L'annonce a agité les carabins tout le week-end, au point de mettre certains syndicats de juniors sur le pied de guerre. Le ministre de la Santé, François Braun, et la ministre de l'Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, ont confirmé dimanche l'ajout d'une quatrième année au DES de médecine générale, « conformément aux engagements pris par le président de la République », année réalisée exclusivement en ambulatoire et « encouragée » vers les territoires les moins pourvus en médecins généralistes.
Calendrier intenable ?
La surprise est que cette réforme est proposée au Parlement « dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale [PLFSS] pour 2023 », pour une entrée en vigueur à la rentrée universitaire de l'an prochain. « La médecine générale est la seule spécialité médicale à n’avoir que trois années d’internat, sans la phase de consolidation qui définit le statut dit de "docteur junior", au cours de laquelle les futurs praticiens peuvent exercer en autonomie supervisée, justifient les deux ministères. Cette absence de phase de consolidation est considérée comme une faiblesse, qui ne favorise pas une installation immédiate en sortie de cursus. »
Au-delà du calendrier serré qui pose question – sur la maquette, l'encadrement, le nombre de maîtres de stage… – les modalités envisagées ont aussitôt crispé les futurs généralistes, dès lors qu'il est question de « flécher » cette année supplémentaire en priorité dans des zones de désertification médicale.
Incendie
Conscient du caractère inflammable de cette réforme chez les jeunes, Ségur s'est employé à éteindre l'incendie. D'abord en soulignant lundi qu'il ne s'agirait « pas d'une obligation » d'aller exercer dans un désert médical. L'avant projet de loi que « Le Quotidien » a consulté précise que cette dernière année de DES s'effectuera « en priorité » dans les zones où la démographie est sous-dense.
L'exposé des motifs ajoute ensuite que, pour faciliter l’arrivée en stage des internes dans ces zones fragiles, « des mesures d’aides à l’installation seront travaillées avec les collectivités territoriales pour mettre à disposition un logement ou indemniser les frais de transport », peut-on lire. Les ministères insistent aussi sur la promesse d'un « véritable projet pédagogique » censé accompagner les futurs médecins vers leur installation rapide.
Autre preuve d'écoute, une mission a été confiée à quatre médecins « dans le but d’organiser la concertation nécessaire ». La Pr Bach-Nga Pham, doyenne de la faculté de médecine de Reims et ancienne vice-présidente de la Conférence des doyens, le Pr Stéphane Oustric, président du conseil de l'Ordre des médecins de Haute-Garonne, la Dr Mathilde Renker, ancienne présidente des internes de médecine générale et le Pr Olivier Saint-Lary, président du Collège national des généralistes enseignants (CNGE) ont été désignés par l'exécutif pour identifier les conditions du succès de cette réforme hautement sensible.
Les internes prêts à se mobiliser dès octobre
Il n'empêche. Les futurs généralistes sont vent debout contre l'idée d'un internat allongé à la hussarde pour combler les trous de la démographie médicale. « Nous nous opposons fermement à l’obligation de réaliser cette 4e année en zone sous-dense, il s’agit ni plus ni moins qu’un déguisement pour une année d’exploitation supplémentaire des internes », a vivement réagi l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (Isnar-IMG), rappelant que cette quatrième année « n'a jamais été demandée par les étudiants ». Le syndicat appelle ses troupes à se tenir prêtes « à une mobilisation nationale ». Les futurs généralistes retiennent néanmoins « la possibilité que les docteurs juniors exerçant en ambulatoire soient rémunérés en fonction des actes qu’ils réalisent », preuve que leur travail « critique » sur la 4e année « porte ses fruits ».
Également remontée, l'InterSyndicale nationale des internes (Isni) estime qu'on « essaie d'instrumentaliser les médecins en formation pour répondre à moindres frais aux problèmes complexes de l’accès aux soins », en reléguant au second plan les considérations pédagogiques. Elle s’oppose « formellement » à toute mesure coercitive et/ou « solution de remplacement déguisée » alors que les politiques de santé « sont un échec depuis 30 ans ». Les internes « ne s’installeront pas dans les territoires si on les oblige à y aller », recadre l'Isni. Sa présidente Olivia Fraigneau a annoncé une mobilisation à partir d’octobre « allant jusqu’à la grève de tous les internes pour lutter contre la coercition ».
L'Anemf, qui représente les étudiants en médecine, et notamment les externes, dénonce une méthode « intolérable » et rappelle qu'il n'y a à ce stade « aucune garantie » sur la formation, l'encadrement ou la rémunération des jeunes concernés.
Imposer une 4ème année de médecine générale de manière précipitée est voué à une diminution de l'attractivité de la spécialité
— Sarah DAUBRESSE (@SarahD_ANEMF) September 26, 2022
✅La qualité de formation doit être une priorité
❌Aujourd'hui les conditions ne sont pas réunies pour nous garantir une formation pérenne et sécuritaire https://t.co/AH4N2h3a7h
MG France redoute une coquille vide, la CSMF un effet repoussoir
Dans cette affaire, les juniors pourraient trouver un peu de soutien auprès de leurs aînés, qui émettent également des craintes. Certes favorable à la 4e année d’internat, MG France souligne qu'elle doit être « dédiée à la maîtrise de tout l’environnement professionnel, administratif et territorial » et donc se dérouler dans un cabinet de médecine générale, avec des praticiens en activité. « Pour les internes, de nombreuses conditions sont indispensables à cet exercice et nécessitent un cahier des charges complexe qui doit impérativement être validé par les jeunes et les médecins en exercice », met en garde MG France, qui redoute « une coquille vide ». Le syndicat présidé par la Dr Agnès Giannotti met en garde contre des décisions précipitées « qui risquent de compromettre une fois de plus l’attractivité de la médecine générale ».
Président des Généralistes-CSMF, le Dr Luc Duquesnel fait la même analyse. « Cette année en plus doit être professionnalisante et surtout, les jeunes doivent être encadrés, et non pas être envoyés seuls dans des déserts médicaux, sinon ils arrêteront médecine ou ne choisiront plus la médecine générale », alerte le Dr Duquesnel.
Pas assez de MSU ?
Le Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (Reagjir) déplore une annonce sans concertation. « Cette 4e année ne doit pas constituer une coercition déguisée exigeant des internes de médecine générale de pallier les conséquences de décennies de non-investissement dans la santé », souligne le mouvement, qui pointe – comme d'autres – l'insuffisance du nombre de maîtres de stage des Universités (MSU) pour garantir une formation de qualité sur l'ensemble du territoire.
Encore une fois, les ministères concernés s'efforcent de calmer le jeu. « Toutes les parties prenantes à cette réforme dont élus, étudiants, internes, médecins, patients, administrations et enseignants seront associés à cette concertation par la mission », affirme le gouvernement. À Ségur, on jurait ce lundi qu'« il ne s’agit pas d’aller vite »
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