L’appellation « tumeur superficielle » ou « polype » de vessie n’existe plus, elle est remplacée par « tumeur n’infiltrant pas le muscle vésical » (TVNIM). L’appellation « tumeur infiltrant le muscle vésical » (TVIM) remplaçe celle de « tumeur invasive ». Le terme « superficiel » impliquait un pronostic favorable qui ne correspond pas toujours à la réalité (2). Cette notion d’absence d’infiltration du plan musculaire dans le terme TVNIM est majeure : elle indique dans la majorité des cas la possibilité d’un traitement conservateur, contrairement aux tumeurs infiltrant le muscle (TVIM) dont le traitement standard en l’absence de métastases reste la cystectomie. Une tumeur est définie par son stade et son grade qui représentent des facteurs pronostiques majeurs.
ÉPIDÉMIOLOGIE DES TUMEURS DE VESSIE
Un carcinome vésical est diagnostiqué ou traité dans le monde chez 2,7 millions de personnes chaque année. En France, cette pathologie occupe la 5e place en incidence, avec près de 12 000 cas/an. Elle est responsable de 3 % des décès par cancer (4,1 chez l’homme et 1,8 chez la femme), soit près de 5 000 en 2015.
► L’âge moyen de découverte est de 70 ans. Le tabagisme représente le principal facteur de risque, une exposition importante (> 30 paquets/année), spécialement chez les hommes, est associée au développement d’une tumeur de haut grade et de stade localement avancé. Certaines expositions professionnelles (hydrocarbures aromatiques polycycliques interdits depuis 1987, sauf contextes exceptionnels) sont aussi, mais plus rarement, en cause.
► Dans 90 % des cas, les tumeurs sont urothéliales, les 10 % restants étant représentés par les carcinomes épidermoïdes et l’adénocarcinome.
Au moment du diagnostic de tumeur vésicale, près de 80 % des patients ont une TVNIM, 60 à 70 % récidiveront la première année et 10 à 20 % progresseront vers des tumeurs invasives ou métastatiques. Les TVIM sont associées à un envahissement ganglionnaire dans 20 à 60 % des cas et sont métastatiques d’emblée dans 7 % des cas (1).
Physiopathologie
La vessie est un réservoir contractile dont l’essentiel de la paroi est constitué de muscle, le détrusor. L’intérieur de la vessie est tapissé de muqueuse urothéliale. Entre la muqueuse et le détrusor se trouve un tissu conjonctif, le chorion (ou sous-muqueuse). La profondeur de l’infiltration de la paroi vésicale par une tumeur de vessie définit le stade T. Les tumeurs de vessie n’infiltrant pas le muscle (TVNIM) comprennent les tumeurs limitées à la muqueuse (Ta) et celles envahissant le chorion (T1). S’ajoutent aux TVNIM le carcinome in situ désigné par CIS (ou Tis dans la classification TNM). Le CIS est une tumeur limitée à la muqueuse mais qui se distingue de la tumeur Ta par les caractéristiques suivantes : elle est plane (et non papillaire) et toujours de haut grade.
DIAGNOSTIQUER LES TUMEURS VÉSICALES
Hématurie surtout, mais pas seulement
Une hématurie macroscopique, souvent terminale, est le signe clinique le plus fréquent, présent dans 80 % des cas. Toute hématurie macroscopique doit faire rechercher une tumeur de la vessie.
► Que faire en cas d’hématurie microscopique découverte incidemment ? Il n’y a pas de recommandation consensuelle pour répondre à cette question, les sociétés d’urologie et de néphrologie ne proposant pas le même arbre décisionnel à l'égard d’une hématurie microscopique. Ce qui est important, c’est qu’en situation de patient à risque, exposition tabagique ou professionnelle, cette hématurie microscopique doit conduire à la réalisation d’une fibroscopie vésicale.
► Des signes d’irritation vésicale (pollakiurie, impériosité mictionnelle, brûlure urinaire), en l’absence d’infection urinaire, sont observés dans 20 % des cas (1).
► Dans une population à risque de cancer de la vessie du fait d’une exposition professionnelle antérieure motivant un dépistage ciblé, il est recommandé de mettre en place les examens de dépistage 20 ans après le début de l’exposition au cancérogène vésical en respectant un protocole de surveillance.
« à l'égard des patients tabagiques et pour le tabagisme passif, il n’y a pas actuellement de recommandation, notamment de cut-off en termes de P/A ou de durée d’exposition, pour décider quand pratiquer un dépistage. Les patients fumeurs doivent être informés du risque de cancer de vessie et appelés à consulter en cas d’hématurie et signes fonctionnels vésicaux. »
Les examens nécessaires au diagnostic
Le diagnostic de tumeurs de la vessie repose sur la cytologie urinaire et la cystoscopie. Un ECBU, une évaluation de la fonction rénale et une échographie de l’appareil urinaire permettent d’éliminer une cause rénale ou infectieuse.
► Cytologie urinaire : la cytologie urinaire a une sensibilité élevée pour la détection des cellules tumorales de haut grade (avec une sensibilité de plus de 90 % dans la détection du CIS) mais présente une faible sensibilité pour les tumeurs de bas grade. Une cytologie urinaire positive peut indiquer la présence d’une tumeur n’importe où dans la voie excrétrice urinaire, une cytologie négative n’exclut pas la présence d’une tumeur à n’importe quel niveau des voies excrétrices.
► Cystoscopie. C’est l’examen de référence. L’endoscopie réalisée en consultation permet une cartographie des lésions (nombre, taille, situation, aspect de la tumeur et de la muqueuse vésicale…). Cependant si une échographie ou un TDM évoque suffisamment une tumeur de vessie (TV), cette étape diagnostique devient optionnelle.
► Une vidéocystoscopie avec fluorescence (Hexvix®) peut être utilisée. Elle améliore le taux de détection des TV de petite taille, plus particulièrement les lésions de CIS.
La résection transurétrale de vessie (RTUV)
La RTUV est à la fois un geste diagnostique (le diagnostic de la tumeur de la vessie dépend de l’examen histologique de la totalité de la lésion réséquée) et thérapeutique. Elle permet de confirmer l’origine tumorale et de préciser la nature urothéliale ou, rarement, non urothéliale. Elle permet également d’apporter les précisions indispensables à la prise en charge : le stade T et le grade. La stadification (stade T) nécessite une résection profonde emportant les différentes strates vésicales et incluant la musculeuse.
Le bilan d’extension repose sur l’examen tomodensitométrique (TDM)
► En cas de TVNIM, le bilan d’extension par uro-TDM n’est pas systématique, mais il est d’autant plus justifié que le grade cellulaire est élevé ou que la tumeur est volumineuse (diamètre > 3 cm). De plus, il est généralement recommandé au moment du diagnostic initial de TVNIM à la recherche d’une éventuelle lésion du haut appareil urinaire synchrone. Le risque de développer une tumeur de la voie excrétrice supérieure est accru en cas de tumeurs multifocales ou à haut risque.
► En cas de TVIM, l’examen TDM thoraco-abdomino-pelvien réalisé sans et avec injection de produit de contraste permet :
• d’évaluer le retentissement sur le haut appareil urinaire et de rechercher une lésion associée éventuelle du haut appareil ;
• d’apprécier l’envahissement des organes de voisinage et l’infiltration de la graisse péri- vésicale ;
• de rechercher des adénopathies locorégionales : valeur prédictive positive de l’ordre de 65 % ;
• d’éliminer des métastases à distance.
► Les performances diagnostiques de l’IRM sont équivalentes, mais le TDM, de par ses clichés excrétoires, permet une meilleure analyse des voies urinaires supérieures.
Le TEP-TDM n’a pas de place définie dans la prise en charge standard actuelle des TVIM. Des études sont en cours pour préciser son intérêt dans le bilan d’extension ganglionnaire et métastatique.
Le classement au terme du bilan
► Le stade tumoral :
− TVNIM : Ta (non invasive), Tis (carcinome in situ), T1 (envahissement du chorion) ;
− TVIM : T2 (envahissant le muscle), T3 (envahissant le tissu périvésical), T4 (envahissant un organe de voisinage).
► Le grade tumoral qui correspond au degré de différenciation de la tumeur et permet de classer les tumeurs en haut grade et en bas grade. Le CIS est toujours de haut grade alors que les tumeurs Ta sont le plus souvent de bas grade.
► La présence d’adénopathies (N0 ou N+) et de métastases à distance (M0 ou M).
► D’autres facteurs permettent d’apporter des précisions pronostiques supplémentaires : nombre, taille, délai entre la première résection de tumeur et la première récidive…
à partir de ces facteurs, un score (EORTC) permet de classer les patients en fonction à la fois du risque de récidive tumorale et de progression (1).
PRISE EN CHARGE DES TUMEURS DE VESSIE N’INFILTRANT PAS LE MUSCLE (TVNIM)
Le traitement repose sur la résection transuréthrale de vessie associée, selon les cas, à des instillations endovésicales.
Quelle que soit la tumeur, l’arrêt du tabac est un impératif. Les tumeurs de la vessie n’infiltrant pas le muscle représentent un large groupe de tumeurs très hétérogènes, d’évolution et de pronostic différents, mais qui ont en commun un risque de récidive élevé après résection endoscopique − risque évalué à 70 %. C’est dire l’importance d’une prise en charge thérapeutique rigoureuse et d’une surveillance stricte. Les TVNIM de stade T1, les carcinomes de haut grade et les carcinomes in situ sont des tumeurs à haut risque ayant un fort potentiel invasif, le risque faible correspond aux tumeurs de premier diagnostic et Ta de bas grade, lésion unique < 3 cm. Le stade intermédiaire inclut Ta bas grade multifocale et/ou récidivante, T1 bas grade.
Résection endoscopique de la tumeur ou résection transuréthrale de vessie (RTUV)
► Une RTUV macroscopiquement complète est toujours la première étape thérapeutique dans les TVNIM. Les tumeurs doivent être réséquées en un seul bloc emportant en profondeur la muqueuse vésicale jusqu’au muscle vésical. Une instillation préopératoire précoce (IPOP) de mitomycine est réalisée dans les 6 heures (au plus tard 24 heures) après la RTUV. Elle diminuerait le risque de récidive de 12 à 39 %.
► Dans les tumeurs à faible risque de récidive et de progression (typiquement une tumeur unique, de petite taille, de stade Ta et de bas grade), la RTUV peut être le seul traitement actif associé à une surveillance endoscopique.
► Les tumeurs dites à risque intermédiaire ou élevé de récidive relèvent de façon standard d’instillations intravésicales pour diminuer le risque de récidive et peut-être de progression.
En cas de tumeur de stade T1 et/ou de grade élevé, de tumeur volumineuse et/ou multifocale ou d’absence de muscle identifié dans la pièce de résection, une seconde RTUV est systématique 4 à 6 semaines plus tard (3).
Les instillations endovésicales
Deux types d’instillations peuvent être proposés.
► Chimiothérapie intravésicale : la mitomycine C à 40 mg, 6 à 8 instillations, rythme hebdomadaire, suivies ou non d’installations mensuelles pour les tumeurs à risque intermédiaire. Les conditions d’instillation sont strictes. Les effets indésirables sont surtout locaux : cystite chimique, allergies cutanées.
► L’immunothérapie par le BCG n’est pas directement cytotoxique pour la cellule tumorale, contrairement à la chimiothérapie. Elle stimule l’immunité de l’hôte qui va à son tour détruire la cellule. Actuellement, l’agent d’immunothérapie utilisé de façon courante est une forme atténuée de Mycobacterium tuberculosis (Immucyst®) qui s’utilise à la dose de 81 mg par instillation intravésicale. Les effets indésirables sont nombreux : cystite, douleurs pelviennes, prostatite, syndrome grippal, arthralgies… (4).
► Les études sont en faveur d’une meilleure efficacité de l’immunothérapie intravésicale dans les tumeurs urothéliales de haut grade comparée à celle de la chimiothérapie intravésicale. Cette dernière a ses meilleures indications dans les tumeurs de bas grade, d’autant que ses effets secondaires sont généralement moins marqués que ceux de l’immunothérapie intravésicale (5, 6).
Un suivi impératif
► Du fait du risque de récidives de haut grade, la découverte d’une TVNIM fait entrer systématiquement le patient dans un cycle de surveillance endoscopique. La première cystoscopie à 3 mois de la RTUV initiale a une valeur pronostique majeure. En pratique, sont recommandés :
− risque faible : cystoscopie à 3 mois, 12 mois puis annuelle pendant 10 ans ;
− risque intermédiaire : cystoscopie à 3, 6,12 mois puis annuelle pendant 15 ans (à vie si persistance du tabagisme) + cytologie urinaire couplée à un uro-TDM tous les deux ans ;
− risque fort : cystoscopie à 3, 6, 9, 12 mois, puis tous les 6 mois pendant un an, puis annuelle à vie.
► En cas de tumeur résistant ou réfractaire au BCG − un temps total de suivi de 6 mois est nécessaire pour identifier un échec −, le traitement de référence reste la cystectomie totale. Parfois, peuvent être discutés un traitement par interféron ou par gemcitabine.
PRISE EN CHARGE DES TVIM
TVIM non métastatiques
Le traitement curatif de référence est chirurgical : cystectomie totale incluant l’exérèse des organes de voisinage (prostate et vésicules séminales chez l’homme, assez souvent l’utérus chez la femme) et un curage ganglionnaire étendu. Une néo-vessie (entéro-cystoplastie) est réalisée, habituellement à partir de l’iléon avec conservation autant que possible de l’urètre pour préserver la continuité urinaire précieuse pour l’image corporelle du patient, sinon avec une urétérostomie cutanée transiléale (de type Bricker) (7). Une rééducation spécifique est indispensable pour obtenir une continence satisfaisante. Pour les tumeurs localisées à la vessie, le taux de survie à 5 ans est de 75 à 85 %. Le suivi est bisannuel les trois premières années, puis annuel. Dans certains cas (contre-indication ou refus par le patient) peuvent être proposés chimiothérapie et/ou radiothérapie +/- cystectomie partielle… L’indication de la cystectomie totale ne doit pas être remise en question du fait de l’âge du patient, la morbidité étant associée, surtout aux comorbidités... Chez ces patients âgés, cette chirurgie nécessite une équipe entraînée avec une prise en charge périopératoire gériatrique.
Les TVIM métastatiquesPour les TVIM métastatiques, une première ligne de chimiothérapie à base de sels de platine (gemcitabine and cisplatin [GC] ou methotrexate, vinblastin, doxorubicin and cisplatin [MVAC]) est recommandée si l’état général et la fonction rénale (clairance créat > 6 ml/min) l’autorisent (50 % seulement des cas). En deuxième ligne de traitement, seule l'indication de la vinflunine est aujourd'hui validée, même si les résultats des essais cliniques concernant l'immunothérapie sont encourageants.
Lexique
• L'appellation « tumeur n'infiltrant pas le muscle vésical »(TVNIM) remplace celle de « tumeur superficielle » et celle de « polype ».
• L'appellation « tumeur infiltrant le muscle vésical » (TVIM) remplace celle de « tumeur invasive ».
• Le terme « tumeur superficielle » n'a plus d'usage car le pronostic favorable qu'il véhiculait ne correspond plus à la réalité.
Bibliographie
1- Roupret M, Neuzillet Y, Masson-Lecomte A, Colin P et al. Recommandations en onco-urologie 2016-2018 du CCAFU : Tumeurs de la vessie. Progrès en Urologie Volume 27, n° S1 : 67-91
(novembre 2016)
2- Irani J, Berardini S, Davin JL, et al. Les tumeurs superficielles de vessie n’existent plus. Prog Urol 2008 18: 204–5
3- Neuzillet Y Principes de la prise en charge des tumeurs de vessie n’infiltrant pas le muscle (TVNIM) en 2015. Oncologie 2015 17: 158.
4- Brausi M1, Witjes JA, Lamm D, Persad R, Palou J, Colombel M, Buckley R, Soloway M, Akaza H, Böhle A. A review of current guidelines and best practice recommendations for the management of nonmuscle invasive bladder cancer by the International Bladder Cancer Group. J Urol. 2011 Dec;186 (6):2158-67
5- Wallerand H. Instillations endovésicales et cancer de la vessie. Prog Urol 2009 ;19 :868-871
6- Roupret M, Neuzillet Y, Larré S, et al. (2012) Recommandation du comité de cancérologie de l’Association française d’urologie (CC-AFU) pour la bonne pratique des instillations endovésicales de BCG et de mitomycine C dans le traitement des tumeurs de vessie n’envahissant pas le muscle (TVNIM). Prog Urol. 22: 920–31
7- Lebret T. Remplacement vésical et cancer de la vessie. 2009 ;19: 872-880.
Étude et pratique
HTA : quelle PA cible chez les patients à haut risque cardiovasculaire ?
Mise au point
Troubles psychiatriques : quand évoquer une maladie neurodégénérative ?
Étude et pratique
Complications de FA, l’insuffisance cardiaque plus fréquente que l’AVC
Cas clinique
L’ictus amnésique idiopathique