Qui a épargné Marisol Touraine parmi les médecins de ville ? Égratignée, souvent moquée par une profession supposée majoritairement de droite, la ministre est loin de faire l’unanimité. Pourtant, quelques médecins socialistes la soutiennent encore, malgré des résultats, de leurs propres aveux, pas toujours convaincants. « Le Généraliste » les a rencontrés.
Exercice cruel… Si l’on comparait la cote de Marisol Touraine auprès des généralistes à celle de François Hollande auprès des Français, il y a fort à parier qu’elles seraient similaires. Tous les praticiens sont-ils de cet avis ? Pour s’en rendre compte, il fallait pousser la porte de généralistes au profil un peu particulier, parce que sympathisants ou adhérents du parti socialiste. Et, petite surprise : s’ils soutiennent globalement ce gouvernement, ils sont quelques-uns à réclamer aussi un droit d’inventaire, notamment sur les dossiers santé de ces dernières années
Le TPG, oui, mais dans son intégralité
Mesure phare de la loi santé, le tiers payant généralisé qui a suscité l’ire de nombreux médecins ne laisse visiblement personne indifférent. Les médecins socialistes que nous avons consultés ne sont pas forcément au diapason de la majorité. Qu’ils aient été signataires ou non de la pétition lancée en faveur du tiers payant généralisé début 2015, ces adhérents ou sympathisants du parti à la rose s’avouent favorables, au moins idéologiquement, à la mesure.
D’emblée, certains balaient l’argument selon lequel le tiers payant généralisé aurait un caractère inflationniste sur le nombre de soins. Bernard Scherrer, retraité qui continue d’assurer une dizaine de consultations par jour à Vichy, s’indigne : « C’est une fumisterie ! ». Encarté au parti socialiste depuis 2002 et la déroute de Lionel Jospin, il assure que sa patientèle bénéficiant de la CMU n’a jamais abusé de son statut. Stéphane Veyriras, quarante ans d’exercice en cabinet de groupe, abonde dans ce sens : « les patients CMU n’abusent pas de leur carte. Le tiers payant, c’est pareil », assure-t-il.
De son côté, Emmanuel Debost, élu URPS de la région Bourgogne-Franche-Comté, estime qu’il revient aux praticiens de convaincre les patients de ne pas consulter intempestivement et fait remarquer que la majorité des patients ne va pas chez le médecin par plaisir, mais par nécessité. Aux yeux de ces médecins, le tiers payant généralisé a surtout vocation à réduire le renoncement aux soins.
[[asset:image:9986 {"mode":"small","align":"left","field_asset_image_copyright":["DR"],"field_asset_image_description":["G\u00e9n\u00e9raliste \u00e0 Plombi\u00e8res-l\u00e8s-Dijon (C\u00f4te-d\u0027Or)"]}]]Mais, s’ils s’inquiètent pour leurs patients, ces généralistes sont aussi soucieux de leurs conditions d’exercice. Et, de ce point de vue là, ils ne se montrent guère différents du praticien de terrain. Dans sa forme actuelle, le tiers payant généralisé ne leur apporte pas suffisamment de garanties, estiment-ils. La quasi-totalité des praticiens interrogés réclament spontanément un payeur unique, la complexité des relations avec les caisses complémentaires en refroidissant plus d’un. Un positionnement proche de celui de beaucoup de leurs confrères et calqué sur une revendication de MG France, un syndicat dont la plupart des généralistes rencontrés sont adhérents.
Quoique non syndiquée, Fabienne Yvon est d’ailleurs aussi sur cette ligne-là. Cette généraliste de 44 ans installée à Orvault figurait en 2007 et 2014 sur la liste PS pour les élections municipales de cette commune de Loire-Atlantique. Aux yeux de cette consœur, une telle solution permettrait d’éviter de subir le même sort que les pharmacies « qui ont un mal fou à se faire rembourser ». Initialement favorable à la mesure, elle se montre d’ailleurs méfiante après l’annulation du volet complémentaire de la mesure par le Conseil constitutionnel.
Pierre Pieniek, ex-adhérent du Parti socialiste (de 1971 à 1982) et aujourd’hui radical de gauche, invoque également l’expérience des pharmaciens pour introduire une autre condition au tiers payant généralisé : la non-obligation de celui-ci. Ce conseiller municipal de Romans-sur-Isère rappelle que le tiers payant dans les pharmacies n’a pas été contraint mais incité, s’imposant finalement de lui-même. L’impérativité du tiers payant généralisé, Stéphane Veyriras n’y croit d’ailleurs pas : « La notion d’obligation sera difficile à faire appliquer au 1er janvier 2017 car toutes les mutuelles ne seront pas prêtes. »
Sous sa formule actuelle, le TPG - qui ne reprend que partiellement le texte d’origine - ne convainc donc pas ces généralistes. « On ne va pas faire payer 6,90 euros quand les gens vont chez le médecin, c’est grotesque. Les généralistes se sont tiré une balle dans le pied », regrette désormais Philippe Sopena, membre de la Commission nationale de santé du PS qui avait lancé une pétition en faveur du tiers payant généralisé l’an dernier.
Cette loi ne mérite ni cet excès d'honneur ni cette indignité
Dr Philippe SOPENA, membre de la commission nationale de Santé du PS
Un peu déçu, cet ex-vice-président de MG France estime que les généralistes ont leur part de responsabilité dans cet échec. Il n’est pas le seul parmi les « docteurs » du PS à désigner ses confrères. Le Dr Stéphane Veyriras, conseiller départemental PS en Haute-Vienne depuis 1988, regrette la désinformation qui, selon lui, a régné lors des manifestations de 2015. « Le discours selon lequel on devient mécontent des caisses est un discours malhonnête car nous sommes bien heureux d’avoir des caisses de Sécu et de complémentaires qui existent. Quelque part nous sommes déjà dépendants ». Et le généraliste de Nantiat de déplorer que « les gens descendent dans la rue pour faire des manifestations collectives sans avoir lu ni discuté les textes ». Avant d’ajouter : « C’est peut-être la faute du gouvernement qui ne sait pas présenter les choses. En plus de cela, les médias sont à l’affût et, en définitive, on vit sur des réactions épidermiques. Les problèmes de fond ne sont pas abordés, on ne sait plus prendre le temps de réfléchir, discuter, échanger. On privilégie les rapports de force, on le voit avec les agriculteurs notamment ».
La loi Touraine a goût de trop peu
Pas conquis par le TPG bis, ces généralistes de gauche le sont-ils davantage par les autres volets de la réforme Touraine ? Si certains admettent ne pas être tout à fait au fait de l’intégralité du texte, la plupart des médecins interrogés saluent quelques réussites dans la loi de modernisation de la santé : comme le remboursement intégral de l’IVG, par exemple. Cependant, tous s’accordent à dire qu’elle manque d’ambition. « Cette loi ne mérite ni cet excès d'honneur ni cette indignité », résume Philippe Sopena. En Bourgogne, Emmanuel Debost - qui a quitté MG France en raison de l’opposition du syndicat au TPG - regrette vivement ce qu’il considère comme « l’abandon » de cette mesure, même s’il concède que des avancées ont été réalisées, citant lui aussi le remboursement à 100 % de l’IVG.
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Au-delà, presque tous ces médecins PS reprochent surtout à la loi santé de ne pas résoudre les principaux problèmes : déserts médicaux, renoncement aux soins et dépassements d’honoraires. La faute, selon eux, à un système de décision trop centralisé, trop parisien et qui ne connaît pas la réalité du terrain. Comme l’explique Pierre Pieniek, conseiller départemental de la Drôme, « on ne doit pas partir du sommet mais de la base, on n’écoute pas assez la base en France. Il y a une forme de parisianisme, on croit que tout peut se décider dans la capitale, et les politiques ne sont peut-être pas assez à l’écoute. » Et, à les entendre, ce ne sont pas les moyens mis à la disposition de Marisol Touraine qui amélioreront cette situation.
Mais, surtout, quand on est socialiste de longue date, tel Stéphane Veyriras, encarté depuis 1981, on attendait le gouvernement sur d’autres marqueurs de gauche, par exemple en luttant plus efficacement contre les dépassements d’honoraires : « Certains ophtalmologues font des dépassements systématiques, il y a des ententes illicites punissables par la loi, si on le voulait… Les pauvres patients n’ont plus qu’à signer et débourser de l’argent. Je regrette beaucoup qu’on ne se soit pas attaqué à ce problème. Et puis on continue à ne pas rembourser ou à dérembourser des patients. S’en occuper, c’était prendre des mesures de gauche qui auraient rendu service à l’image du PS et du gouvernement en place… », estime-t-il. Bernard Scherrer, qui fut candidat aux élections départementales de l’Allier en 2015, se montre encore le plus critique. « C’est le flou artistique, rien ne change » tranche-t-il.
Le procès du corporatisme
[[asset:image:10001 {"mode":"small","align":"right","field_asset_image_copyright":["Membre de la commission nationale de Sant\u00e9 du PS"],"field_asset_image_description":[]}]]Reste qu’aux yeux de beaucoup de ces médecins militants, la ministre a quand même des circonstances atténuantes. Et certains d’entre eux de fustiger le corporatisme de la profession. Stéphane Veyriras met en cause le ciblage systématique, qu’il juge détestable, des personnalités politiques en France. Pour lui, « Touraine a bien tenu sa place. Elle a fait beaucoup d’efforts pour essayer de partager, de faire travailler sur ses réformes. Elle n’est pas suffisamment épaulée sur le terrain par une profession qui est très corporatiste. Elle est courageuse, un peu obstinée et honnête. » « Je l’aime bien, et ce n’est pourtant pas à la mode de le dire », abonde Philippe Sopena, qui crédite aussi la ministre d’un grand succès : la réduction du déficit de l’Assurance maladie.
Au-delà de mes valeurs politiques, je suis critique de mon gouvernement
Dr Fabienne YVON, généraliste à Orvault (Loire-Atlantique)
De bonnes notes qui ne suffisent pas à Fabienne Yvon. Au PS depuis 2006, cette ligérienne ne s’imagine pas défendre l’actuelle ministre de la Santé. « Au-delà de mes valeurs politiques, je suis critique de mon gouvernement » assure-t-elle, concédant, bon gré mal gré, un drôle de compliment : « Marisol Touraine est droite dans ses bottes ». La défendre, Emmanuel Debost le fait volontiers. « Je l’admire pour sa combativité. J’ai beaucoup travaillé au PS sur le projet de loi sur la fin de vie qui est une avancée majeure. Il a été porté par la ministre et je lui suis redevable », confie le généraliste bourguignon de 57 ans, qui fut le médecin traitant de Chantal Sébire, et avoue se « sentir plus proche du gouvernement que du parti socialiste. »
Dialogue à sens unique
Plus compréhensive, moins hostile, plus complexe peut-être, l’opinion de ces médecins de gauche sur leur ministre contraste avec celle de nombre de leurs pairs. Ce qui n’empêche pas ces généralistes d’afficher clairement leurs convictions. Tous se disent à l’aise lorsque vient le moment de débattre avec leurs confrères, même si quelques-uns avouent se sentir parfois un peu marginalisés.
C'est vraiment difficile d’aborder les problèmes avec certains collègues qui ne pensent qu’au fric
Dr Stéphane VEYRIRAS, généraliste à Nantiat (Haute-Vienne)
De l’avis de certains, le refus du dialogue viendrait plutôt de certains confrères adversaires de Marisol Touraine. Emmanuel Debost rapporte ainsi qu’« au moment des élections aux URPS, j’ai été frappé par des médecins qui avaient des positions très dogmatiques ». Il est conforté dans ses propos par Stéphane Veyriras : « c’est vraiment difficile d’aborder les problèmes avec certains collègues, notamment des villes qui ne pensent qu’au fric. »
Vous avez dit dialogue ? Même quand on est au PS, le contact ne serait pas si évident non plus avec l’avenue de Ségur. Philippe Sopena est bien placé pour en juger, lui qui a adhéré au PS en 1972 et contribué à la rédaction des dix propositions de santé de François Mitterrand en 1981. « La commission santé fonctionne comme le PS : quand vous êtes dans l’opposition, on vous demande votre avis et on vous écoute. Quand vous êtes au pouvoir, les gens de l’avenue de Ségur n’écoutent pas ce que vous leur dites ou bien quand ils l’entendent, ils ne le mettent pas en pratique. Je ne peux pas dire que les choses ont changé depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir… ».