En 2018, Camille (son prénom a été modifié), infirmière, est âgée de 27 ans lorsqu’elle subit pour la première fois les remarques graveleuses d’un de ses collègues chirurgiens. À l’époque, la jeune femme, qui prépare le diplôme d’infirmière-anesthésiste – qu’elle a depuis obtenu – , est affiliée à la salle des réveils dans un hôpital du sud-est de la France.
Un jour, alors qu’elle profite d’une pause, Camille entame une discussion avec de bons collègues de travail. Le ton est bon enfant, propice à la plaisanterie mais guère plus. « Je me souviens qu’un de mes collègues m’a un peu taclée je ne sais plus vraiment pourquoi. Je lui ai répondu, toujours sur le ton de la rigolade, que j’étais déçue, que je pensais qu’on était une grande famille et que je pensais avoir plus de soutien de la part de l’équipe », raconte-t-elle au Quotidien.
Des témoignages par centaines
C’est à ce moment-là qu’un des chirurgiens du service, qu’elle croise régulièrement en salle de réveil sans toutefois le connaître personnellement, lui lance une réflexion totalement hors de propos, devant un groupe d’infirmières « hilares ». « Il m’a dit : “Ben si on est une famille, pourquoi tu ne suces pas ?” », se remémore-t-elle.
Choquée et se sentant humiliée, elle répond du tac au tac sans vraiment réfléchir. « Je lui ai répondu qu’il avait l’âge d’être mon père et qu’il me dégoûtait ». Une remise en place qui le vexe aussitôt. « À partir de là, il ne m’a plus lâchée pendant plusieurs jours. Il me demandait tout le temps quand on se retrouvait tous les deux en salle de réveil si un tel ou un tel, infirmier ou médecin, était assez jeune pour moi. Je n’en pouvais plus. » Pour s’extraire de cette situation, elle finit par en parler à son chef de service. « J’ai expliqué ce qu’il se passait et j’ai menacé d’aller voir les ressources humaines. Le chirurgien en question ne m’a plus jamais adressé la parole. »
Ne plus permettre l’impunité
Depuis mercredi dernier et les accusations de harcèlement sexuel portées par la Pr Karine Lacombe à l’encontre de l'urgentiste Patrick Pelloux, les témoignages de ce type affluent par centaines sur les réseaux sociaux. Sur le compte Instagram de @Jujulagygy, gynécologue-obstétricienne aux 86 000 abonnés, internes et soignantes partagent leurs mauvaises expériences. Près de 500 commentaires ont été comptabilisés sur le compte de la praticienne, qui a exhorté ses abonnés à ce qu’« une prise de conscience générale ne permette plus l’impunité » . « À la lecture des commentaires, on observe que ce sont majoritairement des jeunes femmes qui sont victimes. Ces incidents surviennent souvent au cours des études de médecine, fait remarquer @Jujulagygy, contactée par le Quotidien. Dépendantes de leurs supérieurs hiérarchiques, certaines victimes ont peur de voir leur stage invalidé ou d’être mise de côté », note-t-elle.
Un constat partagé par Emmanuel Hay, président du Syndicat des internes des hôpitaux de Paris (SIHP). « La période de l’internat est très critique. C’est une période où les jeunes médecins en formation sont particulièrement vulnérables de part leur statut. Par exemple, illustre-t-il, quand vous êtes interne à Brest ou dans d’autres villes, à l’exception de Paris peut-être, vous restez dans le même lieu de formation pendant 4 à 6 ans selon votre spécialité. Si votre stage se passe mal, vous êtes en quelque sorte prisonnier pendant plusieurs années. Les supérieurs hiérarchiques ont presque droit de vie ou de mort sur les étudiants même si les violences peuvent évidemment continuer après l’internat », avance l’interne en santé publique.
« À l’hôpital comme ailleurs, les agresseurs vont cibler les personnes qu’ils considèrent comme plus vulnérables qu’eux ou dotées de moins de pouvoir, abonde à son tour Marilyn Baldeck, experte des violences sexistes et sexuelles et cofondatrice de la Collective Des Droits. L’hôpital est un lieu où les écarts de pouvoirs sont extrêmement importants, ce qui explique que ce soit un terrain de violences privilégié ».
Etre « dur au mal »
Les nombreuses prises de parole révèlent aussi que certains services sont particulièrement propices aux dérives. De nombreux incidents se produisent par exemple au bloc opératoire ou en service d’anesthésie-réanimation. « Il y a classiquement une culture machiste et sexiste en chirurgie, tout le monde le sait, souligne Emmanuel Hay. C’est aussi vrai en anesthésie-réanimation » ajoute l’interne passé par ce service pendant un an et demi. « Ces milieux assez durs et violents exigent d’être dur au mal, de faire beaucoup de gardes. Dans certains services, il faut montrer sa capacité à résister à la violence, montrer qu’on est inébranlable, avance-t-il. C’est mon ressenti personnel mais cela contribue, à mon avis, à faire émerger des profils de personnes prêtes à encaisser cette violence et parfois la reproduire. C’est presque la condition pour avoir le droit de remplir ces postes-là », analyse-t-il.
Marilyn Baldeck met aussi en avant ces services où les « ambiances de travail sont très sexualisées et où personne n’est spécifiquement visé ». « C’est une culture très misogyne. C’est très pervers car ce n’est pas une soignante qui est ciblée en particulier mais les femmes en général, ou les personnes en raison de leur orientation sexuelle. Ce sont des situations qui peuvent devenir légitimement insupportables pour une partie du collectif », conclut-elle.
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