58 % des praticiens français présentent des symptômes de burn-out et 32 % d’entre eux seraient en dépression caractérisée, selon l’étude AMADEUS (AMéliorer l’ADaptation à l’Emploi pour limiter la soUffrance des Soignants), qui vise à évaluer précisément la prévalence du burn-out dans les professions médicales et paramédicales. Tels sont les résultats préliminaires exclusifs de l'enquête nationale conduite par le Dr Guillaume Fond, psychiatre et chercheur à l’AP-HM (Hôpitaux universitaires de Marseille), auprès de 10 000 soignants dont 2 000 médecins en établissement (public et privé). Ces chiffres documentent une tendance de fond : l'épuisement professionnel est en hausse parmi les professionnels de santé, particulièrement exposés.
Consultations gratuites
C’est justement pour répondre aux « besoins grandissants » des soignants en souffrance que le Dr Éric Henry, président de l'association Soins aux professionnels de santé (SPS), a inauguré « La Maison des soignants », le 31 août dernier à Paris.
Entièrement dédié au bien-être et à la santé mentale des professionnels de la santé et des étudiants vulnérables – libéraux comme hospitaliers –, cet espace de 800 m2 permet à la fois de se soigner, de se former, de s’informer et de se ressourcer. Au menu de ce « lieu d'accueil et de refuge » : consultations avec des psychologues, groupes de parole, permanences administratives et juridiques mais aussi bilans d'activité physique, formations sur la prévention du suicide ou ateliers « prévention » (gestion du stress, alimentation, management). Selon l'association SPS, 85 % des soignants ont exprimé un manque de soutien psychologique durant la crise sanitaire et 74 % souhaiteraient avoir recours à des interventions non médicamenteuses. Près d’un quart des soignants présentent chaque jour des troubles du sommeil, plus d’un tiers ne prend pas de repas assis et ils posent deux fois moins de journées d'arrêt de travail que le reste de la population.
Ce projet de créer « un lieu symbolique qui montre que les soignants souffrent » intervient après d'autres initiatives de SPS depuis cinq ans comme la ligne nationale d’écoute anonyme et gratuite (8 500 appels de mars 2020 à septembre 2021, dont 900 de médecins), la création d'un réseau national du risque psychosocial (composé de psychologues, généralistes et psychiatres) ou encore la mise en place d'unités dédiées pour les soignants en souffrance.
Tabou
Jusqu'à très récemment, le monde médical a fermé les yeux sur la douleur des soignants. En 2015, un seul établissement français proposait une prise en charge spécifique pour les médecins et paramédicaux en détresse : la clinique psychiatrique Belle Rive, située à Villeneuve-lès-Avignon (30). « Mais personne ne savait à l’époque qu’elle existait, recadre le Dr Éric Henry. On ne pouvait pas en faire la publicité, il ne fallait surtout pas dire que les soignants n’étaient pas bien ! » D'où sa décision, en fondant SPS, de combattre les idées de ceux qui « pensent faire partie d’une caste dans laquelle la faiblesse, la douleur intime, l’effondrement ne peuvent pas exister. »
Quelques années plus tard, « le droit d’être malade est encore très mal vu chez les soignants, et encore plus chez les médecins », confie le Dr Emmanuel Granier, psychiatre au sein de cette clinique Belle Rive, qui assure depuis 2011 une prise en charge adaptée aux soignants en souffrance psychique. Selon le médecin du Gard, c’est la rencontre avec le Dr Yves Léopold, généraliste avignonnais pionnier du combat contre le burn-out des médecins — en 2003, son enquête avait montré une surmortalité par suicide des médecins dans 26 départements — qui fut à l’origine de l’ouverture de 10 lits dédiés aux soignants au sein de l’établissement. Viendront ensuite l’unité de soins pour les professionnels de santé (USPS) en 2017, puis le lancement du programme Aide Solidarité Soignant (PASS) en mars 2018, développé en lien étroit avec l'Ordre et sept associations d’aide aux soignants. Et ce n'est pas fini. La clinique Belle Rive vient de déposer un projet auprès de l'ARS « pour pérenniser le soin via la télémédecine au-delà de la période d’hospitalisation », tout en gardant l’anonymat, précise le Dr Emmanuel Granier pour qui l’état psychique des soignants risque de s’aggraver.
L'exemple du Québec
La clinique s'inscrit dans le sillage du Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ), qui offre depuis 1990 aux praticiens des services d’écoute et d’accompagnement par des pairs, sans frais, dans un espace sécuritaire. C'est ce modèle qui vient également d'inspirer le « Programme M », ouvert mi-septembre par le Groupe Pasteur Mutualité et qui propose aux médecins et internes en difficulté́ d’accéder à un dispositif d’accompagnement, d’écoute, d’échange et de rencontres avec leurs pairs. « Le PAMQ, c'est un modèle qui marche », souligne le Dr Bertrand Mas-Fraissinet, président du Groupe Pasteur Mutualité. En effet, 1 877 médecins ont été suivis au cours de l’exercice 2019/2020
Ce soutien par les pairs permet de favoriser l’établissement d’un lien de confiance et de réduire les freins à la consultation. Le respect de la confidentialité protège les soignants, qui bénéficient d’une approche globale. « Tout est souvent imbriqué : les problèmes de la vie privée, les difficultés dans sa carrière professionnelle, les problèmes d’argent », analyse-t-il.
Couper les soignants vulnérables de leur quotidien
D’autres établissements dédiés à la prise charge psychiatrique des soignants ont préféré miser sur l’éloignement géographique et l’anonymat, à l’image de la clinique Le Gouz (Ramsay Santé), située à Louhans en Saône-et-Loire. « On propose aux soignants un cadre qui les coupe de leur quotidien, parfois loin de leur domicile et de leur lieu de travail », explique Aurélie Bayon, la directrice de la clinique.
Soutenu par l’ARS Bourgogne Franche-Comté, l’établissement bénéficie de 40 lits d’hospitalisation complète et d’une autorisation de 10 places en hôpital de jour depuis novembre 2020. En moyenne, les hébergements durent une quarantaine de jours. C’est pourquoi la clinique travaille sur des séjours courts de trois semaines à « visée préventive », notamment pour les libéraux qui ne peuvent pas s'absenter sur des longues périodes. « Quand les médecins prennent la décision de venir, c’est souvent déjà trop tard, explique la directrice. Et, plus on tombe bas, plus c’est long pour se remettre sur pied. »
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