La dernière étude Remplact datait de 2015. Pourquoi était-il important pour vous d’avoir une actualisation des données ?
Dr Élise Fraih : Des évolutions importantes ont eu lieu depuis sept ans, avec des efforts de simplification et d’autres pour davantage exposer les internes au terrain. En 2017, la réforme de troisième cycle s’est traduite par davantage de stages ambulatoires pour les internes de médecine générale. Être confrontés plus souvent aux terrains qui les concernaient a pu avoir une influence sur la durée des remplacements. La même année, il y a aussi eu un quasi-doublement du plafond pour bénéficier du régime micro-BNC. En 2021, la création du RSPM (régime simplifié des professions médicales) a permis une affiliation à la Carmf et une déclaration du chiffre d’affaires qui appelait les cotisations sociales de façon assez intuitive. Avec ces changements, il était donc essentiel de voir qui étaient les remplaçants de 2022, leurs problèmes, leur exercice, etc.
Cela permet-il aussi de lutter contre certaines idées reçues ?
Dr É. F. : C’est important pour la construction de la santé de demain et la rigueur intellectuelle. Pour faciliter l’installation, le remplacement est une étape essentielle puisqu’il s’agit de l’exposition à la vie libérale ou ambulatoire qui se fait de façon autonome. On entend parfois dire, par des politiques ou des représentants de syndicats médicaux, des choses aberrantes : « ce sont des gens qui s’en mettent plein les poches », « qui passent leur vie sur la Côte d’Azur », etc. Ce n’est absolument pas la réalité du terrain. Nous voulions donc avoir des chiffres pour pouvoir aussi les communiquer aux pouvoirs publics : la Cnam, le ministère, et les inciter à refaire leurs mesures de façon plus exhaustive et objective que celles d’un syndicat. Pour montrer qu’on se trompe sur toute la ligne et que tant qu’on ignorera le profil des remplaçants, on sautera un maillon entre l’étudiant et l’installé. Notre objectif est de documenter qui sont les remplaçants et ce qu’ils font, pour que tous les dispositifs qui s’occupent de l’installation et de la formation les prennent en compte ainsi que leurs compétences et les actes qu’ils réalisent.
D’autant plus que le climat politique actuel est souvent à la stigmatisation de cette population…
Dr É. F. : J’ai l’impression d’une franche cécité ou malhonnêteté intellectuelle. Beaucoup de solutions sont proposées en faisant croire que tout le monde, systématiquement, est fainéant, égoïste et profiteur. Je suis abasourdie par ce discours, alors que nous sortons d’une pandémie où le corps professionnel soignant a donné. Je pense que cela sert à masquer le fait qu’il y a moins de moyens : il est plus simple de chercher un bouc émissaire. Viser le remplaçant, notamment, arrange vraiment tout le monde. Par ailleurs, je ne comprends pas comment, dans le monde professionnel tel qu’il est aujourd’hui, qui valorise les expériences, on occulte ce point quand il s’agit des remplaçants. Un remplaçant, c’est quelqu’un qui va maîtriser plusieurs terrains, savoir exercer avec plusieurs logiciels, comprendre comment marche une entreprise et construire la sienne en ayant une expérience. Même dans une logique de start-up nation, que je ne défends pas, dire « non, il faut tout de suite aller à un endroit », c’est aux antipodes de la construction d’un projet professionnel. Ce n’est pas moderne, ni attractif.
Pour avoir une image fiable de qui sont les remplaçants, vous défendez aussi toujours leur conventionnement ?
Dr É. F. : Pour nous, le conventionnement est la solution la plus complète et simple. Qui dit conventionnement dit espace AmeliPro pour savoir où ils travaillent, sur quelle période, quels actes ils font. Ce serait l’idéal mais force est de constater que ce n’est pas la volonté politique du moment. Je pense que cela s’explique par cette croyance que donner davantage de droits aux remplaçants, c’est les inciter à garder ce statut. Mais nous aimerions qu’il y ait un travail de recensement avec la Cnam, et normalement cela devrait être initié dans les prochains mois. Et peut-être également que nous en reparlerons en commission jeunes médecins du Cnom.
Êtes-vous soutenus par les syndicats seniors ?
Dr É. F. : Pendant ce mandat, j’ai eu la chance d’avoir de très bonnes relations avec les syndicats, quels qu’ils soient, même si les discussions sont plus approfondies avec certains. Tous ont systématiquement apporté un soutien contre les mesures de coercition. Mais il y a plutôt eu un silence radio sur les remplaçants parce qu’ils estimaient qu’ils avaient d’autres chats à fouetter. L’intérêt pour la question est assez variable et même quand les relations sont bonnes, je ne suis pas certaine que tous les syndicats seniors aient compris que s’intéresser aux remplaçants est crucial pour toucher le jeune installé. Je ne dirais pas que nous ne sommes pas soutenus mais il y a souvent lettre morte après des promesses d’en discuter. C’est aussi lié à l’actualité. S’il n’y avait pas les négociations ou ces propositions de loi qui nous laissent sur les genoux, peut-être aurions-nous pu amorcer un travail de fond sur la question. Si nous arrivons à dépasser ce contexte politique, peut-être pourrions-nous nous y atteler.
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