L’emploi temporaire, qu’il soit intérimaire ou contractuel, est l’épine persistante dans le pied de l’hôpital. La Cour des comptes a appuyé un peu plus là où ça fait mal le 29 mai lors de la remise de son rapport sur le sujet.
L’intérim médical a été conçu pour pallier des absences ponctuelles. 17 000 missions ont été réalisées en 2022 soit, pour les médecins employés, une moyenne de 11 missions dans l’année, chacune d’une durée moyenne de 3,6 jours. La loi de l’offre (rare) et de la demande (importante) étant à l’œuvre, les prix flambent : de 650 euros la journée à 1 300 euros pour 24 heures en Auvergne Rhône Alpes ; en anesthésie, plus de 2 700 euros brut pour une mission de 24 heures en Aquitaine. Au global, l’intérim médical a coûté à l’hôpital en 2022 147 millions d’euros, en progression de 25 % par rapport à 2017.
Les solutions de remplacement ne relèvent pas uniquement de l’intérim, précise d’emblée la Cour. Les hôpitaux publics emploient aussi chaque année quelque 11 000 médecins sous contrat, parfois chèrement négociés. Là aussi, le bilan n’est pas glorieux. « L’ampleur du recours aux emplois temporaires, plus qu’aux intérimaires, insistent même les magistrats, et les conditions de rémunération des médecins concernés ont des conséquences préoccupantes ».
Si l’on ajoute l’ensemble des sommes engagées par les hôpitaux pour combler ou atténuer le manque de temps médical (intérim, heures supplémentaires, contrats courts), la douloureuse s’élève entre 559 millions d’euros et 662 millions d’euros non chargés. On frôle le milliard avec les charges. En 2013, un certain Olivier Véran, alors député, chiffrait déjà à 500 millions d’euros le coût de l’intérim.
Les sages de la rue Cambon ont également procédé à un état des lieux exhaustif de la permanence des soins à l’hôpital. Selon les ARS citées par la Cour, « les spécialités soumises à gardes et astreintes les plus dépendants de l’emploi intérimaire sont la médecine d’urgence, l’anesthésie-réanimation, la gynécologie obstétrique et la pédiatrie ».
Plus un établissement est petit, plus les contrats courts pèsent sur les finances
Surtout, les tarifs varient d’un service à l’autre, au sein d’un même établissement et en fonction de la taille de l’hôpital, constate la Cour. Plus l’hôpital est petit, plus le poids de l’emploi temporaire pèse sur ses finances. Les centres hospitaliers dont le budget est inférieur à 70 millions d’euros rémunèrent ainsi leurs praticiens contractuels 50 % de plus que les CHU.
Effets d’aubaine et intérim déguisé
Sur le plan politique, les rapporteurs déplorent les tentatives avortées de contingentement du phénomène par les pouvoirs publics : en 2017, le décret Buzyn qui a instauré un salaire maximal brut de 1 170 euros pour 24 heures, n’a pas eu l’effet escompté. En voulant réformer uniquement à l’intérim, l’ancienne ministre de la Santé a laissé fleurir les contrats négociés de gré à gré.
En 2021, la loi Rist du 26 avril 2021 s’est attaquée à ce problème. La députée du Loiret Stéphanie Rist a élargi le périmètre de la régulation de ces contrats discutés en tête à tête entre directeur d’hôpital et médecins parfois qualifiés de « mercenaires » pour leur sens du commerce. Puis elle a tenté de renforcer l’attractivité de l’emploi médical à l’hôpital via la création d’un contrat de trois ans maximum dit de motif 2 et d’une prime de solidarité territoriale (PST). Mais la rémunération de ce nouveau contrat étant « très attractive », « cette régulation a créé des effets d’aubaine aux conséquences préoccupantes sans éviter les fermetures ponctuelles ou récurrentes de services », constate la Cour. Là encore, avec ces contrats qui s’apparentent à de « l’intérim déguisé », les hôpitaux sont perdants.
Afin de corriger ses « dérives préoccupantes et mal maîtrisées », la Cour propose de restreindre la définition des règles de recours des contrats temporaires de motif 2. Elle préconise de s’appuyer sur les groupes hospitaliers de territoire (GHT, loi Touraine de 2016), dont la vocation initiale était de mutualiser, mais aussi de contingenter les ressources médicales au sein d’un même territoire pour mieux les répartir entre établissements de santé d’un même GHT. À ce titre, il serait d’ailleurs bon de faire dépendre la revalorisation des indemnités de sujétion des gardes et astreintes de la mutualisation de ces mêmes ressources. Enfin, la Cour demande une clarification au niveau comptable des différentes catégories de contrats.
« Rien de surprenant » pour le Snphare
La lecture du rapport de la Cour des comptes n’a pas surpris le Syndicat national des praticiens hospitaliers élargi (Snphare). Encore plus sévère que les magistrats, l’organisation s’agace de « l’ineptie » des contrats de type 2, du « dogmatisme » de la loi Rist et du « non-sens » de la prime de solidarité territoriale. « Le sujet, ce n’était pas l’intérim, mais l’attractivité des carrières hospitalières médicales », plaide le syndicat.
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