L’insuffisance rénale chronique reste très longtemps asymptomatique. Elle est mal connue des médecins et des patients, son caractère asymptomatique la faisant considérer à tort comme peu grave. Pourtant au stade débutant, son évolution peut être freinée, voire stoppée et elle peut même régresser.
RAPPEL PHYSIOLOGIQUE
La fonction globale du rein est quantifiée par la filtration glomérulaire. L’insuffisance rénale est caractérisée par une diminution de la filtration glomérulaire en rapport avec une réduction permanente du nombre de néphrons fonctionnels. La mesure de la filtration glomérulaire fait appel au concept de clearance rénale qui en pratique peut être mesurée par la clairance d’un marqueur endogène : la créatinine. Arbitrairement l’insuffisance rénale est définie par une filtration glomérulaire < 90 ml / mn. La filtration glomérulaire peut être calculée par la formule de Cockcroft ou le score MDRD à partir du seul dosage sanguin de la créatinine (il n’y a pas besoin de recueillir les urines).
DEPISTAGE SYSTEMATIQUE DÈS 40 ANS
Puisqu’il est possible de stopper l’évolution de l’insuffisance rénale (5), il est nécessaire de mesurer systématiquement la créatinine plasmatique à 40 ans et la clearance de la créatinine chez tous les patients et en particulier dans tous les sous-groupes de patients à risque élevé d’atteinte rénale.
Non traitée, l’insuffisance rénale progresse inexorablement.
L’application systématique des recommandations de dépistage de l’ANAES permettrait de dépister correctement et précocement plus de 75 % des néphropathies (1). Le terme d’insuffisance rénale signifie qu’il existe une réduction permanente et définitive du nombre de néphrons fonctionnels. La destruction des néphrons fonctionnels est progressive. La filtration glomérulaire reste longtemps inchangée en raison de l’adaptation des néphrons restant (hypertrophie et hyperfonctionnement). La filtration glomérulaire ne commence à diminuer que lorsque la perte atteint 50 % des néphrons. La créatinine plasmatique reste ainsi longtemps normale. Lorsque la filtration glomérulaire est réduite de 50 %, la destruction de la masse rénale fonctionnelle est de 70 à 80 % et il est trop tard pour mettre en œuvre des traitements adaptés. En agissant suffisamment tôt, c’est-à-dire durant la période initiale de progression de la maladie rénale, il est possible de stopper l’aggravation de la maladie.
LES PATIENTS A RISQUE PARTICULIER
- Tous les patients ayant des facteurs de risque cardiovasculaires sont des patients à haut risque de complications rénales : les patients hypertendus (14 millions en France), les diabétiques (2 millions), les pathologies athéromateuses en particulier l’hypercholestérolémie (7 millions en France), les insuffisants cardiaques (estimé à 1 million en France).
- Mais aussi les insuffisants hépatiques, les infections urinaires récidivantes, tous les patients ayant une pathologie urinaire ou rénale…
- La connaissance de la fonction rénale est particulièrement importante après 75 ans, lorsque plus de 2 médicaments sont prescrits et en particulier pour les molécules à élimination rénale.
- Le dosage de la créatinine doit également être la règle lors de l’utilisation de médicaments potentiellement néphrotoxiques : lithium, antiviraux, anticalcineurines, IEC ou ARA2, diurétiques, antalgiques, certaines chimiothérapies (cisplatine), produits de contraste iodés.
LES INDICATEURS BIOLOGIQUES
L’imperfection de la créatininémie
La créatininémie reste longtemps normale du fait de la compensation fonctionnelle des néphrons restants. Lorsqu’elle s’élève la maladie rénale est déjà évoluée. L’augmentation de la créatinine plasmatique est ainsi un signe peu sensible et tardif pour dépister une altération débutante de la fonction rénale, car la relation entre débit de filtration glomérulaire et créatininémie, n’est pas linéaire. Une filtration glomérulaire (FG) réduite de 50 % ne peut se traduire que par une légère élévation de la créatininémie.
En effet, la relation entre créatininémie et filtration glomérulaire est une hyperbole inversée avec en ordonnée la créatinine plasmatique et en abscisse le débit de filtration glomérulaire. Dans la partie horizontale de cette courbe, il faut une réduction importante de la filtration glomérulaire pour induire une augmentation significative de la créatinine plasmatique.
Exemple d’une créatininémie de 105 µmol (12 mg /l) : pour un homme de 30 ans sportif pesant 85 kg, la fonction rénale est normale à 101 ml/min, alors que chez une femme de 75 ans pesant 46 kg une créatininémie identique est associée à insuffisance rénale sévère puisque la filtration glomérulaire est de 29,6 ml/min (2,3).
En pratique, la créatininémie et FG ne sont bien corrélées que pour des débits de filtration inférieurs à 30 ml/mn, c’est à dire au stade sévère d’évolution de l’insuffisance rénale.
Cockcroft systématique
Pour interpréter correctement une valeur de la créatinine plasmatique, il faut la corriger par la masse musculaire qui est fonction du poids du sexe et de l’âge.
Cette correction est obtenue par la formule de Cockcroft, intégrant le poids, l’âge et le sexe et dont le calcul doit être systématiquement associée au dosage de la créatininémie.
Ce calcul permet une première approche de la filtration glomérulaire puisque la clairance de la créatinine est assimilée (grossièrement) à la filtration glomérulaire. lors d’une demande de dosage de la créatinine, le médecin doit ransmettre au biologiste le poids et l’âge du patient afin de lui permettre de calculer la formule.
Lorsque la filtration rénale baisse, un avis néphrologique s’impose toujours pour le diagnostic étiologique, le traitement et le suivi de la fonction rénale.
La valeur normale de la clairance de la créatinine est de 120 ml / mn ± 20 ml /mn. Un débit de filtration glomérulaire (DFG) › 90 ml / mn correspond à une fonction rénale normale, un DFG < 60 ml correspond à une insuffisance rénale modérée. Entre 30 et 15 ml /mn l’insuffisance rénale est sévère, en dessous de 15 ml / mn elle est qualifiée de terminale.
Entre 90 et 60 ml / mn, un avis néphrologique s’impose systématiquement car il peut s’agir d’une insuffisance rénale débutante, sans aucun autre signe de néphropathie. La conduite à tenir doit être supervisée par le néphrologue. A fortiori, lorsque des signes biologiques, radiologiques ou histologiques de néphropathie sont présents, le diagnostic d’insuffisance rénale débutante est certain. A noter que le dosage isolé de l’urée sanguine n’a aucun intérêt et doit être systématiquement remplacé par le dosage de la créatinine plasmatique.
Pièges : au dessus de 75 ans, la formule de Cockcroft est peu évaluée, elle sous estime la fonction rénale de l’âgé.
Chez l’obèse (IMC › 30 kg / m2), la formule de Cockcroft surestime la fonction rénale.
A l’âge de 80 ans, la filtration glomérulaire est réduite en moyenne à 60 ml/mn. Il s’agit d’une véritable insuffisance rénale.
TRAITER RALENTIT L’EVOLUTION
La prise en charge de l’insuffisance rénale est le plus souvent tardive, la maladie rénale étant déjà évoluée.
L’Anaes souligne que les médecins méconnaissent le rôle du néphrologue en dehors de la dialyse. Elle recommande ainsi d’adresser le patient précocement au néphrologue pour réaliser un bilan étiologique, optimiser l’efficacité du traitement néphroprotecteur, organiser le suivi du patient et l’informer précisément sur sa maladie.
Deux facteurs clés réduisent la progression de l’IR : le contrôle tensionnel et la baisse du débit de la protéinurie. L’objectif tensionnel est d’obtenir une pression artérielle en dessous de 130 / 80 mmHg. Les IEC et les ARA2 réduisent la protéinurie et ralentissent la vitesse de progression de 30 à 40 % de la maladie rénale en comparaisons aux autres antihypertenseurs (1).
La protéinurie joue un rôle aggravant de l’insuffisance rénale. La diminution de l’apport protidique est un moyen de diminuer modestement la protéinurie. L’ANAES recommande ainsi de ne pas dépasser un apport protidique 0,75-0,80 g/kg/j (l’alimentation occidentale classique avec 1,3 g/kg/ j de protides est excessive).
Chaque diminution de 0,2g /kg / jour d’apport protidique diminuerait la progression de l’insuffisance rénale de 1,15 ml / an. L’objectif à atteindre est une protéinurie inférieure à 0,5 g/j.
Le contrôle de la PA et de la protéinurie a un effet bénéfique synergique sur le ralentissement de la maladie rénale.
- Une restriction sodique doit être associée au traitement médicamenteux, car elle potentialise l’effet du traitement.
- Le traitement des dyslipidémies réduit la progression de la maladie rénale.
- Pour ralentir la progression de l’IR, il est également nécessaire contrôler strictement l’équilibre glycémique chez les sujets diabétiques.
- Autre élément clé : l’arrêt du tabac est impératif.
INSUFFISANCE RÉNALE ET MEDICAMENTS
La prescription des médicaments est un casse tête chez l’insuffisant rénal. En pratique, il apparaît souhaitable de réaliser un tableau des médicaments les plus prescrits pour vérifier rapidement s’ils peuvent être prescrits en cas d’IR (selon sa gravité) et si oui comment les prescrire. L’insuffisance rénale en fonction de sa gravité, peut diminuer de façon importante l’élimination urinaire des médicaments qui sont éliminés sous leur forme active par le rein. Sans adaptation de la posologie de ces médicaments, la diminution de l’élimination conduit à un allongement de la demi-vie d’élimination et à une augmentation des concentrations plasmatiques.
Globalement, la posologie doit être adaptée pour les insuffisances rénales dont la filtration glomérulaire est < 50 ml/mn.
L’adaptation posologique peut se faire soit en augmentant l’intervalle de temps entre les prises avec conservation des doses, soit en diminuant la posologie en conservant le même intervalle.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens doivent être évités. Les antalgiques sont généralement éliminés par le foie, leur posologie ne nécessite pas de modification. La morphine est à prescrire sous haute surveillance. Les hypoglycémiants oraux et les biguanides sont contre-indiqués.
De nombreux antibiotiques nécessitent une adaptation posologique. Les antibiotiques ne nécessitant en principe pas d’adaptation posologique à la fonction rénale sont les suivants : ceftriaxone, cefuroxime, clindamycine, doxycycline, flucloxacilline, fluconazole, metronidazole. Les antivitamine K ne nécessitent pas d’adaptation posologique car métabolisés par le foie, mais l’hypoalbuminémie fréquente chez ces patients, augmente la fraction libre des AVK et leur activité anticoagulante.
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