Article réservé aux abonnés
Dossier

Parcours de soins

Le médecin traitant, toujours la référence

Par Camille Roux - Publié le 23/02/2018
Le médecin traitant, toujours la référence

Médecin traitant
Jean Paul CHASSENET

Le parcours de soins, qui fêtera l'an prochain ses 15 ans, est entré dans les mœurs. Le médecin traitant est cependant aujourd’hui bousculé. Les nouveaux usages numériques se développent : sites de rendez-vous en ligne, services de téléconsultation, et bientôt la télémédecine. Dans certains territoires, des patients peinent à trouver un médecin traitant. Toutefois, même fragilisé, il demeure incontournable, adopté par 93 % des patients, notamment car il conditionne un meilleur remboursement.

À quoi ressemblera le médecin traitant de demain ? Le dispositif, instauré par la réforme de l'Assurance maladie en 2004, est en pleine mutation. Le boom de la e-santé, mais aussi les difficultés d’accès aux soins ont, depuis dix ou quinze ans, fait évoluer la relation entre le patient et son médecin traitant. De récentes décisions politiques changent également la donne. Avec son plan pour renforcer l’accès aux soins, Agnès Buzyn insiste sur la nécessité de raisonner désormais en termes d’équipe de soins, d’exercice regroupé, de délégation de tâches, rendant quasi obsolète le médecin de famille seul face à son patient. Le généraliste a plus que jamais besoin d’être épaulé par l’ensemble des professionnels de santé de son territoire. Et pour cause. Si l’Assurance maladie ne donne pas de chiffres précis, environ 7 % des Français n’auraient pas de médecin traitant déclaré. De plus en plus de citoyens peinent à trouver un généraliste référent disponible sur leur territoire (voir ci-après).

Pour le patron de l’Ordre, le Dr Patrick Bouet, il est indispensable de « redéfinir ce que l’on attend du parcours de soins et du médecin traitant ». La notion est elle-même fragilisée, car elle se heurte à la réalité du terrain : le manque de médecins. Les syndicats sont cependant clairs : le médecin traitant ne doit pas perdre son rôle de pivot du système de soins, bien que son environnement se transforme à vitesse grand V. « Ce n’est pas le médecin traitant qui doit évoluer, mais la notion de médecin traitant sur un territoire, précise le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF. Il doit rester le chef d’orchestre du parcours de santé ». Cette analyse est partagée par le directeur général de la Caisse nationale d'Assurance maladie, Nicolas Revel : « Le médecin traitant reste le point central de la prise en charge des patients », martèle-t-il au Généraliste. Pour lui, son rôle est « d’autant plus essentiel que la médecine concerne de moins en moins des prises en charge d’épisodes aigus » et se dirige « vers un suivi au long cours des maladies chroniques ».

Vers un parcours de santé

Si le “parcours de soins” est traditionnellement indissociable du médecin traitant, sa pertinence et son champ d’action sont aujourd’hui remis en cause. « Doit-on rester centré sur l’idée d’un parcours de soins avec un malade, un médecin et des soins, ou bien ouvrir l’espace à un parcours de santé avec une naissance, des mécanismes de prévention et un accompagnement ? » s’interroge le Dr Patrick Bouet. Le médecin traitant évolue ainsi dans un cadre plus large. « On parle beaucoup aujourd’hui d’éducation thérapeutique. Le médecin est toujours l’acteur qui connaît le mieux le patient. Il doit l’aider à se retrouver dans une offre de soins compliquée à comprendre pour certains », observe Caroline de Pauw, directrice de l’URPS Hauts-de-France et sociologue chercheuse associée au Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques.

Le médecin traitant serait donc amené à renforcer son rôle d’aiguilleur et de coordonnateur, en coopération avec les autres structures et professionnels de santé. Mais qu’en sera-t-il pour les patients qui ne trouvent plus de médecin traitant ? Pour le Dr Jacques Battistoni, président de MG France, il devra s’appuyer sur des assistants. « Des fonctions-supports feront gagner du temps. Si vous perdez cinq minutes de consultation à faire de l’administratif, en déléguant, vous pouvez prendre plus de patients », propose-t-il. Le gouvernement prévoit par exemple une nouvelle formation d’infirmière clinicienne dès la rentrée 2018 pour aider les médecins dans certaines tâches. Du côté des patients, l’enjeu autour du médecin traitant sera aussi de gagner en qualité des échanges lors des consultations à l’avenir. Gérard Raymond, vice-président de l’association de patients France assos santé (anciennement le CISS), analyse : « Les transformations concernent l’ensemble des acteurs de premier recours, et plus particulièrement le médecin traitant. » Et d’ajouter : « Les patients nous confient qu’ils ont du mal à avoir un colloque singulier riche. Faute de temps, les consultations manquent d’échanges et d’explications sur la maladie, et comment vivre avec elle. »

Le colloque singulier en danger ?

« La dimension humaniste » du médecin traitant est bien l’élément le plus fort de son lien avec le patient, confirme Caroline de Pauw. On peut donc craindre que la e-santé et la téléconsultation ébranlent ces échanges. « Lorsqu’on parle de nouvelles technologies, on fait souvent comme si les médecins n’étaient plus que des techniciens qu’on peut remplacer par des programmes. Penser que tout peut se faire en visio, c’est renier toute la partie non technique du rapport médecin-patient », prévient la sociologue. Attention à ne pas aller trop loin donc. L’Assurance maladie a, en ce sens, placé le médecin traitant au cœur des activités de télémédecine, dont l’avenant conventionnel est actuellement négocié. « Les syndicats de médecins comme l'Uncam convergent sur le fait que les nouveaux usages doivent concerner des patients que les médecins connaissent déjà et qui doivent être suivis dans le cadre du parcours coordonné », rassure Nicolas Revel. Reste à savoir comment réguler la téléconsultation privée, où le médecin se trouve parfois à plusieurs centaines de kilomètres du patient et en totale contradiction avec le parcours de soins.

Les prises de rendez-vous en ligne interrogent aussi sur la capacité du patient à sortir du parcours coordonné en quelques clics. Le Dr Jacques Battistoni temporise, convaincu que le nomadisme médical a toujours existé. D’après lui, les concernés ont souvent « des maladies bénignes qui nécessitent un avis ponctuel, peu des patients en ALD ». Ces derniers seraient en effet moins de 2 % à ne pas avoir de médecin traitant.

Le dispositif du médecin traitant demeure toutefois prépondérant, car il conditionne un bon remboursement des soins par l'Assurance maladie. Sortir du parcours de soins est en effet pénalisant financièrement pour le patient. Pour une consultation à 25 euros, la mutuelle rembourse le même ticket modérateur (7,50 euros), que l’on se rende chez son médecin traitant ou non. En revanche, l’Assurance maladie ne versera que 6,50 euros au lieu de 16,50 à ceux qui sortent du parcours de soins (hors urgence). À l’heure où le médecin traitant s’inscrit désormais dans un parcours de santé plus large, ce modèle de remboursement serait-il lui aussi dépassé ? Le président de l’Ordre ouvre la discussion : « Chaque Français doit pouvoir bénéficier d’un médecin coordonnateur de l’ensemble des prises en charge. Doit-il pour autant être celui qui permet des remboursements à des niveaux différents, c’est une autre question », conclut le Dr Patrick Bouet.

Camille Roux