Il y a « urgence à prendre des mesures pour améliorer les conditions de travail des hospitalo-universitaires », tonnent les auteurs d’une étude française publiée le 28 mars dans le « Jama Network Open ». Selon cette enquête menée auprès de près de 2 400 hospitalo-universitaires (HU) français, 40 % d’entre eux déclarent des symptômes d’épuisement professionnel. Dix fois plus qu’en population générale.
Réalisée entre octobre et décembre 2021 sur 677 MCU-PH et 1 699 PU-PH – et coordonnée par les conseils nationaux universitaires (CNU) – l’enquête en ligne a invité les praticiens à remplir le test de Maslach (Maslach Burnout Inventory, dit MBI), un outil d’évaluation des tensions au travail ou de signalement des idées suicidaires. 70 % des répondants étaient des hommes, pour une médiane de 53 ans pour le PU-PH et de 40 ans pour les MCU-PH. 60 % des médecins interrogés étaient chefs de service.
Les MCU-PH plus touchés
Parmi tous les HU interrogés, 14 % ont signalé des idées suicidaires, soit trois fois plus qu’en population générale. 12 % expriment du stress professionnel et 10 % rapportent une consommation quotidienne de psychotiques. Alors que les hospitalo-universitaires travaillent en moyenne 10 heures par jour – auxquelles s’ajoutent deux heures supplémentaires à domicile – 90 % d’entre eux affirment que devenir HU a été « un sacrifice ». Un dévouement – voire une forme de sacerdoce – que commente le syndicat Action Praticiens Hôpital (APH) ce mercredi. « L’investissement pour devenir un HU de bon niveau est colossal et exige un investissement intellectuel et personnel couplé à un dévouement sans faille au service public », souligne APH.
Le mal-être est encore plus préoccupant chez les jeunes. 73 % des MCU-PH se sentent dépassés par leur travail – contre 57 % des PU-PH. Aussi, quatre maîtres de conf' sur dix envisagent de changer de carrière, contre trois PU-PH sur dix. Dans l'ensemble, si les deux tiers comptent rester HU d'ici à 2025, 65 % d’entre eux ont déjà « envisagé » une année sabbatique, 55 % un départ vers le privé ou un changement de ville. Un quart des PU-PH envisagent un départ en retraite anticipée.
Défaut d'attractivité
En France, alors que le nombre de candidats aux postes de professeurs dans les hôpitaux universitaires est en baisse, l’enquête met « en évidence une demande d’actions en urgence pour favoriser l’attractivité des carrières ». Des conclusions auxquelles APH dit « souscrire entièrement ». Le syndicat rappelle que le « défaut d’attractivité des carrières HU est majeur » et s’est même dégradé cette année pour atteindre plus de 15 % de postes HU vacants, toutes spécialités confondues.
Désormais, commente APH, « il faut que les jeunes puissent être assurés de pouvoir mener de front une vie professionnelle passionnante et une vie personnelle épanouie ». Sur ce point, les chercheurs évoquent des facteurs positifs de bien être professionnel. Ainsi, le fait de se sentir valorisé par ses collègues ou le public, d’avoir un bon sommeil ou une période plus longue d’enseignement est significativement associé à moins de symptômes de burn-out. Les HU rapportent à cet égard de très bonnes relations (notées 8/10) avec leurs collègues et avec les infirmières en chef. Les relations sont plus détériorées avec la direction médicale et la direction administrative, évaluées à 5/10.
« Le besoin de faire bonne figure »
À l’inverse, les facteurs objectivement associés à davantage d'épuisement professionnel sont le fait d'avoir un poste non clinique, de subir un empiètement du travail sur la vie privée, « le besoin de constamment faire bonne figure » ou encore le fait d'avoir été victime de harcèlement. Des situations amplifiées par la pénurie de ressources humaines, rapportée par 85 % des HU pour la recherche, 72 % pour les soins.
Toujours selon ces travaux de recherche, les femmes hospitalo-universitaires sont encore plus en souffrance : elles consomment deux fois plus de psychotropes et manifestent davantage de symptômes d’épuisement professionnel, mais sont aussi « deux fois plus soutenues par la direction et l’université ».
Urgence
« Ces résultats suggèrent que la charge psychologique pesant sur les professeurs titulaires des hôpitaux universitaires en France est considérable », concluent les auteurs. Ils recommandent aux autorités et directions hospitalières d’élaborer « de toute urgence des stratégies de prévention et d'allègement du fardeau pour la prochaine génération » de HU.
Les auteurs proposent ainsi des stratégies pour « améliorer la promotion du respect mutuel et de l'équilibre travail/vie personnelle ». Quant à l’attractivité des carrières, il y a un impératif à « aligner les pensions de retraite des HU sur le régime général », à former à « l’accompagnement managérial » et à offrir aux professionnels concernés un « temps protégé et des moyens » dédiés à la recherche.
Il devient « urgent d’agir pour conserver ces talents dans nos CHU plutôt que de les voir partir », rebondit APH. Le syndicat appelle lui aussi de ses vœux des mesures de valorisation salariale et en matière de retraite. Faute de quoi, les carrières hospitalo-universitaires risquent de devenir « un repoussoir définitif ».
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