Chercheur engagé dans le traitement des maladies hépatiques, doyen de la faculté de médecine Paris-Saclay, le Pr Didier Samuel, 64 ans, vient d’être élu à la tête de la Conférence des doyens de médecine. Pour « Le Quotidien », le professeur d'hépatologie revient sur les enjeux des réformes des études médicales et propose des solutions pour lutter contre les déserts médicaux, loin de la surenchère sur la hausse du numerus clausus.
LE QUOTIDIEN : Jean Castex vient d'annoncer l'universitarisation du CHR d'Orléans, répondant à une demande ancienne des élus du Centre-Val de Loire. Comment les doyens de médecine accueillent-ils cette nouvelle ?
Pr DIDIER SAMUEL : Le constat est là : la région d'Orléans est un désert médical. Et la réponse unique à cette question ne peut pas être simplement d'augmenter le nombre d’étudiants formés, ça prendra une dizaine d’années. Est-ce que la formation des étudiants sur un site comme Orléans fera qu'ils s’installent ensuite dans la région ? Tous ne le feront pas, mais on peut espérer que 50 % des internes s’y installent.
Toutefois, la création d’un CHU n’est pas simple. Actuellement, à Orléans, il n’y a que deux hospitalo-universitaires, donc il faudra créer des postes. Il est également question d’implanter une antenne de la faculté de médecine de Tours à Orléans. C’est une réflexion à laquelle nous sommes tout à fait disposés à participer. Les doyens sont prêts à accompagner positivement ce nouveau pôle, contrairement à l’implantation d’une antenne une faculté croate dans la ville, annoncée par le maire d’Orléans !
La conférence des doyens s'est immédiatement opposée à l’installation de cette antenne croate à Orléans. Pourquoi ?
C’est une mauvaise réponse à une bonne question. Une mauvaise réponse, car c’est une formation privée, les étudiants sortiront avec un diplôme croate sur le sol français. Ce n’est pas impossible en soi, mais cela pose des questions en termes de formation et de stage. Nous avons peur que les étudiants se trouvent piégés au bout de quelques années, sans diplôme faute d’agrément délivré par le ministère de l’Enseignement supérieur.
Avec l’augmentation régulière du numerus clausus, arrivez-vous aux limites de vos capacités de formation dans les facultés ?
Sur les cinq dernières années, le nombre d’étudiants formés a été augmenté de plus de 50 %. La dernière promotion comptait 10 500 étudiants admis en deuxième année de médecine, soit une augmentation de 20 % depuis 2019.
Nous ne sommes pas contre le fait d’accroître les capacités d’accueil, mais il faut bien comprendre que les facultés de médecine ont aussi pris en charge, depuis 10 ans, l’universitarisation des professions paramédicales. Soins infirmiers, kinésithérapie, manipulateurs radio : des milliers d’étudiants supplémentaires ont été accueillis, avec pourtant des moyens logistiques et hospitalo-universitaires quasiment constants…
Les salles de TD, les amphis, les bibliothèques n’ont pas des capacités illimitées. Il nous faut des moyens logistiques et humains pour encadrer tous ces étudiants. Il va donc falloir renforcer le recrutement de nouveaux hospitalo-universitaires si l’on veut continuer à augmenter le nombre d'étudiants formés. En tout cas, l'augmentation du numerus clausus ne pourra pas être la seule réponse à la question des déserts médicaux en France.
Quelles solutions proposez-vous ?
D’abord, il y a une vraie nécessité de développer l’attractivité des territoires, de ne pas laisser les jeunes médecins seuls. Ensuite, il faut réfléchir à des façons de pratiquer la médecine de manière novatrice : en favorisant le développement d'infirmières de pratique avancée (IPA), d'auxiliaires médicaux et de la télémédecine.
Une réflexion devra être menée aussi sur la régulation éventuelle des jeunes médecins sur le territoire, mais sans mesure coercitive ! Par exemple, on pourrait discuter d’une régulation, pas seulement pour la médecine générale mais aussi pour les spécialistes au niveau national. Avant de mettre cela en place, il faudra bien sûr une discussion en amont avec les acteurs libéraux, hospitaliers et les agences régionales de santé. C'est un sujet sensible, notamment pour les internes qui sont loin d'être bien payés. D’ailleurs, je pense qu’il faudra réfléchir à revaloriser leur rémunération.
La réforme du deuxième cycle des études médicales se met progressivement en place, non sans difficulté dans les facultés. Est-ce un sacerdoce ?
La réforme n'est pas encore achevée puisque la première promotion d’externes qui passera le nouvel ECN – les EDN [épreuves dématérialisées nationales] – est prévue pour 2023. Il ne faut pas de retour en arrière sur cette réforme mais il faut qu'on puisse avoir une meilleure visibilité pour gérer la logistique. Par exemple, il est prévu l’organisation d’Ecos nationaux, des examens cliniques objectifs et structurés. Les étudiants se répartiront dans des salles pour simuler des parcours d’examens cliniques sur des patients. Mais l’organisation s’annonce très lourde car tous les étudiants devront passer les épreuves en même temps, avec des jurys régionaux. Je sais déjà que, dans certaines facultés, plus de 100 % de leurs salles seront occupées par les Ecos, et que presque tout le personnel hospitalo-universitaire sera mobilisé, au même moment, dans toute la France. C’est un vrai défi !
Près de deux ans après l’entrée en vigueur de la réforme de la Paces, quel bilan en dressez-vous ?
Cette réforme est issue d'un constat : la Paces était à bout de souffle et de nombreux étudiants – la plupart du temps issus de bas S mention très bien – se retrouvaient sans aucune option après le redoublement. L’idée était donc de leur offrir une réelle seconde chance grâce aux deux parcours : les PASS [parcours d'accès spécifique santé] et les L.AS [licences avec option santé]. C’est vrai que la réforme a été mise en place rapidement, dans un contexte de pandémie.
L’objectif initial du gouvernement était d’admettre en deuxième année de médecine 50 % de PASS et 50 % de L.AS. Sauf que l'on s’est aperçu que les programmes n’étaient pas toujours adaptés. En PASS, la mineure était parfois trop lourde. Et en L.AS, beaucoup de facultés n’ont pas eu le temps de mettre en place des programmes spécifiques. Je crois d'ailleurs que les étudiants ne se sont pas encore totalement appropriés cette voie d’accès, en L.AS les notes était souvent insuffisantes pour passer en deuxième année.
Cette année, nous avons donc adapté le programme pour qu’il soit moins lourd. Par ailleurs, nous allons mettre en place un comité de suivi pour voir ce que deviennent les étudiants en 2e ou 3e année médecine. Il faudra notamment que nous soyons vigilants pour que des étudiants qui viennent de faculté de droit, par exemple, ne soient pas en difficulté dans les études de médecine. Nous réfléchissons à mettre en place des programmes de tutorat pour ces jeunes venant de licences plus littéraires, car la médecine reste tout de même une discipline scientifique.
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