LA DERMOHYPODERMITE
Vous suivez ce patient âgé de 72 ans pour un diabète traité par metformine, une HTA sous enalapril et une hyperlipidémie sous statine. Il vous consulte en raison d’une fièvre à 40° survenue la veille et l’apparition d’un placard rouge, inflammatoire, à la face antérieure de sa jambe droite (photo1). Vous suspectez un érysipèle.
Les éléments en faveur de l’érysipèle
→ Le facteur favorisant principal de l’érysipèle est l’insuffisance veino-lymphatique de jambe et non un état d’immunodépression (alcool, diabète, cancer solide, chimiothérapie, infection par le VIH).L’érysipèle est une infection toujours d’origine streptococcique. Il se localise préférentiellement à la jambe. Une porte d’entrée minime (intertrigo interdigital, excoriations, fissure) est souvent retrouvée.
La seconde localisation de l’érysipèle est le visage.
→ Un érythème inflammatoire bilatéral de jambes – exceptionnel dans l’érysipèle – doit faire évoquer en priorité une poussée inflammatoire d’insuffisance veineuse et/ou lymphatique.
Vous traitez ce patient par amoxicilline à raison de trois grammes par jour et vous lui demandez de revenir deux jours plus tard. Il vous dit que l’état de sa jambe empire (voir photo 2).
Les autres hypothèses diagnostiques
→ La résistance à l’amoxicilline doit être d’emblée écartée car les différents streptocoques en cause dans l’érysipèle sont toujours sensibles aux pénicillines G et A. La clinique de la thrombophlébite veineuse profonde est très différente. Et il faut savoir qu’en cas d’érysipèle, les signes inflammatoires locaux régressent après J2.
→ La dermohypodermite nécrosante est une pathologie rare qu'il faut redouter et garder à l'esprit en cas de grosse jambe rouge aiguë, compte-tenu de l’urgence de sa prise en charge et de son mauvais pronostic.
→ D’autres diagnostics doivent être évoqués. La thrombophlébite veineuse profonde, si elle peut être associée à ce tableau, est en l’occurrence un diagnostic à écarter car sa présentation clinique est très différente
→ Une grosse jambe rouge aiguë fébrile n'est pas synonyme d'érysipèle streptococcique (photo 3). Une bursite staphylococcique peut mimer un érysipèle (photo 4) ou encore un abcès profond à staphylocoque (photo 5).
Le patient vous reconsulte deux jours plus tard, à J4. Il ne constate pas d’amélioration malgré l’augmentation des doses d’amoxicilline à 1,5 gr x 3/ jour. Sa fièvre persiste et il se plaint de douleurs vives aux jambes.
Le diagnostic de dermohypodermite
Vous suspectez au final une forme nécrosante de dermohypodermite compte-tenu de la présence très évocatrice de zones de nécrose et d’une crépitation neigeuse quasi pathognomonique. Les bulles cutanées ne constituent pas un signe discriminant ; du fait de l’œdème, des bulles mécaniques sont fréquentes dans les érysipèles simples aussi. De même, la présence d’un purpura n’est pas un signe discriminant. En effet, des zones purpuriques sont fréquentes dans les érysipèles simples quand il existe une vasodilatation intense.
Le traitement
→ L’antibiotique à privilégier est l’amoxicilline à la dose de 3g/j (1g x 3 par jour) pendant 10 jours. En cas d’allergie à la pénicilline, l’antibiotique alternatif est la pristinamycine (1 g, 3 fois par jour, pendant 10 jours).
En revanche, il ne faut pas administrer d’association amoxicilline/acide clavulanique, ni de pénicilline M ni de fucidine.
→ Les AINS sont une contre-indication : ils exposent au risque de fasciite nécrosante.
Au terme des 2 à 3 jours de surveillance, l’hospitalisation s’impose si la fièvre persiste ou en cas d’aggravation clinique.
→ L’antalgie repose sur les molécules de palier I ou II.
→ Gestion du risque de TVP. L’anticoagulation systématique ne s’impose pas, le doppler systématique non plus. Il sont indiqués en cas d’alitement ou de facteurs de risque personnels thrombo-emboliques.
→ La dermohypodermite nécrosante relève toujours d’une prise en charge en urgence. L’hospitalisation ne s’impose pas d’emblée. La décision peut intervenir secondairement au terme d’une surveillance active de l’évolution sous antibiotiques à 48 ou à 72 h.
TOXIDERMIE ET STEVENS-JOHNSON
Cette patiente de 28 ans vous consulte pour une éruption de macules discrètement papuleuses diffuses bilatérales et symétriques prédominantes sur le tronc. Elle n’a pas d’antécédent notable, hormis une épilepsie généralisée. Vous constatez un exanthème maculeux diffus.
Les causes d’exanthème maculo-papuleux
→ Les deux principales causes d’exanthème maculopapuleux sont les toxidermies médicamenteuses et les viroses éruptives. Il est difficile sémiologiquement de faire la différence entre un exanthème de toxidermie et un exanthème infectieux, l’éruption est la même.
L’origine peut aussi être bactérienne : scarlatine, syphilis secondaire, rickettsioses, etc.
Certaines maladies auto-immunes sont des causes rares d’exanthème maculopapuleux, notamment le lupus ou la maladie de Still.
En l’interrogeant plus précisément, vous apprenez que la patiente est suivie par un neurologue pour une épilepsie réfractaire. Son traitement vient d’être modifié avec l’introduction d’un nouveau médicament, la lamotrigine, dix jours auparavant. Compte tenu des risques liés aux anti-épileptiques, vous suspectez une toxidermie médicamenteuse.
Les principaux médicaments en cause
→ Les principaux médicaments inducteurs de toxidermie sont les antiépileptiques, les AINS, les antibiotiques et l’allopurinol. Attention aux médicaments que nous considérons à tort comme "sûrs". De très nombreux médicaments peuvent occasionner même rarement des toxidermies sévères. Parmi les anti-épileptiques, la carbamazepine, la phenytoïne, le phenobarbital sont des inducteurs. Mais les toxidermies après prise de valproate de sodium, de levetiracetam sont rares.
→ L’exanthème éruptif survient dans les semaines qui suivent, habituellement entre 7 et 15 jours après l’initiation d’un médicament inducteur.
→ La responsabilité d’un médicament dans la survenue d’une toxidermie repose sur des critères d’’imputabilité extrinsèque, c’est la mauvaise réputation du médicament fondée sur les données de pharmacovigilance.
Le lendemain, la patiente se plaint de douleurs endo-buccales. Vous constatez des érosions labiales et l’apparition de macules sombres (photos 8 et 9).
Les signes cliniques évocateurs de syndrome de stevens-johnson
Dans ce contexte, les signes qui plaident en faveur d’un syndrome de Stevens-Johnson sont :
- la chéilite érosive
- l'atteinte muqueuse
- la couleur violacée de l’exanthème
La fièvre n’est pas particulièrement évocatrice car toute toxidermie peut être fébrile.
L’extension et la confluence sont des signes de gravité en soi de toute toxidermie, mais pas de syndrome de Stevens Johnson à proprement parler.
La patiente est hospitalisée en urgence et la toxidermie évoluera vers un authentique Stevens-Johnson (photo 10).
En pratique
La constatation d’une toxidermie simple n’est pas une urgence. En revanche, la vigilance est de mise : il faut indiquer au patient de consulter en urgence en cas d’apparition de lésions muqueuses (type “angine”), même débutantes, en raison du risque de Stevens-Johnson.
Photos : Dr Edouard Begon
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