Interrogations sur les bénéfices réels de la PPC dans l’apnée du sommeil, association entre cauchemars et risque suicidaire, etc. Alors que les nuits des Français sont de plus en plus courtes ou perturbées, le dernier congrès français du sommeil (Lille, 23 au 25 novembre 2022) a été l’occasion de revenir sur les liens entre troubles du sommeil et santé. À l’honneur également, les outils numériques, qui se multiplient dans ce domaine mais demandent encore, pour certains, à être validés. Du côté des médicaments, le système orexine-hypocrétine suscite de plus en plus d’intérêt.
SAS, la pression positive continue en question
Le traitement du syndrome d’apnée du sommeil (SAS) par pression positive continue (PPC) est-il vraiment si bénéfique ? Après plus de vingt ans de recherche sur le sujet, une réponse claire peine encore à se dégager. Et ce, alors même que la surmortalité liée au SAS apparaît, elle, bien confirmée, déplore le Pr Maria-Pia d’Ortho (Paris).
Entre 2005 et 2015, quelques études observationnelles et petits essais cliniques ont suggéré une efficacité de la PPC pour réduire les comorbidités et la mortalité cardiovasculaires associées au SAS. « Un socle solide (qui a permis) d’engager des financements pour des études multicentriques » lancées à la fin des années 2010, explique le Pr d’Ortho. Mais ces investigations de plus grande envergure n’ont pas apporté les résultats escomptés. À commencer par l’étude randomisée Mosaïc, conduite en Angleterre et au Canada sur des patients présentant un SAS pauci-symptomatique. Selon ce travail, la PPC ne permettrait pas de réduire le risque cardiovasculaire. Dans le même esprit, l’essai international Save et ses études ancillaires n’ont pas mis en évidence de bénéfices cardiaques ou extracardiaques (poids, diabète de type 2, etc.) de la PPC par rapport aux soins usuels. Idem du côté de l’étude Isaac, parue en 2020 et conduite chez des patients atteints de SAS et de syndrome coronarien aigu. Avec, là encore, « pas d’effet de la PPC sur le pronostic cardiovasculaire », résume le Pr d’Ortho.
Cependant, aux yeux du Pr d’Ortho, « la bête n’est pas morte ». D’abord car les conclusions de ces grandes études apparaissent discutables. « L’analyse des biais n’est pas toujours bien faite », note la chercheuse, qui relève des biais de recrutement, un suivi trop réduit dans le temps ou une observance insuffisante. De fait, dans nombre d’essais, la PPC est utilisée « moins de trois heures » par nuit alors qu’une méta-analyse suggère qu’un effet pourrait se dégager à partir de quatre heures d’utilisation.
De plus, de nouveaux résultats, cette fois positifs, commencent à apparaître. Des essais cliniques randomisés – certes, de taille réduite – ont récemment décrit « des effets significatifs de la PPC sur l’hypertension artérielle et le stress cardiaque », dont on connaît le poids sur « le pronostic au long cours », souligne le Pr d’Ortho.
Mais surtout, de premières études de cohortes suggèrent bien « un effet dose, les patients observants ayant bien un taux d’incidence d’évènements cardiovasculaires réduit, le tout avec une robustesse statistique indiscutable », avance la chercheuse, qui évoque en particulier une étude grenobloise publiée en 2022, dont chaque bras réunissait plus de 88 000 patients.
Au total, le Pr d’Ortho appelle à réaliser des études en vie réelle… et à ne pas s’arrêter à la PPC. « En 2022, il faut envisager d’autres traitements », juge-t-elle.
À ce titre, plusieurs études présentées lors du congrès laissent entrevoir de nouvelles pistes thérapeutiques. Un essai randomisé chinois a expérimenté avec succès, chez quinze individus, la stimulation transcutanée de l’hypoglosse à l’aide de patchs submentaux. Du côté des traitements pharmacologiques, un inhibiteur de l’anhydrase carbonique, le sultiame – antiépileptique pédiatrique connu pour provoquer des hyperventilations – a montré son efficacité dans un essai randomisé conduit sur une soixantaine d’individus, avec des effets indésirables principalement à type de paresthésies de faible intensité résolutives à l’arrêt du traitement. En outre, « les inhibiteurs du SGLT1 pourraient avoir un effet sur le SAS », rapporte aussi le Pr d’Ortho.
Système orexine-hypocrétine : une nouvelle cible thérapeutique
Alors que dans les pathologies du sommeil, l’arsenal pharmacologique est plutôt limité, le système orexine-hypocrétine pourrait constituer une nouvelle cible prometteuse pour certaines d’entre elles.
Découvert en 1998, ce système régule les structures impliquées dans le maintien de la veille. À la fin des années 2000, des études ont mis en évidence des taux effondrés d’orexine, voire une perte de neurones à orexine chez des patients narcoleptiques et cataplexiques. Ainsi, des agonistes du récepteur 2 de l’orexine (exclusivement cérébral) ont été développés contre la narcolepsie.
Et après 20 ans de travail, des résultats encourageants se dégagent. Par exemple, un candidat traitement de Takeda a manifesté chez des souris KO pour l’orexine une efficacité dose-dépendante. « Quand on administre (la molécule), la souris ne dort plus, et se réendort lorsqu’on arrête le traitement », résume le Pr Yves Dauvilliers (Montpellier). Au-delà des recherches chez l’animal, des essais cliniques encourageants émergent, en particulier avec des candidats injectables, l’un d’eux ayant été associé, dans le cadre d’une investigation clinique, à une réduction significative de l’endormissement dès 8 jours de traitement chez des narcoleptiques de type 1.
Mais des progrès restent à faire avant qu’une AMM émerge dans la narcolepsie. Car ce dernier agoniste du récepteur 2 de l’orexine – qui compte parmi les candidats les plus avancés – a révélé une efficacité moindre chez des narcoleptiques de type 2, reconnaît le Pr Dauvilliers. Et surtout, le passage à des formes orales apparaît difficile. Ainsi, une étude sur un autre candidat qui semblait bel et bien actif per os a dû être suspendue pour raison de sécurité, déplore le spécialiste.
En revanche, de nouveaux médicaments ciblant le système orexine-hypocrétine ont déjà été autorisés dans l’insomnie. On sait depuis plusieurs années que l’insomnie est associée à une hyperactivation des systèmes de veille, et en premier lieu du système orexine-hypocrétine. Dans ce contexte sont développés des antagonistes des récepteurs à l’orexine (Dora), à l’instar du suvorexant, de Merck, qui a fait la preuve de son efficacité. Seule limite : sa demi-vie longue, qui provoque une sédation au réveil, explique le Pr Dauvilliers. D’où l’intérêt suscité par le daridorexant, qui semble être actuellement la molécule la plus prometteuse. Dans un essai de phase 3 conduit sur plus de 3 100 sujets, ce produit a montré sa capacité à améliorer le sommeil et à réduire la somnolence diurne à un mois, trois mois et même un an. Et ce, grâce à « une absorption rapide, un effet rapide, qui dure toute la nuit, sans effet négatif au réveil, sur la mémoire, etc. », s’enthousiasme le Pr Dauvilliers. Si bien qu’une autorisation européenne de mise sur le marché a été obtenue en 2022. « On attend un accord sur le prix » en vue d’une éventuelle commercialisation en France, indique le spécialiste.
Les cauchemars, prédictifs de la crise suicidaire ?
Et si les cauchemars annonçaient la crise suicidaire ? C’est en tout cas ce que suggèrent diverses études présentées au congrès par Pierre-Alexis Geoffroy (Paris). Et ce, « alors que les cauchemars restent globalement sous-étudiés », déplore le spécialiste.
Les troubles du sommeil, et en particulier les insomnies, sont déjà considérés depuis plusieurs années comme des marqueurs des conduites suicidaires. Une vaste étude conduite par le Pr Geoffroy en 2021 à partir d’une base de données de santé publique américaine a montré que 60 % des individus ayant réalisé une tentative de suicide au cours d’un suivi de 3 ans sont concernés par des altérations du sommeil – contre 20 % des individus n’ayant pas réalisé de tentative de suicide pendant l’étude.
Au-delà de l’insomnie, de plus en plus de travaux pointent aussi une association entre cauchemars et idées ou gestes suicidaires. Une méta-analyse publiée en 2019 dans le BMJ Psychiatry suggère qu’au sein des troubles du sommeil, les plaintes les plus associées aux comportements suicidaires sont « les insomnies mais aussi les cauchemars », rapporte le Pr Geoffroy. Dans le même esprit, une étude conduite en 2017 auprès d’une population d’adolescents – globalement plus sujets aux cauchemars que les adultes – avait disculpé les terreurs nocturnes et le somnambulisme mais confirmé un lien entre risque suicidaire et cauchemars.
Pourtant, les cauchemars en eux-mêmes ne favoriseraient pas le suicide. Une étude de 2022 menée chez une centaine d’adolescents a montré que « la fréquence des cauchemars en elle-même est certes associée aux plaintes d’insomnie mais pas aux symptômes anxieux et dépressifs », souligne le Pr Geoffroy. En fait, selon ce travail, ce serait plutôt la détresse associée aux cauchemars qui médierait le suicide. « Alors que j’étais au plus mal, je n’avais aucun lieu de refuge. Je n’avais aucun moment de répit et j’étais désespéré », témoigne d’ailleurs un patient dont le psychiatre rapporte les propos.
À noter que le contenu des cauchemars n’aurait, lui, pas d’impact sur la suicidalité. De fait, une investigation de 2017 ayant analysé le contenu de cauchemars n’a retrouvé aucune association entre un thème de rêves et idées suicidaires. Il existerait cependant trois phénotypes de rêves, plus ou moins associés aux comportements suicidaires. Dans une étude du Pr Geoffroy publiée à l’automne 2022 et conduite chez des patients parisiens qui venaient de faire une tentative de suicide, 67 % des individus recrutés rapportaient avoir souffert de mauvais rêves avant leur crise suicidaire, 52 % avaient plus spécifiquement manifesté des cauchemars (soit des mauvais rêves aboutissant à un réveil) et 22 % indiquaient avoir joué en rêve leur scénario suicidaire avant la tentative. En moyenne, « les mauvais rêves apparaissaient quatre mois avant la tentative de suicide, les cauchemars trois mois avant, et les rêves avec scénario suicidaire six semaines plus tôt », décrit le Pr Geoffroy.