Un an après son arrivée à la direction du CHU de Toulouse, Jean-François Lefebvre fend l’armure. Déficit, recrutements, crise des urgences, facture énergétique, plafonnement de l’intérim, solidarité territoriale : il explique ses défis et sa feuille de route.
LE QUOTIDIEN : Dans quel état avez-vous trouvé le CHU de Toulouse à votre arrivée ? Quelle est la situation de l'activité aujourd'hui ?
Jean-François LEFEBVRE : Bousculé par la crise Covid, le CHU de Toulouse a connu les mêmes difficultés que les autres hôpitaux pendant cette pandémie mais il reste l’un des plus beaux de France ! Les constats sur la fréquentation de l’hôpital ne sont pas propres à Toulouse. Concrètement, l'activité a baissé de 4,5 % en hospitalisation complète entre 2019 et 2022 tandis que les prises en charge en ambulatoire ont augmenté de 10,6 % sur cette période. Mais nous n’y voyons pas forcément un transfert de l’un vers l’autre et des disparités subsistent selon les services. Sans doute y a-t-il eu aussi un glissement de l'activité vers des établissements privés de l’agglomération, et peut être aussi des patients qui sont passés sous les radars.
Êtes-vous particulièrement touchés par les tensions en matière de ressources humaines ?
Parmi les indicateurs avec lesquels nous devons composer, il y a effectivement les difficultés de recrutement de personnel et les fermetures de lits qui en découlent. Nous avons actuellement 120 postes vacants et 90 lits fermés par manque de personnel – sur les 3 080 lits et places. Et nous tablons sur 400 lits fermés l’été prochain. Je précise que nous recrutons 1 100 soignants chaque année avec un turn-over qui reste important.
Pour autant, j’estime que le Ségur de la santé, qui a revalorisé les salaires à l’hôpital, a porté ses fruits. Les différences entre secteurs public et privé sont désormais moins importantes et nous faisons en sorte d’offrir des conditions attrayantes, notamment des titularisations plus rapides. Malgré les difficultés, notre hôpital fait partie des rares CHU qui ont vu leur activité globale progresser en 2022 [le nombre de séjours totaux est de 271 501 contre 264 704 en 2019].
Vous avez dû faire face, l’été dernier, à l’une des grèves les plus dures de France aux urgences. Avec le recul, quel regard portez-vous sur ce conflit ? Quelle est la situation ?
Ce mouvement de grève a été très compliqué à gérer. J’ai même été heurté car, à un moment, il y a eu du renoncement aux soins. Or nous sommes des soignants avant tout. À Toulouse, les syndicats avaient choisi un mode d’organisation très pénalisant avec des grèves tous les lundis et une voilure réduite le week-end, qui nous a obligés à réquisitionner dès le vendredi soir. Nous avons déclenché le plan blanc et réussi à maintenir les effectifs et l’activité mais au prix de beaucoup de tensions et d’incompréhensions… Depuis, nous avons embauché 30 personnes et la situation s’est relativement apaisée.
Que pensez-vous de l'application de la loi Rist sur le plafonnement de l'intérim ? Le CHU de Toulouse y est-il confronté ?
Le CHU de Toulouse n'est pas confronté directement à l’intérim médical, ou sinon à la marge, de façon exceptionnelle aux urgences psychiatriques. Néanmoins, tous les établissements de la région sont concernés par ce phénomène, en particulier les urgences obstétricales et pédiatriques, et ils nous appellent à la rescousse. De CHU de recours, nous sommes aussi devenus un CHU de secours, entouré d’hôpitaux tous indispensables mais fragilisés. De plus, quand la médecine de ville est en difficulté, quand les hôpitaux périphériques souffrent, c'est au CHU que tout arrive.
Ces dernières semaines, nous avons réuni les directeurs et présidents de CME de ces établissements pour adopter des règles communes, notamment s’engager à respecter strictement la rémunération plafonnée par la loi Rist. Il faut appliquer ce texte coûte que coûte.
Quels sont vos projets avec les autres hôpitaux de la région ?
Nous veillons à maintenir une expertise de santé dans toutes les villes de l’Occitanie ouest et nous allons créer avant l’été une association qui regroupera les directeurs généraux et présidents de CME. Nous déployons déjà des temps médicaux partagés en radiologie et cardiologie. Concrètement, des spécialistes volontaires, salariés du CHU, vont donner des heures là où le besoin se fait sentir. À Tarbes, nous reconstruisons une équipe de neurologie car tous les spécialistes sont partis. Nous nous donnons trois ou quatre ans pour recréer une offre de soins équilibrée et voir comment, au gré du nombre d’internes présents chez nous, nous pouvons réaffecter des médecins sur place.
Quelle est la situation financière du CHU ?
Le CHU de Toulouse dispose d’un budget de 1,5 milliard d’euros mais j’ai fait le choix de ne pas détailler sa ventilation pour 2023 car nous manquions trop de visibilité. Nous devrons par exemple faire face à une facture énergétique de 39 millions d’euros, en hausse de 20 millions ! La transformation de notre activité pèse aussi sur les comptes puisque l’ambulatoire rapporte moins que les hospitalisations. À ce jour, l’activité représente 50 % des recettes, le reste provient de dotations.
Quoi qu’il en soit, le déficit d’exploitation était de 10 millions d’euros à fin 2022 et nous tablons sur 30 millions d'euros de déficit prévisionnel en 2023. J'ajoute que plusieurs programmes de travaux d’envergure sont en réflexion à l’hôpital des enfants et à Rangueil ; ils représenteront 500 millions d’euros d’investissements d’ici à 2030.
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