Décider de pratiquer la médecine dans un quartier dit « défavorisé », c’est accepter d’exercer une médecine sociale, qui dépasse la mise à disposition de ses compétences scientifiques. Dans certains quartiers, notamment lorsque la consultation à domicile concerne une personne âgée ou vulnérable du fait de sa situation sociale, la visite du généraliste va au-delà du soin à proprement parler. Par sa présence, le médecin rompt la solitude et offre une oreille attentive à son patient. La consultation prend alors des allures d’entretien social ou psychologique. Le médecin conseille son patient, l’aide à déchiffrer un document administratif, à comprendre un courrier ou simplement à exprimer un malaise. Il est un soutien pour de nombreuses personnes livrées à elles-mêmes. Mais lorsque l’activité en cabinet ou les visites à domicile sont effectuées dans un contexte de stress majeur face à une agression potentielle, on comprend que certains généralistes jettent l’éponge, abandonnant ainsi leur patientèle.
Des incidents en hausse constante
Preuve que la problématique n’est pas récente, c’est en 2003 que le Conseil national de l’Ordre des médecins inaugurait l’Observatoire de la sécurité des médecins destiné à assurer un suivi des incidents auxquels les praticiens étaient confrontés dans l’exercice de leur activité. Grace à cet Observatoire, il est depuis 2003 possible d’avoir une cartographie précise des déclarations d’agressions dont sont victimes les médecins et notamment les généralistes. Ce recueil de données a contribué à permettre de mieux comprendre les enjeux et renforcer les coopérations entre praticiens et autorités concernées afin d’améliorer la prévention et le traitement des agressions. Entre 2015 et 2018, les déclarations d’accidents ont bondi, passant de 924 à 1126 alors que la moyenne constatée entre la création de l’Observatoire en 2003 et l’année 2015, se situait à 724 déclarations. Entre 2017 et 2018, la hausse s’élève à 9 %. Certaines régions sont plus touchées que d’autres par cette violence à l’encontre du corps médical. L’Ile-de-France, les Hauts-de-France et l’Occitanie sont les régions les plus touchées. Mais si l’on en croit les chiffres de 2018, il n’est pas possible de stigmatiser les banlieues puisque seules 20 % des agressions s’y déroulent, contre 54 % en centre-ville et 17 % en milieu rural. Les généralistes sont la spécialité la plus touchée. Ils représentaient 70 % des déclarants en 2018 contre 65 % en 2015. Dans la plupart des cas, les médecins sont agressés par leurs propres patients. Mais pas uniquement. Lorsqu’il s’agit de vol ou de détérioration de matériel (cabinet, véhicule) il est parfois difficile de trouver un coupable. En cabinet, le panel d’incidents est varié : incivilités, insultes, agressions verbales, physiques, menaces avec arme (couteau, cutter), vandalisme représentent la grande majorité des déclarations. Très souvent, par peur de représailles, les généralistes agressés ne portent pas plainte, rendant ainsi les agresseurs tout puissants.
Protéger l’exercice
S’il n’est pas souhaitable de stigmatiser les quartiers sensibles, le manque de respect pour les médecins et les agressions verbales ou physiques dont ils sont victimes a contraint certains praticiens à mettre un terme à leur activité ou à déplacer leur cabinet. D’autres sont parvenus, seuls ou avec le soutien des collectivités locales et des autorités concernées (justice, police, gendarmerie), à trouver des solutions pour protéger leur exercice et éviter que certains quartiers ne deviennent des déserts sanitaires. Installation de barreaux aux fenêtres du cabinet, mise en place d’une vidéosurveillance, visites à domicile supprimées ou effectuées avec un accompagnateur sont parmi les initiatives imaginées. Le Conseil national de l’Ordre, outre la mise en place d’un numéro d’écoute et d’assistance(1) a quant à lui élaboré des fiches pratiques destinées à aider les médecins dans la prévention des situations sensibles et à réagir en cas de violence subie. Les Conseils départementaux de l’Ordre ont pour leur part nommé des référents sécurité afin de répondre à l’urgence et accompagner les médecins. Courant 2019, la société Securimed 87 et le Conseil départemental de l’Ordre ont proposé aux médecins installés à Limoges, un bip de géolocalisation équipé d’un bouton pressoir permettant d’alerter les forces de l’ordre en cas d’agression. Une fois le bouton pressoir enclenché, les instances alertées (commissariat et SAMU 87) reçoivent les coordonnées GPS du médecin. En cas de non réponse de celui-ci à l’appel téléphonique de vérification passé par le SAMU87, le système déclenche l’intervention de la police sur les lieux de l’agression en 5 à 10 minute. Et ce, que le médecin soit à son cabinet ou en visite à domicile. En novembre 2019, la presse avait largement relayé l’agression du Dr Pauline Foti, attaquée en par trois individus après une consultation dans un quartier sensible de Nice et dépouillée de ses bijoux et de son sac à main. Une côte fêlée et une entorse au genou s’étaient ajoutées aux pertes matérielles et au préjudice moral facilement imaginable. Après l’agression de leur consœur, les professionnels intervenant pour l’association SOS Médecins avaient annoncé haut et fort qu’ils n’interviendraient plus dans le quartier des Moulins. Pendant 10 jours, aucun médecin ne s’y est déplacé. « Nous connaissons bien ce quartier car nous y intervenons depuis une vingtaine d’années », explique Joëlle Martinaux, gérante de SOS Médecins à Nice. « Nous avons même recruté un certain nombre d’emplois jeunes issus de ces quartiers », contribuant ainsi à l’insertion sociale de nombreux habitants défavorisés. Les événements de novembre 2019 ont permis à SOS Médecins d’interpeler la population. « Désormais, nous demandons aux habitants d’être vigilants et de venir surveiller nos véhicules lorsque nous sommes en intervention. » Car il est souvent arrivé que des médecins retrouvent leur voiture vandalisée. Depuis l’agression du Dr Foti, la police a également renforcé sa surveillance. « Nous bénéficiions déjà d’une grande vigilance de la part des forces de l’ordre. Aujourd’hui, toutes nos plaques d’immatriculation ont été relevées et chaque médecin est identifié par le biais de son téléphone portable et de son véhicule. Avec un simple appel, nous sommes géolocalisés. Si l’un d’entre nous se sent en insécurité, il peut prévenir le 17 qui met immédiatement une voiture en pré-alerte dans le quartier. » Le niveau 3 de cette organisation permet au médecin d’être accompagné par un policier jusqu’à la porte du patient.
V.A.
(1) 0800 288 038
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