« Arrêtons de responsabiliser à outrance les soignants : les conditions de travail sont le principal facteur de dépression », alerte le Dr Guillaume Fond

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Publié le 29/07/2022
Dr Guillaume Fond

Dr Guillaume Fond
Crédit photo : Tijana Feterman

À l’issue de la troisième vague de Covid, plus de la moitié des médecins hospitaliers étaient en burn-out et un tiers en dépression, selon les premiers résultats de l'étude Amadeus, diffusée auprès de 10 000 soignants français et publiée en mars dans « Journal of nursing management ». La deuxième partie de l’étude, dirigée par le Dr Guillaume Fond, explore les mécanismes explicatifs de la dépression. « Le Quotidien » a interrogé le psychiatre aux hôpitaux universitaires de Marseille, également enseignant chercheur à la faculté de médecine de la Timone.

LE QUOTIDIEN : Quels sont les principaux résultats de la deuxième partie de votre étude ?

Dr GUILLAUME FOND : Nous avons montré que les facteurs professionnels sont au premier plan de l’explication du déclenchement de la dépression chez les professionnels de santé. Jusqu’à présent, on banalisait le phénomène, en disant que c’était un problème qui ne concernait pas l’hôpital en général. Quand un soignant faisait une dépression, on disait par exemple qu’il avait une vulnérabilité personnelle ou que c’était dû à des problèmes d’alcool. Mais on n’avait jamais démontré scientifiquement qu'il existait un mécanisme indépendant de l’individu, qui créait de la dépression chez les soignants.

Nous avons découvert que le premier facteur de risque de dépression chez les soignants était le burn-out. Toutes catégories confondues, 84 % des dépressifs sont en burn-out, contre 43 % chez les non-dépressifs. Le deuxième facteur est le harcèlement professionnel : 55 % en ont été victimes chez les dépressifs, contre 33 % chez les non-dépressifs. Le dernier paramètre est la faible latitude décisionnelle, qui traduit l’incapacité à prendre des décisions, d’avoir les moyens d’agir dans son métier.

Quels enseignements en tirez-vous ?

Nous avons désormais la preuve que travailler en établissement de santé (publics et privés) nuit à la santé des soignants. La médecine du travail doit donc explorer en priorité la prévention du burn-out et du harcèlement, mais aussi la latitude décisionnelle. Il faudrait une évaluation systématique du burn-out et de la dépression, permettre aux professionnels de faire remonter des situations. Aujourd’hui, rien n’est fait de façon automatique et systématique. Les professionnels vont juste - au mieux - voir le médecin du travail qui leur conseille de se mettre en arrêt, et cela s’arrête là. La plupart attendent de « craquer » sans avoir consulté…

Enfin, il faut arrêter de responsabiliser à outrance l’individu lorsque les conditions de travail sont le principal facteur de dépression. Certes, c’est important de faire de l’activité physique, d’arrêter de fumer, de bien manger pour sortir d’une dépression. Mais il y a aussi d’autres facteurs qui déclenchent la dépression au travail.

Comment automatiser cette évaluation ?

En psychiatrie, le dispositif « MonPsy & Moi », qui sortira en 2024, va permettre aux patients de rapporter leur expérience des soins de manière systématique. Ils recevront par mail un questionnaire pour donner un avis sur leur expérience, faire remonter ce qui marche ou pas. Il faudrait faire la même chose pour les soignants, pour qu’ils puissent donner régulièrement leur point de vue sur les soins. Nous disposons des outils techniques pour le faire, mais nous manquons de volonté politique et de financements. La plupart du temps, le directeur d’établissement se met à agir quand il y a une vague d’arrêts maladie. C’est cela qui épuise les gens : ils connaissent des situations de harcèlement chronique, mais il faut arriver à un suicide pour déclencher une enquête. La même chose se produit avec les suicides d’internes. Ce n’est pas normal.

À l’AP-HM, on a mis en place un numéro vert pour permettre d’appeler un « psy » en cas de besoin, mais peu de personnes appellent. D’autre part, l’établissement ne propose pas, en interne, de prendre en charge ces situations. Il faut en général que les gens aillent se faire soigner à l’extérieur. C’est un peu comme si on disait aux soignants « allez vous faire soigner ailleurs ! ».

Votre étude montre aussi que le principal facteur individuel de dépression est la dépression récurrente, rapportée par 6 à 8 % des soignants, des chiffres similaires à la population française…

La dépression récurrente est définie par le fait d’avoir fait au moins trois épisodes dépressifs au cours d’une vie. Quand on en fait plus de trois, on a plus de 90 % de chances d’en faire un quatrième. La médecine du travail devrait donc dépister les soignants qui font des dépressions récurrentes et leur proposer des interventions particulières : arrêt du tabac, bonne alimentation, activités physiques, adaptation au poste du travail, etc.

Quel est l'impact sur l'absentéisme à l'hôpital ?

Dans notre étude, nous avons défini l’absentéisme, comme le fait d’avoir été absent plus de huit jours sur les 12 derniers mois. Nous avons montré qu’il y en avait beaucoup plus chez les dépressifs (27 %) que chez les non-dépressifs (17 %). Il y a donc un écart de 10 %, ce qui est considérable quand on pense au coût engendré pour la Sécurité sociale.

Quelles sont les conséquences sur l'organisation du travail ?

Quand quelqu’un se met en arrêt, les collègues doivent faire son travail à sa place, car il n’est pas remplacé. Donc cela crée encore plus de tension sur eux et génère des effets de cercle vicieux. Or, injecter de l’argent dans la prévention de la dépression chez les soignants permettrait de récupérer des économies en termes d’arrêts de travail. Cela devient donc un cercle vertueux.

On assiste actuellement à une banalisation du burn-out à l’hôpital. C’est assez logique car plus de la moitié des soignants sont en burn-out, mais on ne prend pas assez en compte ce phénomène d’un point de vue organisationnel et médical. Or, ceux qui craquent sont ceux qui quittent le service public le plus vite. Sur le burn-out, on connaît les chiffres de ceux qui sont restés, mais pas de celles et ceux qui sont partis s’installer en cabinet car ils ne supportaient plus le service public. Si on demandait aux professionnels les motifs pour lesquels ils quittent l’hôpital public, les chiffres en lien avec le burn-out et le harcèlement seraient sans doute encore plus élevés…


Source : lequotidiendumedecin.fr