LE QUOTIDIEN : Pouvez-vous nous résumer votre parcours ?
FIENE MARIE KUIJPER : Je suis interne en deuxième année de neurologie à l’AP-HP. J’ai commencé mes études à Montpellier, mais à partir de la deuxième année je suis partie à Paris pour faire un double cursus médecine-sciences à l’ENS d’Ulm. Je voulais en effet, en plus de la médecine, faire des neurosciences, et cela m’a notamment permis de faire en 2019 un stage à Stanford, en Californie, sur la stimulation cérébrale profonde pour le traitement des troubles neuropsychiatriques.
WILFRID CASSERON : Je suis pour ma part neurologue en libéral à Aix-en-Provence, et je fais également des vacations à l’hôpital Nord de Marseille. J’ai étudié la médecine à Nantes, puis j’ai commencé en 2000 mon internat de neurologie à Marseille. Je l’ai terminé en inter-CHU à Paris. Après l’internat, j’ai comme beaucoup fait un DEA de neurosciences. J’ai par la suite travaillé trois ans sur une thèse, mais cette incursion dans la recherche ne m’a pas beaucoup plu, ce n’était pas assez concret à mon goût. J’ai finalement saisi une opportunité d’installation en libéral à Aix, car je voyais que l’exercice hospitalier exclusif n’était pas tout à fait adapté pour moi, tout en complétant mon activité libérale par une implication en tant que praticien attaché à l’hôpital.
C’est une discipline qui se situe à la frontière des sciences humaines et sociales
Dr Wilfrid Casseron
Quelles raisons vous ont poussé vers la médecine en général, et la neurologie en particulier ?
F. M. K. : C’était un choix de cœur, mais aussi raisonné. J’avais envie d’être utile, de faire un métier qui a du sens, et j’avais aussi envie de faire quelque chose qui continuerait à me stimuler intellectuellement. Dès le départ, j’ai voulu associer la recherche dans mon parcours, et j’aime par ailleurs beaucoup l’humilité qu’il y a dans l’exercice médical : on n’a aucune certitude, tout est en évolution constante. Le choix de la neurologie s’est fait naturellement, le cerveau m’a toujours fascinée, c’est le berceau de ce que nous sommes, et je veux accompagner les personnes qui ont des maladies touchant cet organe. C’est pourquoi je m’intéresse beaucoup aux maladies neurodégénératives, notamment.
W. C. : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu être médecin, mais la neurologie est un choix tardif. À l’origine, je voulais être pédiatre, jusqu’à ce que je passe dans des services de pédiatrie où je trouvais qu’on s’occupait davantage des parents que des enfants ! La neurologie s’est imposée au fil des rencontres avec des gens qui m’ont fait comprendre qu’elle était encore une sorte de terra incognita : à la fin des années 1990, il n'y avait pas encore grand-chose sur le plan thérapeutique, on savait que cela allait beaucoup évoluer dans les années à venir, et c’était stimulant pour un jeune médecin. Par ailleurs, c’est une discipline qui se situe à la frontière des sciences humaines et sociales, beaucoup de neurologues sont des gens qui ont une certaine culture littéraire.
Des progrès incroyables ont été faits au cours des vingt dernières années
Fiene Marie Kuijper
On caricature souvent la neurologie comme une discipline ayant peu de diagnostics à offrir, et encore moins d’options thérapeutiques. Est-ce une image dépassée ?
F. M. K. : Je pense que c’est une image qui a pu exister. La situation réelle est variable selon les pathologies, mais elle a beaucoup évolué. On a fait des progrès incroyables au cours des vingt dernières années. Et s’il est vrai que dans certains domaines comme les maladies neurodégénératives, nous sommes encore limités, de grandes évolutions vont certainement arriver prochainement.
W. C. : Je suis tout à fait d’accord : dans les pathologies vasculaires, par exemple, nous avons longtemps été des observateurs de l’AVC, alors qu’aujourd'hui, avec la thrombolyse ou d’autres méthodes de plus en plus interventionnelles, nous pouvons agir. De même, dans la SEP, nous commençons à avoir avec les immunothérapies par exemple des options qui n’existaient pas auparavant. Et je prends le pari que les choses vont bouger dans les maladies neurodégénératives également : dans 20 ans, nous aurons un arsenal thérapeutique complet.
Se tenir au courant des évolutions est-il particulièrement difficile dans une discipline qui évolue si rapidement ?
F. M. K. : Les gens qui choisissent la neurologie savent qu’ils devront avoir une démarche très proactive, et s’adapter en permanence. Cela va très vite, il faut une base solide de ce qui est connu pour comprendre ce qui arrive. Cette année, par exemple, c’était le lecanemab, dans la maladie d’Alzheimer, mais il y a des évolutions constantes.
W. C. : C’est d’autant plus important que nos patients se tiennent eux aussi au courant. Ils sont informés, et si vous êtes dépassé, ils s’en rendent compte assez rapidement. Les familles des patients Alzheimer, par exemple, ont entendu parler du lecanemab, certains ont même lu la publication, ils veulent savoir quand il sera disponible en France.
Comment imaginez-vous l’avenir de la spécialité ?
F. M. K. : Nous sommes comme la cardiologie dans les années 1960 : à une période charnière où tout s’accélère. C’est un moment de bascule, avec des poussées incroyables dans de nombreuses pathologies. Par ailleurs, comme dans toutes les autres disciplines médicales, je pense que nous allons davantage vers une médecine de précision, avec par exemple le phénotypage moléculaire qui prend de l’ampleur…
W. C. : Il est certain que nous aurons des outils moléculaires de plus en plus précis. On assiste par ailleurs à un véritable boom de l’imagerie, et les pathologies sur lesquelles les thérapies géniques ont fait leurs premières poussées sont des pathologies neurologiques. De plus, dans la prise en charge des douleurs, la neuromodulation, la stimulation magnétique transcrânienne, les électrodes intracrâniennes sont en train de se développer. Ce n’est pas un hasard si Elon Musk, dont on a un peu tendance à se moquer, a créé Neuralink.
Justement, l’exemple d’Elon Musk n’est-il pas l’illustration du côté effrayant que peut avoir la neurologie ?
F. M. K. : On peut le penser car effectivement, si on ne met pas de limites, les possibilités de Neuralink sont effrayantes. Est-ce qu’on peut aller jusqu’à contrôler quelqu'un à distance ? Il faut donc bien sûr mettre en place des structures éthiques permettant de contrôler ce développement. C’est d’ailleurs l’une des richesses de la neurologie, qui nous oblige à nous poser des questions à tout moment. Mais il serait malfaisant de vouloir freiner le progrès parce qu’il y a des risques de dérives.
W. C. : Chaque progrès en médecine pose des questions éthiques. Regardez Crispr-Cas9 : beaucoup de gens, au lieu de dire que c’était un outil formidable pour traiter certaines maladies, ont prédit que cela allait servir à fabriquer des mammouths. Quant au vieux fantasme de contrôler des humains avec des électrodes, nous en sommes très éloignés. Ce qui m’intéresse davantage, c’est que ces outils nous permettront dans quelques années, par exemple, d’aider un patient atteint de la maladie de Parkinson, sans que cela soit invasif… Il faut être prudent, et je ne rêve pas de l’homme connecté, mais il ne faut pas se priver d’outils à proposer à nos patients.
Que diriez-vous à un interne qui hésiterait à choisir la neurologie ?
F. M. K. : Beaucoup d’étudiants ont peur de la neurologie, qui est comme entourée d’un certain nuage dans leur apprentissage. Je dirais à cet étudiant de bien structurer les bases, de bien apprendre la sémiologie, puis toutes les pathologies. Il ne faut pas avoir peur, les connaissances se construisent par étapes. C’est une spécialité très complète, qui a un aspect très clinique, et où la dimension humaine reste très importante, avec une relation entre le médecin et le patient très spéciale.
W. C. : Je dirais quant à moi à cet étudiant que même si nous ne sommes pas les derniers des Mohicans, nous sommes une spécialité qui garde un ancrage clinique certain : nous pouvons encore faire des diagnostics avec un marteau réflexe, un diapason et notre cerveau. Et je pense qu’avec ces trois outils, nous pourrons encore faire des diagnostics dans 20 ans. La spécialité peut effrayer les jeunes, par les organes qu’elle concerne, et par l’absence de stratégie thérapeutique qui a longtemps prévalu. Mais cela a progressé, cela va progresser, et je conseillerais à cet étudiant de regarder les spécialités qui ont le plus évolué au cours des dernières années : la neurologie figure dans le top 3 !
Wilfrid Casseron
2000 : Interne de neurologie à Marseille
2004 : Fin d’internat à la Salpêtrière Paris, DIU de myologie
2006 : Neurologue libéral à Aix-en-Provence
2008 : En parallèle, praticien attaché à l’Assistance Publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM)
Fiene Marie Kuijper
2015 : Étudiante en médecine à Montpellier
2017 : Double cursus médecine-sciences à l’École normale supérieure (ENS) Ulm
2019 : Stage de master 2 dans le laboratoire du Dr Halpern à Stanford
2022 : Interne en neurologie à l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP)
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