Compresses oubliées dans le corps d’un patient, rein sain retiré par erreur, mauvaise utilisation du bistouri électrique jusqu’à la brûlure… Certes très rares, ces événements indésirables graves, clairement identifiables et évitables, ont pourtant lieu dans les blocs opératoires et les plateaux techniques lourds. Ces incidents peuvent être dramatiques – jusqu’au décès – et « vécus de façon catastrophique pour les patients et les soignants », témoigne le Dr Georges Romero, directeur risk management du groupe Relyens, spécialiste du risque médical, qui publie ce 28 octobre un panorama européen inédit sur le sujet.
En 2023, à partir de plus de 10 000 sinistres analysés dans ses bases assurantielles au sein de quatre pays européens (France, Espagne, Italie et Allemagne), l’assureur mutualiste a ainsi identifié 339 « Never Events » (3 % du total), ces événements définis comme des incidents graves qui n’auraient jamais dû arriver si les recommandations de sécurité avaient été correctement appliquées.
Plus de la moitié des cas relèvent d’une gravité dite « moyenne » (avec des complications évitables et un allongement du parcours de soins) mais un gros quart affichent une importance « élevée », voire mortelle.

Factuellement, 35 % des Never Events relèvent d’un « oubli de matériel », comme un embout de sonde ou un champ opératoire non retiré avant la fermeture chirurgicale. L’impact économique est significatif : 11,4 millions d’euros en 2023, soit 36 000 euros par événement en moyenne et jusqu’à 600 000 euros pour les cas les plus graves.
Les interventions programmées, terreau fertile d’accidents
Paradoxalement, ces incidents ne sont pas majoritairement le fait d’inventions pratiquées dans l’urgence, mais plutôt d’opérations programmées, censées être sécurisées. Ainsi, 84 % des Never Events interviennent dans ce contexte programmé. Contrairement aux idées reçues, « il y a davantage de vigilance dans les situations inconfortables, de grande urgence alors que dans les moments plus habituels, on remarque un relâchement des règles de sécurité », explique Georges Romero. Le Dr Cédric Basquin, anesthésiste-réanimateur, témoigne ainsi auprès de Relyens : « Dans ma carrière, j’ai vu à plusieurs reprises des oublis de compresses… Après l’intervention, l’équipe parlait, un peu relâchée. Le comptage a été fait trop vite, et il a fallu rouvrir le patient. »
Et ce malgré les procédures mises en place, notamment les check-lists parfois perçues « comme une formalité administrative » et dont l’usage demeure parfois « symbolique, routinier ou bâclé », affirme l’enquête de Relyens.
La chirurgie orthopédique concentre le tiers des cas
Toutes les spécialités ne sont pas logées à la même enseigne. Les praticiens de bloc opératoire qui doivent réaliser un grand nombre d’interventions – longues, complexes et de latéralité – sont davantage exposés.
La chirurgie orthopédique concentre à elle seule 32 % des Never Events, avec un risque élevé d’erreur sur le matériel, le côté ou le type de procédure. « Il y a aussi un effet volume : cette chirurgie est la plus réalisée dans le monde de la médecine », précise le Dr Georges Romero, lui-même ancien anesthésiste-réanimateur.
En gynécologie-obstétrique, qui représente 20 % des cas, l’erreur type concerne un oubli de compresse ou d’instrument lors d’une césarienne ou d’un accouchement. En chirurgie viscérale, des erreurs de localisation ou de côté peuvent également se produire (15 % des erreurs).
Pas assez de retours d’expérience
Davantage que des erreurs individuelles ou des défauts de compétence, le directeur risk management de Relyens pointe plutôt « une erreur du collectif dans son ensemble, causée par des fragilités systémiques ». Les causes peuvent être liées à « une mise en œuvre inconstante des protocoles, une culture de la sécurité insuffisamment ancrée, des équipes peu formées à l’analyse des signaux faibles, un retour d’expérience trop rare », énumère l’enquête. Les soignants concernés n’en ressortent pas toujours indemnes, subissant le « syndrome de la seconde victime », qui définit un soignant impliqué dans un événement indésirable imprévu, lui-même traumatisé par l'événement.
Pour Dominique Godet, directeur général de Relyens, il est urgent de « bâtir une culture européenne de la sécurité des soins, fondée sur l’apprentissage collectif et la responsabilité partagée ». C’est pourquoi l’assureur recommande plusieurs leviers d’action dont une check-list ergonomique « intégrée au dossier du patient » activée à trois moments clés (avant l’anesthésie, avant l’incision et à la fin de l’opération), et éventuellement alimentée par l’IA. La construction d’une culture commune de la sécurité des soins « dès la formation initiale » serait également bienvenue. « Cette montée en compétences doit se poursuivre tout au long de la carrière, grâce à des formations régulières, notamment par la simulation, qui permet de s’entraîner à gérer les situations à risque sans mettre de patients en danger », peut-on lire.
Et pour un signalement national plus efficace, Relyens appelle de ses vœux dans chaque pays un système centralisé de déclaration des incidents, avec une procédure simple mais une « obligation de déclarer » et d’analyser systématiquement ces incidents. Pour les professionnels, individuellement, il convient de garantir un « cadre déclaratif non punitif et axé sur l’amélioration ».
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