Monsieur A., âgé de 49 ans, consulte pour une rhinorrhée purulente gauche ayant débuté durant ses dernières vacances d'été et s'aggravant progressivement depuis 7 mois. Cette rhinorrhée conduit à la formation de croûtes intranasales que le patient tente d'enlever avec un coton-tige tous les soirs. Il se plaint aussi d'une obstruction nasale gauche d'intensité variable, qui diminue lorsqu'il se mouche fort, ramenant de volumineuses secrétions brunes et parfois verdâtres. Il n'a pas de douleurs de la face, pas d'éternuements et il n'a pas remarqué de perte de l'odorat ou de la flaveur. Mais depuis deux mois, il est de plus en plus gêné par une mauvaise odeur, vraiment nauséabonde, dans sa cavité nasale, qui pousse son épouse à fuir les contacts intimes avec son époux. Monsieur A. retrouve cette effluve désagréable lorsqu'il déglutit : la rhinorrhée postérieure augmente de mois en mois et devient, elle aussi, pestilentielle. Monsieur A. n'a pas d'antécédent médical notable. Il n'a jamais été opéré et ne prend aucun traitement médical.
L'analyse sémiologique de ce tableau
Devant ce tableau clinique, le diagnostic du médecin généraliste repose essentiellement sur une bonne analyse de l'interrogatoire. Il convient donc d'attribuer à chacun des symptômes la valeur sémiologique adaptée.
► Certains symptômes sont absents : il n'y a pas d'éternuements donc pas d'hyperréactivité nasale. Il n'y a pas de douleurs mais l'absence de douleur ne signifie pas absence de sinusite chronique. Un vieil adage a perdu toute consistance en ORL : il était classiquement dit que les rhinites sont indolores et les sinusites douloureuses (la présence de douleurs faciales est même souvent un synonyme de sinusite pour nombre de patients). Ces assertions sont fausses. Il existe des rhinites chroniques avec des douleurs faciales et surtout des sinusites chroniques sans aucune douleur faciale. Ainsi, chez Monsieur A., l'absence de douleur faciale n'exclut pas l'existence d'un problème sinusien.
► Parmi les symptômes présents, certains n'ont qu'une faible valeur sémiologique devant un dysfonctionnement rhino-sinusien chronique. C'est le cas de l'obstruction nasale, de la rhinorrhée antérieure ou postérieure, qui sont associées à tous les types de rhinites et de sinusites chroniques.
► Ici, un premier signe doit alerter : la symptomatologie est strictement unilatérale. Ceci oriente d'emblée vers un problème sinusien car toutes les rhinites chroniques se manifestent par des symptômes bilatéraux, bien que parfois asymétriques.
Un deuxième symptôme a une haute valeur sémiologique : l'odeur nauséabonde que le patient perçoit (ainsi que son épouse) dans son nez et dans sa bouche. La cacosmie est la perception d'une mauvaise odeur dans les cavités naso-sinusiennes qui existe réellement et peut être perçue par l'entourage (il faut la distinguer d'une parosmie, perception d'une mauvaise odeur qui n'existe pas dans les cavités naso-sinusiennes mais générée par un dysfonctionnement de l'organe de l'odorat). Une cacosmie oriente d'emblée vers une sinusite maxillaire avec deux étiologies essentielles : une aspergillose ou une étiologie dentaire.
Ainsi, l'analyse sémiologique permet de conclure que Monsieur A. a probablement une sinusite antérieure de la face, à point de départ maxillaire, dont l'origine est soit dentaire, soit aspergillaire.
Le déroulé de l'examen clinique
L'examen clinique doit donc être centré sur la cavité nasale et les dents. Il est limité.
► Il faut s'assurer que la cavité nasale droite ne présente pas d'anomalie (présence de pus, de polype). Un simple examen avec un spéculum auto-éclairant d'oreille permet de le vérifier. Du côté où sort un pus abondant et fétide, il n'est pas utile de regarder car vous ne verrez que du pus et des croûtes. Seul l'ORL avec un fibroscope et après avoir aspiré les sécrétions nasales pourra examiner correctement cette cavité nasale pathologique. Il n'est néanmoins pas nécessaire de recourir à l'ORL à ce stade.
► Par contre, il convient de regarder les dents sinusiennes du côté atteint, c'est-à-dire les prémolaires et les molaires. Ces dents ont-elles été dévitalisées et couronnées ? Y a-t-il des implants ? Ces observations dentaires peuvent guider votre enquête.
Quel(s) examen(s) complémentaire(s) à ce stade ?
► Il est totalement inutile d'effectuer un prélèvement du pus et une analyse bactériologique des sécrétions nasales purulentes. Cela n'aura aucune conséquence immédiate ni dans l'enquête diagnostique ni les principes thérapeutiques. Aucune analyse sanguine n'est utile, notamment pas de numération formule sanguine, pas d'étude de la vitesse de sédimentation ou de la CRP.
► Le seul examen paraclinique à demander est un examen tomodensitométrique (TDM, ou un ConeBeam) des cavités naso-sinusiennes, en coupes axiales, coronales et sagittales, sans injection de produit de contraste et couplé avec des coupes passant par les apex dentaires de l'arcade dentaire supérieure (couplage idéal avec un dentascanner).
Vous avez demandé cet examen tomodensitométrique et vous revoyez le patient avec les résultats (figures 1A, 1B et 1C).
Comment analyser ces clichés ?
L'analyse des images d'un examen tomodensitométrique des cavités naso-sinusiennes est facile et doit être réalisée par tout médecin généraliste.
► Il faut repérer quelques éléments anatomiques : l'orbite, le cerveau, la cavité orale. Les sinus sont facilement identifiés : sinus maxillaire sous l'orbite, sinus frontal au-dessus de l'orbite, sinus sphénoïdal le plus postérieur des sinus, sinus ethmoïdal situé entre les deux orbites. Normalement, toutes les cavités aériennes nasales et sinusiennes doivent être pleines d'air, donc de couleur noire.
Dans le cas de notre patient, l'analyse des images radiologiques (figures 1A, 1B et 1C) doit être réalisée en deux étapes :
Une étape de diagnostic topographique : quel est (ou sont) le(s) sinus atteint(s) ? Le seul atteint est ici le sinus maxillaire gauche dont la moitié inférieure présente une opacité (grisée). Il s'agit donc d'une sinusite maxillaire gauche chronique.
Une étape étiologique : dans le cadre des atteintes isolées du sinus maxillaire, deux étiologies dominent :
– L'aspergillose, dont le marqueur radiologique est la présence de micro-calcifications au sein de l'opacité.
– Une étiologie dentaire, le plus souvent un granulome apical sur une dent sinusienne (prémolaires et molaires de l'arcade dentaire supérieure). Ici, on peut voir un volumineux granulome rompu dans le sinus maxillaire sans aucune micro-calcification intra-sinusienne. Il s'agit donc d'une sinusite maxillaire gauche chronique liée à un granulome sur une dent sinusienne.
Conclusion
Le médecin généraliste, devant un tel cas clinique, peut donc conduire seul, sans l'aide d'un ORL, la première étape diagnostique et thérapeutique. Le diagnostic de sinusite maxillaire chronique gauche liée à la rupture d'un volumineux granulome dentaire dans le sinus est posé sans difficulté à partir de l'analyse sémiologique des symptômes et de l'étude simple de l'examen tomodensitométrique. Le chirurgien dentiste doit traiter ce granulome. Il n'est pas utile à ce stade d'obtenir un avis ORL : le diagnostic est évident. Dans un second temps, une fois les soins dentaires réalisés, si les symptômes naso-sinusiens persistent, un avis auprès d'un ORL s'avérera indispensable.
Bibliographie
Le livre de l'interne-ORL. Sous la direction de Pierre Bonfils, éditions Lavoisier, 2017
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