INTRODUCTION
La polypose nasosinusienne est une rhinosinusite caractérisée par deux éléments :
➔ une maladie diffuse des sinus : c’est une rhinosinusite diffuse (par opposition aux sinusites localisées qui affectent soit les sinus antérieurs, soit les sinus postérieurs). L’origine de la maladie se situe dans le sinus ethmoïdal, affectant aussi bien les cellules ethmoïdales antérieures que les cellules ethmoïdales postérieures. Les grands sinus de la face (maxillaire, frontal, sphénoïdal) sont parfois sains, parfois le siège d’un œdème muqueux, notamment le sinus frontal, plus rarement les autres grands sinus.
➔ une maladie bilatérale : contrairement aux sinusites localisées antérieures ou postérieures, qui sont le plus souvent unilatérales, la polypose nasosinusienne est une maladie bilatérale et à peu près symétrique des cavités nasosinusiennes. Dès lors, la présence de polypes unilatéraux doit conduire à évoquer d’autres diagnostics (sinusite localisée, tumeur comme un papillome inversé). Ainsi, la présence de polypes dans les cavités nasales n’est pas synonyme de polypose naso-sinusienne.
Parmi l’ensemble des rhinosinusites chroniques (rhinite chronique allergique ou non allergique, sinusite antérieure de la face notamment sinusite maxillaire chronique, sinusite postérieure de la face plus rare), 40 % sont des rhinosinusites diffuses dont l’essentiel est la polypose nasosinusienne. Sa prévalence est de 6 % dans la population générale, et entre 7 % et 15 % chez les asthmatiques.
• La physiopathologie de la polypose nasosinusienne repose sur l’inflammation chronique de la muqueuse des cavités nasales et sinusiennes marquée par une infiltration éosinophilique plus ou moins importante. Deux formes cliniques de polypose nasosinusienne doivent être distinguées :
• la polypose nasosinusienne primitive, isolée,
• la polypose nasosinusienne s’intégrant dans le cadre d’une triade de Widal associant un asthme et une intolérance à l’aspirine, aux anti-inflammatoires non stéroïdiens et aux sulfites (vin), dont le marqueur biochimique est une forte exacerbation des réponses respiratoires à l’ingestion des substances inhibant la cyclo-oxygénase 1. Le mécanisme est donc biochimique et non allergique : on doit parler d’intolérance et non d’allergie. La polypose nasosinusienne dans la maladie de Widal est souvent corticorésistante et les indications chirurgicales sont plus fréquentes. La polypose nasosinusienne est exceptionnellement associée à une mucoviscidose, une dyskinésie ciliaire ou un déficit immunitaire.
SYMPTOMATOLOGIE
Le diagnostic est généralement porté chez des patients âgés de 35 à 50 ans, mais les premiers symptômes ont souvent débuté avant la trentaine.
L’interrogatoire est un point essentiel du diagnostic et du suivi du patient. Si la polypose nasosinusienne se manifeste par des symptômes communs à l’ensemble des rhinosinusites chroniques (obstruction nasale, rhinorrhée antérieure, rhinorrhée postérieure, pesanteurs ou douleurs de la face), deux symptômes sont très évocateurs de polypose nasosinusienne dans ce contexte : l’anosmie et la perte de la flaveur, éléments sémiologiques presque pathognomoniques de cette maladie. L’interrogatoire recherche aussi des antécédents d’allergie (aux acariens notamment), un asthme, une toux chronique, une intolérance à l’aspirine, aux AINS ou aux sulfites (vin) et des manifestations otologiques (otites moyennes aiguës et otites séromuqueuses à répétition, otite chronique).
L’interrogatoire est aussi l’élément clé du suivi du patient car il permet de juger de l’efficacité du traitement au long cours. Il est très utile de quantifier chaque symptôme, notamment en notant « 0 » lorsque le symptôme est absent, « 1 » lorsqu’il est présent mais peu gênant, « 2 » lorsque le symptôme est invalidant. Ainsi, une cotation ON2, RA1, RP2, OD2, DF0 signifie : obstruction nasale (ON) invalidante, rhinorrhée antérieure (RA) modérée, rhinorrhée postérieure (RP) invalidante, trouble de l’odorat invalidant (OD) (anosmie), douleur faciale (DF) absente. Un suivi quantifié des symptômes est le meilleur garant de la qualité de la surveillance de cette maladie chronique.
L’examen clinique initial doit être réalisé par un ORL car il impose l’emploi d’un fibroscope souple ; une simple rhinoscopie antérieure avec un spéculum bivalve est notoirement insuffisante. Réalisé en consultation, il permet de voir la polypose nasosinusienne, d’en préciser la topographie (bilatérale et à peu près symétrique) et le volume évalué en trois stades :
• stade 1 : les polypes occupent au maximum le tiers supérieur de la cavité nasale,
• stade 2 : les polypes occupent au maximum les deux tiers de la cavité nasale,
• stade 3 : les polypes occupent plus des deux tiers de la cavité nasale.
Cet examen fibroscopique recherche aussi des anomalies anatomiques comme une déviation septale, une concha bullosa ou des séquelles d’interventions antérieures. Une otoscopie sera systématique devant la fréquence des otites chroniques chez les patients ayant une polypose nasosinusienne.
BILAN PARACLINIQUE
Trois examens complémentaires sont utiles : un examen tomodensitométrique des sinus de la face, des explorations fonctionnelles respiratoires et un test allergologique sanguin de dépistage.
Imagerie
Les clichés standards de la face ne sont d’aucune utilité ; ils ne doivent d’ailleurs plus être prescrits en pathologie rhinosinusienne, qu’elle soit aiguë ou chronique.
L’examen tomodensitométrique de la face est l’examen de référence. Il doit être effectué en coupes axiales et coronales, voire sagittales, sans injection de produit de contraste. Il est utile de le coupler à un dentascanner de l’arcade supérieure à la recherche de lésions dentaires apicales. Point capital, l’examen tomodensitométrique impose des conditions strictes de réalisation :
➔ Il ne doit jamais être réalisé après une cure de corticoïdes per os, qui diminue les lésions muqueuses et minimise ainsi les images radiologiques, conduisant à des erreurs diagnostiques. Un délai d’un mois après la prise d’une corticothérapie orale doit être respecté.
➔ Il ne doit jamais être réalisé après une poussée de surinfection, qui majore les lésions muqueuses et conduit également à des erreurs diagnostiques. Un délai de six semaines après une poussée de surinfection doit être respecté.
L’examen tomodensitométrique a quatre buts :
• Confirmer le diagnostic topographique. L’atteinte des cellules ethmoïdales est bilatérale et symétrique. Les grands sinus de la face (maxillaire, frontal et sphénoïdal) ne sont pas toujours touchés. Une atteinte ethmoïdale unilatérale doit conduire à suspecter une tumeur et à réaliser un examen par résonance magnétique des sinus de la face avec injection de gadolinium.
• Quantifier l’étendue des lésions muqueuses : l’index de Lund-Mackay est souvent utilisé. Pour chaque structure (sinus maxillaire, frontal, sphénoïdal, ethmoïde antérieur, ethmoïde postérieur) de chaque côté (droit et gauche), mais également pour le méat moyen, on cote 0 quand il n’y a pas d’opacité muqueuse, 1 devant une opacité muqueuse incomplète et 2 pour une opacité muqueuse totale. Au maximum, devant une opacité de tous les sinus et du méat moyen, le score est de 24 (2 : opacité totale x 12 : nombre de structures). Plus le score de Lund-Mackay est élevé, plus la polypose nasosinusienne est étendue dans les grands sinus.
• Rechercher des lésions associées : présence d’un granulome apical qu’il conviendra de traiter, aspergillose notamment dans le sinus maxillaire.
• Étudier les repères anatomiques afin d’évaluer le risque chirurgical en cas d’intervention chirurgicale : localisation de la base du crâne, procidence de la carotide interne dans le sinus sphénoïdal.
Les épreuves fonctionnelles respiratoires
La polypose nasosinusienne est une maladie intrinsèque de la muqueuse respiratoire ; il faut donc rechercher une atteinte des autres muqueuses respiratoires (poumon et oreille moyenne). Devant une polypose nasosinusienne isolée, sans asthme, il est licite de demander des épreuves fonctionnelles respiratoires – qui sont le plus souvent normales – couplées avec un test à la méthacholine qui peut révéler une hyperréactivité bronchique. Les données de la littérature montrent que 25 à 40 % des patients ayant une polypose nasosinusienne ont un asthme associé (parfois sans intolérance connue aux AINS, à l’aspirine et aux sulfites) et que chez les patients n’ayant pas d’asthme, environ 20 % ont une hyperréactivité bronchique nette lors d’un test à la méthacholine. Chez ces derniers patients, il est recommandé de ne pas consommer d’aspirine et d’AINS.
Le bilan allergologique
Il sera réalisé par un test de dépistage sanguin type Phadiatop. L’allergie n’est pas responsable d’une polypose nasosinusienne mais elle peut lui être associée et l’aggraver.
TRAITEMENT
La prise en charge de la polypose nasosinusienne repose sur un traitement médical. Le traitement chirurgical ne vit que des échecs d’un traitement médical bien suivi. Plusieurs méta-analyses ont été publiées ces dernières années.
Le traitement médical
➔ Le lavage des cavités nasales est un point important du traitement de la polypose nasosinusienne. Une méta-analyse a récemment souligné son intérêt dans les rhinosinusites chroniques, incluant la polypose nasosinusienne. Le plus simple est de nettoyer, matin et soir, les cavités nasales avec une seringue de 60 cc petit embout et une solution d’eau froide dans laquelle on ajoute deux cuillers à café de gros sel de mer (sans faire chauffer la solution salée ainsi obtenue). Il ne faut pas conserver cette eau salée plus de trois jours. Le lavage doit être biquotidien, doux et indolore.
➔ La corticothérapie locale est le traitement de base de la polypose nasosinusienne. Plusieurs molécules ont une AMM dans le traitement symptomatique de la polypose nasosinusienne en France (budésonide, fluticasone, mométasone, béclométasone). Les principaux effets indésirables sont la survenue d’épistaxis le plus souvent minimes, et plus rarement de cataracte et de glaucome, de perforation du septum nasal. Les études n’ont pas mis en évidence d’effet sur l’axe hypothalamo-hypophysaire avec un traitement local continu aux doses de l’AMM. Il faut effectuer la pulvérisation de corticoïdes après le lavage des cavités nasales, en attendant 30 à 45 minutes après la fin du lavage afin que la cavité nasale soit propre mais sèche. Lors de la pulvérisation et durant la minute qui suit, il ne doit y avoir aucun déplacement d’air dans la cavité nasale afin que le produit ait le temps d’être absorbé par la muqueuse des polypes. Il convient donc de ne pas renifler lors de la pulvérisation et de respirer exclusivement par la bouche durant la pulvérisation. Cette technique simple doit être expliquée au patient, et rappelée à chaque consultation. C’est un point essentiel afin d’obtenir un bon résultat de la corticothérapie locale. Enfin, cette corticothérapie locale doit être réalisée avec une observance parfaite ; toute corticothérapie locale « à la demande » est vouée à l’échec.
➔ Les corticoïdes oraux prescrits seuls sont très efficaces dans la polypose nasosinusienne mais leur durée d’action est courte (moins d’un mois). Ils doivent être prescrits selon le principe de la cure courte : emploi d’un corticoïde à élimination rapide (prednisone, prednisolone, bêtaméthasone, méthylprednisolone), durée maximale de sept jours, respect des contre-indications, pas de dose décroissante, posologie à 1 mg/kg/j. Le nombre de cures courtes annuelles doit impérativement être limité à trois afin d’éviter les complications de la corticothérapie au long cours. Les risques de la corticothérapie orale doivent être expliqués au patient afin d’éviter une surconsommation, trop souvent observée (automédication), de corticoïdes per os dans la polypose nasosinusienne.
➔ Si le résultat de ces traitements s'avère insuffisant, il convient de coupler les deux voies d’administration des corticoïdes : la voie générale est utilisée afin de réduire le volume de la polypose, la voie locale est le traitement de fond limitant la repousse des polypes. Cette association permet à 85 % des patients d’obtenir une amélioration importante de leur qualité de vie : l’obstruction nasale diminue de 80 %, la rhinorrhée postérieure de 75 %, et 60 % des patients ont une amélioration de leur trouble de l’odorat. Environ 15 à 20 % des patients sont résistants au traitement médical et un traitement chirurgical complémentaire peut alors être proposé.
Traitement chirurgical
L’indication d’une ethmoïdectomie totale par vidéochirurgie endonasale avec navigation assistée par ordinateur repose sur quatre critères concomitants :
• le diagnostic certain de polypose nasosinusienne,
• la présence de symptômes altérant la qualité de vie du patient,
• la résistance prouvée au traitement médical, c’est-à-dire un patient bénéficiant d’une corticothérapie locale à forte dose et de lavages biquotidiens des cavités nasales mais dont la persistance des symptômes invalidants requiert l’administration de plus de trois cures annuelles de corticoïdes per os afin d’obtenir un résultat fonctionnel satisfaisant,
• l’acceptation par le patient des risques opératoires (signature d’un consentement éclairé). Les complications sont exceptionnelles, dominées par les complications endocrâniennes (0,3 % des interventions) et les complications ophtalmologiques (0,2 %).
CONCLUSION
La polypose nasosinusienne est la forme la plus sévère de rhinosinusite chronique. Elle est fréquente puisqu’elle représente 40 % des formes de rhinosinusites chroniques, affectant 6 % de la population adulte. Son diagnostic comme son traitement doivent être très rigoureux, imposant une étroite collaboration entre l’ORL et le médecin référent du patient, parfois avec l’aide d’un pneumologue.
Dr Nicolas Bonfils (rédacteur), Pr Pierre Bonfils (ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris)
BIBLIOGRAPHIE
1. Bonfils P., Norès J.M., Halimi P., Avan P.
Corticosteroid treatment in nasal polyposis with a three-year follow-up period. Laryngoscope 2003; 113: 683–687.
2. Bonfils P. Evaluation of the combined medical and surgical treatment in nasal polyposis. I: Functional results. Acta Otolaryngol. 2007; 127: 436-46.
3. Bonfils P, Halimi P, Gaultier AL, Lisan Q. La polypose nasosinusienne - La rhinosinusite chronique avec polypes – EMC (Elsevier), ORL, 20-435-A-10 (21 pages).
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