des neutrophiles, comme on le fait chez le non fumeur (voir infra), poursuit le Dr Lefrère. Le test d'arrêt du tabac, certes concluant, est en pratique difficile à obtenir et il faut compter entre 6 mois et un an pour voir régresser la polynucléose après le sevrage. En l'absence de cause évidente (syndrome inflammatoire ou infectieux, origine iatrogène…), il est donc préférable de demander un avis hématologique afin d'éliminer un éventuel syndrome myéloprolifératif".
- Une cause d'erreur classique est la pseudo-thrombocytopénie liée à la présence d'un anticoagulant, l'EDTA (acide éthylènediamine-tétra acétique), qui agrège les plaquettes in vitro dans le tube de prélèvement. "Généralement, le laboratoire qui procède à l'analyse nous signale les problèmes éventuels, liés au mode de conservation, de transport ou au prélèvement lui-même. La survenue d'une hémolyse, à la suite par exemple d'un choc thermique ou mécanique, peut ainsi conduire à sous estimer le nombre de globules rouges et à surestimer le nombre de plaquettes", complète le Dr Le Noc.
LA LIGNEE ROUGE
Les anémies
L'anémie se définit par une diminution du taux d'hémoglobine en dessous de 13 g/dL chez l'homme et 12 chez la femme et l'homme très âgé. Le bon réflexe est d'examiner le volume globulaire moyen, duquel va dépendre la suite de la conduite à tenir.
Si l'anémie est microcytaire
- En présence d'une anémie microcytaire (VGM < 82 µ3) et/ou hypochrome (CCMH < 32 %), un bilan martial et un bilan de l'inflammation doivent être demandés, à la recherche des deux causes majeures que sont la carence en fer et le syndrome inflammatoire. A noter que la CCMH, définie par le taux d'hémoglobine divisé par l'hématocrite, est souvent redondante avec le VGM, une microcytose étant souvent associée à une hypochromie. Le taux de réticulocytes est inutile dans ce contexte, une anémie microcytaire étant toujours non régénérative.
- Concernant le bilan ferrique, le fer sérique est diminué en cas d'anémie par carence en fer et la capacité totale de fixation de la sidérophiline (ou transferrine) est augmentée. Le taux de ferritine, qui représente les réserves en fer, est effondré. "En pratique, la démarche diagnostique d'une anémie par carence en fer ne nécessite pas le dosage de ces 3 paramètres. Le dosage du fer sérique et la détermination de la capacité totale de fixation de la transferrine suffisent. Le dosage de la ferritine est un examen onéreux, peu utile en première intention, et on le réserve plutôt au bilan de contrôle après traitement de l'anémie. Ce schéma est consensuel, et les prochaines conclusions de la HAS sur le thème de l'utilisation des marqueurs du métabolisme du fer dans l’exploration des anémies, attendues pour cette année, ne devraient pas être différentes", explique le Dr Lefrère. La vitesse de sédimentation (VS) et la CRP (C reactive proteine) sont demandées dans le cadre du bilan inflammatoire.
- La normalité du bilan ferrique et du bilan inflammatoire doivent conduire à demander un avis spécialisé en hématologie, afin de rechercher une thalassémie (électrophorèse de l'hémoglobine) ou une forme très rare de myélodysplasie microcytaire (myélogramme) (fig 1).
En cas de microcytose isolée, la démarche est identique, à la différence près qu'il ne peut s'agir d'une cause inflammatoire (l'anémie précédant la microcytose dans ce contexte).
Si l'anémie est normo ou macrocytaire
- "L'existence d'une anémie normo ou macrocytaire impose de déterminer si elle est régénérative ou non, en procédant à la numération des réticulocytes. Ce décompte ne fait pas systématiquement partie de l'hémogramme, et il faut penser à le demander" explique le Dr Le Noc. Même chose en présence d'une macrocytose isolée. On parle d'anémie arégénénative en dessous de 150 000 réticulocytes /mm3.
- Trois situations sont à évoquer si l'anémie est régénérative : l'anémie hémolytique, la régénération d'une anémie centrale quelle qu'en soit la cause, et la régénération suivant un saignement aigu, notamment digestif.
- Si l'anémie est arégénérative, le médecin généraliste peut demander un bilan complémentaire avant d'envoyer son patient à l'hématologue. Quatre grandes causes doivent être recherchées : l'insuffisance rénale chronique (évaluation de la fonction rénale), le syndrome inflammatoire avant que l'anémie ne soit microcytaire (VS, CRP), l'hypothyroïdie (TSH) et la cirrhose d'origine alcoolique (bilan hépatique). Il peut s'agir aussi d'une fausse anémie par hémodilution, en cas de grossesse par exemple ou en présence d'une IgM monoclonale (électrophorèse des protides).
Une fois ces causes éliminées, l'exploration médullaire s'impose afin de diagnostiquer une éventuelle myélodysplasie, carence vitaminique, myélofibrose, aplasie médullaire, hémopathie ou envahissement de la moelle par une métastase. S'agissant de la carence vitaminique, la réalisation d'un myélogramme est essentielle, afin de ne pas méconnaître une myélodysplasie associée. Notamment chez les personnes âgées, chez qui le déficit en vitamine B12 est volontiers associé à une hémopathie maligne. Pas de test thérapeutique donc avec la vitamine B12 en présence d'une anémie normo ou macrocytaire non régénérative.
Les polyglobulies
Suspectées par une augmentation de l'hématocrite et de l'hémoglobine, plusieurs causes peuvent être envisagées : maladie de Vaquez (polynucléose et thrombocytose parfois associées), hypoxie chronique, tumeur sécrétant de l'érythropoïétine (rare). Les états d'hémoconcentration peuvent être responsables d'une fausse polyglobulie.
Les anomalies morphologiques des hématies
Le frottis sanguin fait parfois état d'anomalies morphologiques des globules rouges, dont certaines orientent directement vers une pathologie donnée. Par exemple, la présence d'hématies en forme de faux (falciformes) fait suspecter le diagnostic de drépanocytose, celle de schizocytes (GR fragmentés) une hémolyse mécanique, celle d'acanthocytes (GR avec des "épines") une cirrhose. Si des hématies ponctuées (avec des ponctuations basophiles) sont observées, on évoque plutôt une myélodysplasie ou un saturnisme.
LA LIGNEE BLANCHE
L'analyse de la lignée blanche repose sur les chiffres en valeur absolue des différents types de globules blancs, les pourcentages n'ayant aucune signification. Là encore, l'examen du frottis sanguin est très contributif, soit pour affirmer un diagnostic (ex : syndrome mononucléosique), soit pour rechercher des cellules anormales (blastes leucémiques) ou la présence dans le sang de cellules médullaires myéloïdes (myélémie), situations qui doivent directement faire orienter le patient vers l'hématologue.
Les hyperleucocytoses
- La polynucléose correspond à l'augmentation des polynucléaires neutrophiles au-dessus de 7000/mm3. Physiologique chez la femme enceinte si elle modérée, la polynucléose peut être due à une infection, bactérienne surtout, une nécrose tissulaire (infarctus du myocarde, pancréatite), une maladie inflammatoire, une néoplasie. Sans oublier les causes iatrogènes – corticoïdes, lithium – et la polynucléose du fumeur (voir premier chapitre). Selon l'étiologie, d'autres anomalies de l'hémogramme sont associées. Si aucune de ces causes n'est retrouvée, il faut prendre l'avis d'un hématologue qui le cas échéant prévoira un myélogramme. Attention, la polynucléose du fumeur est à prendre en charge de la même manière que celle du non fumeur.
- L'hyperlymphocytose (› 4000/mm3) impose d'examiner le frottis sanguin et de contrôler la NFS à 2-3 mois. Aiguë, elle est le plus souvent d'origine virale. La mononucléose infectieuse (virus d'Epstein-Barr) par exemple se caractérise au plan biologique par un syndrome mononucléosique : hyperlymphocytose avec lymphocytes de forme et de taille différentes et un cytoplasme hyperbasophile + monocytose transitoire. Aucun blaste n'est présent sur le frottis sanguin. Toutes les anomalies régressent spontanément en quelques semaines et aucun examen complémentaire n'est nécessaire. Les autres grandes causes de syndrome mononucléosique sont les infections par le cytomégalovirus et la toxoplasmose (éosinophilie associée). La coqueluche peut aussi induire une hyperlymphocytose aiguë.
Toute hyperlymphocytose chronique en revanche (› 3 mois) doit être explorée, dans le but de dépister une leucémie lymphoïde chronique, un lymphome ou toute autre hémopathie lymphoïde.
- La présence d'une monocytose (› 800/mm3) est courante lors des infections, où elle s'associe à une polynucléose. Si elle devient chronique, il faut penser à une hémopathie myéloïde.
- Une hyperéosinophilie (› 400/mm3) oriente en premier lieu vers une parasitose ou une cause iatrogène (bêta-lactamines, anti-épileptiques, AINS…) ou allergique. Mais selon le contexte clinique et les autres anomalies biologiques associées, de nombreuses affections peuvent être suspectées, notamment les cancers, les hémopathies et les vascularites, surtout si le nombre des éosinophiles excède 1500/mm3. A savoir : il ne faut pas retenir le diagnostic d'atopie devant une hyperéosinophilie supérieure à 1000/ mm3.
La basophilie (ou basocytose : › 100/mm3) a peu d'intérêt en pratique.
Les leucopénies
Devant une neutropénie (neutrophiles < 1700/mm3), la conduite à tenir dépend de la profondeur de l'anomalie. Le risque infectieux est patent en dessous de 800/mm3. L'agranulocytose (< 500/mm3) est une urgence. De façon générale, en dessous de 800/mm3, un myélogramme doit être effectué pour éliminer une hémopathie maligne. Les autres causes de neutropénie sont la iatrogénie (outre les chimiothérapies cytotoxiques, de nombreux médicaments peuvent être impliqués) et certains troubles immunologiques (endocriniens ou autres) et congénitaux.
Au-dessus de 800/mm3, il est préférable de prendre au moins une fois un avis hématologique, et si la neutropénie est isolée, il est licite de s'en tenir à une surveillance (à 6 mois – 1 an).
- En l'absence de cause évidente telle qu'une chimiothérapie anticancéreuse, la lymphopénie (< 1500/mm3) impose en pratique de rechercher une infection par le VIH. Phrase suivante supprimée.
LES PLAQUETTES
- La thrombocytopénie se définit par un chiffre de plaquettes inférieur à 150 000/mm3. Une thrombopénie inférieure à 10 000/mm3 est une urgence, même en l'absence de syndrome hémorragique. Les causes de thrombopénie sont liées soit à une insuffisance de production (infection, médicaments, leucémie, aplasie médullaire), soit à une destruction dans la circulation sanguine (médicaments dont les héparines, connectivite, purpura thrombopénique immunologique), soit à une séquestration (hypersplénisme). Déjà mentionnée : la fausse thrombocytopénie induite par l'EDTA dans le tube de prélèvement.
- La thrombocytose correspond à l'élévation des plaquettes au dessus de 450 000/mm3. Les causes secondaires à éliminer sont la carence martiale, l'asplénie réelle (splénectomie) ou fonctionnelle et l'inflammation aiguë ou chronique. Après quoi il faut rechercher un syndrome myéloprolifératif : maladie de Vaquez, leucémie myéloïde chronique...
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