Demander aux patients d’appeler le 15 avant de se rendre aux urgences provoquerait un « engorgement des standards qui sont déjà surchargés », alerte le Dr Patrick Pelloux, président de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Dans un entretien au « Quotidien », l'urgentiste tire à boulets rouges sur la mission flash du Dr François Braun, mais aussi sur ses confrères (libéraux et hospitaliers) qui réclament une régulation médicale de l'accès aux urgences.
LE QUOTIDIEN : L'idée de réguler l'accès aux urgences fait son chemin. Selon vous, quelles seront les conséquences si on demande aux patients d’appeler le 15 avant de se rendre aux urgences ?
Dr PATRICK PELLOUX : Il y aura d’abord 24 millions d’appels supplémentaires sur les plateformes de régulation des Centres 15, donc il faudra doubler au minimum le nombre de permanenciers et des médecins qui y travaillent ! D’autre part, la seule alternative que l’on aura, ce sera de dire aux gens d’aller… aux urgences, voire d’appeler les pompiers. Cela ne changera rien. Il est en effet devenu extrêmement difficile de faire des visites à domicile ou d’avoir des rendez-vous chez les médecins de ville qui sont eux-mêmes déjà débordés.
Si la régulation préalable est mise en place, y a-t-il un risque d'assister à un effondrement des Centres 15 ?
Tout à fait, cet été, on aura beaucoup de mal à trouver suffisamment de médecins pour faire de la régulation. On va doubler la fréquence des appels… pour savoir si les personnes peuvent aller aux urgences. On est en train de mettre en place une barrière kafkaïenne…
Mais une vingtaine de syndicats de médecins libéraux et hospitaliers viennent de signer un communiqué commun pour étendre une régulation médicale préalable à l'accès aux urgences... Ils ont tous tort ?
Ils ont écrit un communiqué commun pour dire : « c’est formidable, il faut casser les urgences ! Il faut réguler, fermer la nuit ! La solution est d’arrêter les choses ! ». Mais on n’arrête pas les urgences… Où va-t-on hospitaliser les gens ? La mission Braun ne répond pas à la question de fond. Ils disent : « Il y a un problème, donc on annule le problème ». Vous avez faim ? Bon, on ferme les restaurants !
La réalité, c'est qu'on est en train de détruire le service public. C’est gravissime. Quand une personne décédera d’un infarctus car il n’a pas réussi à joindre le Samu ou qu’il n’y a aura des erreurs d’orientation, il faudra réinterroger les signataires de ce communiqué qui ont appelé à la fermeture des services d’urgences.
Êtes-vous contre toute forme de régulation de l'accès aux urgences ?
Mais elle existe déjà ! En 2003, après la canicule, le Pr Pierre Carli et Jean-François Mattei proposaient déjà de réguler et on avait donné du pognon pour le faire. Résultat : on a flambé avec 10 millions de passages supplémentaires et le système s’est cassé la figure ! Or, plus vous cassez les services publics, moins vous fournissez d’aide aux personnes fragiles et plus vous favorisez l’extrême droite.
Vous n’attendez donc rien de cette mission flash ?
Je suis en plein cauchemar. Qu’est-ce que vous voulez attendre quand vous êtes en plein cauchemar ? Je suis très déçu par mon ami François Braun, je ne pensais pas qu’il pensait à ce type de solution.
Il n’a pas officiellement rendu ses propositions à Matignon…
Mais c’est déjà vendu ! Vous avez le silence sépulcral de la classe politique, ils n’en ont rien à faire. Ils en auront quelque chose à faire quand ils appelleront des urgentistes pour que leurs enfants ou leurs proches malades soient pris en charge.
Êtes-vous partisan du retour de l’obligation des gardes en médecine de ville ?
Je suis pour l’obligation de permanence des soins pour tout le monde, pas seulement pour la médecine de ville ! Je suis pour que des médecins soient de permanence d’appel dans les Ehpad, pour que l’on puisse joindre un chirurgien orthopédiste quand les cliniques privées deviennent hégémoniques sur l’orthopédie. Aujourd’hui, plus personne ne veut travailler la nuit. Et l’enquête du Snphare l’a rappelé : les trois quarts des PH sont prêts à quitter l’hôpital dans les cinq ans.
Qu’auriez-vous proposé ?
Nos propositions sont connues : doublement de l’indemnité de garde de nuit pour les PH, sacraliser l’organisation des urgences 24h/24, appliquer l'indicateur de besoin minimal journalier en lits dans tous les hôpitaux où il y a des services d’urgence…
Il faudrait aussi trouver un accord organisationnel, territoire par territoire, pour que les urgences ne soient plus la seule variable d’ajustement, pour que les médecins de ville, ceux des cliniques privées et les Ehpad fassent leur part du travail. Enfin, il faut faire le lien avec les services sociaux de la ville pour trouver des solutions pour la grande pauvreté 24h/24.
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