En 2000, Erland Hem et al. ont mené une enquête (1) sur la prévalence des pensées suicidaire et des passages à l’acte chez les médecins norvégiens, dans l’idée de mettre en place des mesures de prévention. L’analyse de plus de 1 050 réponses a montré que 51,1 % des praticiens avaient déjà eu le sentiment que la vie ne valait pas la peine d'être vécue et que 1,6 % avait déjà fait une tentative de suicide. Les facteurs de risque étaient le fait d'être une femme, de vivre seul et de souffrir de dépression. Dans leur discussion, les auteurs estimaient que le chiffre des tentatives d’autolyse était très probablement sous-estimé puisque « lorsque les médecins décident de se suicider, ils savent comment s'y prendre ».
Ce n’était bien sûr pas la première fois que cette notion était soulevée puisque les premières données en ce sens datent de plus de 150 ans (2). Néanmoins, l’idée des psychiatres norvégiens était de mettre en place des mesures de prévention à long terme en proposant un plan d’action structuré en trois points : centralisation des données, mise en place de structures d’aide et sensibilisation à la santé mentale des étudiants et des praticiens.
Un risque similaire à celui des autres diplômés
Erland Hem et al. ont publié à l’été 2024 un bilan de la mise en place des mesures de prévention et de déstigmatisation de problèmes de santé mentale à destination de l’ensemble des soignants (3). Cette étude a été réalisée à partir des données de registre mis en place en 2000 qui regroupe l’ensemble des recours aux services de conseils aux médecins en difficulté et qui n'est bien sûr pas exhaustif. Les chercheurs ont analysé les taux de suicide dans un éventail de professions de la santé en Norvège et les ont comparés à ceux d'autres diplômés d'autres professions, ainsi qu'à ceux de la population générale.
Le nombre total de suicides survenus au cours de la période étudiée (1980-2021) dans la population norvégienne était de 21 298. Pour les personnes sans diplôme supérieur, ce chiffre s’établissait chez les hommes à 26,6 pour 100 000, et chez les femmes à 9,6 pour 100 000 années-personnes. Le risque était moindre chez les diplômés des deux sexes en comparaison avec les personnes n’ayant pas fait d’études supérieures.
Pour autant, les médecins de sexe masculin (25,7 pour 100 000), les infirmiers (22,2) et les vétérinaires (35,9) présentaient un risque de suicide plus élevé que les autres diplômés non professionnels de la santé (11,7). Autre fait marquant, les infirmiers (9,3) et les psychologues (15,0) avaient une tendance plus marquée au suicide que les autres diplômés non professionnels de la santé (5,1 pour 100 000 personnes-années).
Au cours de la période d’étude, les décès par suicide ont diminué chez les médecins de sexe masculin, passant de 46,4 pour 100 000 années-personnes en 1980-1999 à 17,0 pour 100 000 années-personnes en 2010-2021. Ils se situent donc désormais dans la moyenne des autres personnes ayant fait des études supérieures. À l’inverse, le taux de suicide chez les infirmiers/ères – population qui ne bénéficie pas d’initiatives de prévention - a augmenté au cours de la période d’étude.
Les médecins de plus de 60 ans sont près de quatre fois plus susceptibles de passer à l’acte que leurs confrères de moins de 40 ans
Les auteurs notent que le taux de suicide des médecins augmente avec l’âge : les plus de 60 ans sont deux fois plus susceptibles de se suicider que les autres diplômés non professionnels de la santé et sont près de quatre fois plus susceptibles de passer à l’acte que les médecins de moins de 40 ans. Il semblerait donc que les mesures mises en place dans les années 2000 aient permis de prévenir des situations de détresse.
Pas de plan national en France
Qu’en est-il en France ? Aucun recueil national des risques suicidaires des médecins n’a été mis en place à ce jour. Des initiatives ordinales, syndicales et émanant des URPS ont été proposées mais aucun plan structuré généralisé – de même type que celui proposé en Norvège – n’a été mis en place à ce jour. Une étude publiée en 2024 (4) confirme l’absence de coordination autour de cette problématique en France.
Néanmoins, on assiste à une prise en compte du risque suicidaire pour les plus jeunes générations de médecins à la suite de la parution d’une enquête de 2017 de l'intersyndicale nationale des internes (Isni), dans laquelle 23 % des jeunes médecins déclaraient avoir eu des idées suicidaires (dont 5 % dans le mois précédant la réponse à l'enquête) et 3,8 % des jeunes médecins interrogés (758 personnes) reconnaissaient avoir fait au moins une fois une tentative de suicide. En 2023 (5), le gouvernement expliquait avoir mis en place des mesures de revalorisation salariale, de surveillance du bon équilibre vie privée-vie professionnelle et d’aides à la gestion des situations critiques d'étudiants en santé aux niveaux local, puis régional et national (par le biais notamment de la médiation). Un bilan de ces initiatives devrait être proposé dans les années à venir.
(1) Hem E, Grovold N, Aasland O et al. The prevalence of suicidal ideation and suicidal attempts among Norwegian physicians. Results from a cross-sectional survey of a nationwide sample. Eur Psychiatry. 2000 May;15(3):183-9. doi: 10.1016/s0924-9338(00)00227-3
(2) Kalmoe M, Chapman M, Gold J, Giedinghagen A. Physician Suicide: A Call to Action. Mo Med. 2019 May-Jun;116(3):211-6
(3) Dalum H, Hem E, Ekeberg O et coll. Suicide rates among health-care professionals in Norway 1980-2021. J Affect Disord. 2024 Jun 15:355:399-405.doi: 10.1016/j.jad.2024.03.128
(4) Kostyal K, Terje J, Almos P et coll. Awareness of psychiatrists regarding physician suicide and prevention in developed and less developed countries. European Psychiatry 67(S1):S182-S182. DOI:10.1192/j.eurpsy.2024.397
(5) https://www.senat.fr/questions/base/2022/qSEQ220802283.html
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