Madame G., âgée de 34 ans, consulte pour une surdité progressive apparue voici quelques années et s'aggravant lentement. La surdité a débuté par l'oreille gauche, qui reste d'ailleurs la plus atteinte, mais a secondairement touché l'oreille droite. Madame G. se plaint également d'acouphènes de tonalité aiguë ; elle a beaucoup de mal à les localiser : ils semblent être au milieu du crâne. La patiente signale que la surdité s'est aggravée après l'accouchement de son deuxième enfant voici 4 ans. Madame G. a eu quelques otites moyennes aiguës dans l'enfance et elle se souvient de la paracentèse qu'on avait dû lui faire en urgence du côté gauche vers l'âge de 5 ans. Elle a comme antécédent un asthme bien équilibré et une légère hypercholestérolémie. Elle ne rapporte aucun antécédent familial, notamment pas de surdité familiale connue.
COMMENT MENER L’EXAMEN CLINIQUE ?
L'examen clinique d'un patient présentant une surdité comprend systématiquement deux temps, l'otoscopie et l'acoumétrie.
L’examen otoscopique
Le premier temps est toujours un examen otoscopique. Il importe de s'assurer qu'il n'y a pas de bouchon de cérumen, puis d'examiner avec attention le tympan, avec un bon éclairage, en regardant à la fois la pars tensa (représentant 4/5e de la partie inférieure du tympan) et la pars flaccida (située au-dessus du col du marteau).
L’acoumétrie
Réalisé dans un deuxième temps, et bien que souvent redouté, cet examen est très simple dans sa réalisation et dans son interprétation. Il nécessite seulement d'avoir un diapason de fréquence grave (souvent 250 Hz, voire 500 Hz). Il permet en moins de 30 secondes d'établir un diagnostic topographique de la surdité. C'est un temps essentiel de l'examen clinique en otologie.
→ L'acoumétrie est l'étude “clinique” de l'audition, contrairement à l'audiométrie qui en est l'étude paraclinique et doit être réalisée par un ORL en chambre sourde.
L'acoumétrie comprend trois étapes :
– l'évaluation du côté le plus sourd
– la réalisation de l'épreuve de Rinne
– la réalisation de l'épreuve de Weber.
L'otoscopie de Madame G. est strictement normale : méat acoustique externe large et tympan sans aucune anomalie. Madame G. entend moins fort le son du diapason vibrant du côté gauche. L'acoumétrie découvre un Rinne négatif des deux côtés et un test de Weber est latéralisé du côté gauche. Comment interpréter ces données cliniques ? Faut-il prescrire des examens ?
INTERPRÉTATION DE L’EXAMEN CLINIQUE
L'examen clinique est en faveur d'une surdité de transmission bilatérale et asymétrique, prédominant du côté gauche. La première hypothèse diagnostique est une otospongiose. Une règle : la première étiologie d'une surdité de transmission à tympan normal est une otospongiose. Le médecin généraliste peut donc évoquer ce diagnostic par son seul examen clinique, en moins de 5 minutes.
LES EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
Deux examens complémentaires doivent être demandés :
– un audiogramme tonal et vocal réalisé en cabine audiométrique insonorisée par un ORL
– un scanner de l'oreille moyenne en coupes fines et jointives, sans injection, avec des coupes centrées sur la fenêtre du vestibule.
L'audiogramme sera couplé au tympanogramme (mesurant la pression dans la caisse du tympan) qui sera ici normal, mais aussi à une étude des réflexes stapédiens qui montreront une abolition de ce réflexe lié à la fixation de l'étrier (stapes dans la nouvelle dénomination anatomique). Le scanner de l'oreille moyenne visualisera l'épaississement de la platine de l'étrier, aspect pathognomonique d'otospongiose (photo 1).
L'audiogramme va confirmer l'existence d'une surdité de transmission bilatérale prédominant à gauche, et le scanner l'existence de foyers otospongieux bilatéraux.
QUE DIRE À LA PATIENTE ?
Il faut expliquer à la patiente que sa surdité est liée à l'immobilisation progressive d'un petit osselet de l'oreille, dans la caisse du tympan (un schéma de l'oreille est souvent utile), que l'on nomme l'étrier (car il a la forme d'un étrier utilisé pour mener un cheval).
Cet osselet fonctionne comme un piston de moteur de voiture : il s'enfonce dans l'oreille interne lors d'une stimulation sonore afin de transmettre la pression acoustique du son à l'oreille interne. En s'immobilisant, la pression sonore n'est plus transmise à l'oreille interne et au nerf auditif : la surdité s'installe.
→ L'évolution se fait inéluctablement vers l'aggravation, dont le décompte temporel varie considérablement d'un patient à l'autre, se chiffrant en mois ou en années. En outre, avec le temps, c'est l'oreille interne elle-même qui va s'altérer : il ne faut pas attendre que cette altération s'installe car elle est irréversible.
→ Le seul traitement curateur est chirurgical : il consiste à enlever le foyer otospongieux et à rétablir la transmission des sons du tympan vers l'oreille interne. Cette intervention est efficace dans plus de 95 % des cas.
→ Elle comporte néanmoins le risque d'une dégradation irréversible de l'oreille interne plus ou moins importante : ce risque est estimé à moins de 3 % dans l'ensemble des séries publiées dans la littérature.
→ L'intervention est indolore mais peut générer quelques vertiges qui sont toujours temporaires. La décision d'une intervention sera posée par l'ORL ; ce geste chirurgical doit être réalisé par un chirurgien ORL habitué à une telle chirurgie. Lorsque le patient refuse l'intervention, seul l'appareillage permet de corriger la surdité, mais la maladie évolue et l'appareillage doit être de plus en plus puissant.
CONCLUSION
L'otospongiose ou otosclérose est une ostéodystrophie de la capsule labyrinthique d'origine génétique avec une transmission autosomique dominante. Elle provoque une ankylose stapédo-vestibulaire qui se traduit par une surdité de transmission. Lorsqu'elle évolue, elle peut également affecter l'oreille interne et provoquer une surdité mixte. Sa prévalence est comprise entre 0,2 % et 1 %, avec un sex-ratio de deux femmes pour un homme.
Cette maladie affecte l'adulte jeune et le signe révélateur est une surdité parfois associée à des acouphènes (30 % des cas). L'atteinte est parfois unilatérale au début mais devient bilatérale avec le temps.
Il faut y penser devant toute surdité de transmission à tympan normal. Le diagnostic est donc fortement suspecté par le médecin généraliste lors d'un simple examen clinique ; il est confirmé par le scanner.
Dès lors, un avis ORL s'impose, reposant sur un bilan audiométrique complet et précis.
L'examen acoumétrique en trois étapes
1- Latéralisation de la surdité
Dans un premier temps, on évalue le côté le plus sourd. Pour cela, on demande au patient, après avoir fait vibrer le diapason, de dire quel est le côté présentant la surdité la plus importante. Pour ce faire, on présente le diapason devant l'oreille gauche, puis devant l'oreille droite.
Le patient désigne naturellement et simplement l'oreille la plus sourde. Parfois, la perte auditive est identique des deux côtés.
2- Réalisation de l'épreuve de Rinne
L'épreuve de Rinne étudie séparément chaque oreille.
Elle consiste à comparer, oreille par oreille, la transmission du son en conduction osseuse (CO) et en conduction aérienne (CA).
→ Quelle en est la base physiologique ?
L'oreille moyenne (membrane tympanique et chaîne ossiculaire) est un amplificateur. Elle amplifie le son perçu par le tympan d'environ 30 décibels. Cette amplification disparaît donc lorsqu'on court-circuite l'oreille moyenne en stimulant directement l'oreille interne par vibration osseuse.
→ Chez le sujet sain, un son envoyé en conduction aérienne sera perçu avec une intensité supérieure de 30 décibels au même son transmis par conduction osseuse. On dit que le Rinne est positif : le patient entend plus fort en conduction aérienne qu'en conduction osseuse.
→ Lorsque l'amplificateur de l'oreille moyenne ne fonctionne pas, ce qui s'observe dans toutes les maladies du tympan, de la chaîne des osselets et de la caisse du tympan, le son envoyé par conduction aérienne sera perçu avec une intensité moins forte que le même son transmis par conduction osseuse. On dit que le Rinne est négatif : le patient entend moins fort en conduction aérienne qu'en conduction osseuse. Un Rinne négatif signe donc une pathologie de l'oreille moyenne.
→ En pratique, on réalise l'épreuve de Rinne de la manière suivante : – Appliquer le diapason vibrant sur la mastoïde (photo 2A) : la stimulation gagne directement l'oreille interne (la cochlée) en court-circulant l'oreille moyenne. – Lorsque le patient n'entend plus le son, mettre immédiatement le diapason devant le méat acoustique externe (photo 2B) : si le Rinne est positif, le patient doit à nouveau entendre le son (positif, j'entends à nouveau). Si le Rinne est négatif, il n'entend pas le son (négatif, je n'entends pas le son).
3- Réalisation de l'épreuve de Weber
Une fois l'épreuve de Rinne réalisée pour chaque oreille, l'épreuve de Weber va comparer les deux oreilles (photo 3). Elle permet de vérifier la cohérence de l'épreuve de Rinne. La stimulation est transmise par voie osseuse en appuyant le diapason sur l'axe de symétrie du corps, généralement au milieu du front. Ainsi, la stimulation est transmise par voie osseuse aux deux oreilles internes en même temps. Si la surdité, quel que soit son type, est bilatérale et symétrique, le son est perçu dans la tête, au milieu. En cas de surdité unilatérale ou asymétrique, le son sera perçu :
– Du côté de l'oreille la plus sourde en cas de surdité de transmission. Le patient est souvent étonné d'entendre le son du côté où il est le plus sourd : lorsque le Weber est latéralisé du côté sourd, ce test a une haute valeur sémiologique et il est pathognomonique de surdité de transmission.
– Du côté de l'oreille la moins sourde en cas de surdité de perception.
Bibliographie
Le Livre de l'Interne en ORL, sous la direction du Pr Pierre Bonfils. éditions Lavoisier, 2e édition, 2017, 800 p. (format poche).
Liens d'intérêts
L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêts relatif au contenu de cet article.
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