LE QUOTIDIEN : Après avoir boycotté la reprise des négociations, qui a été ajournée, vous avez rencontré le ministre de la Santé. Avez-vous obtenu des engagements sur les tarifs des cliniques et les discussions conventionnelles ?
DR PATRICK GASSER : Ce rendez-vous était déjà prévu et il n’est donc pas lié à notre décision de nous retirer, pour l’instant, des négociations conventionnelles. Mais il a été l’occasion d’aborder de front les deux sujets de la convention et de l’enveloppe tarifaire des cliniques !
Sur la question de la campagne tarifaire [l’évolution des tarifs des hôpitaux et des cliniques, NDLR], nous avons dénoncé l’iniquité entre le public et le privé. Le gouvernement est en train d’attaquer de face, la médecine libérale et plus particulièrement la médecine spécialisée. Et en dépit du front commun entre les trois principaux groupes du secteur privé (Ramsay, Elsan et Vivalto, NDLR), il n’y a pas que les grosses cliniques qui sont concernées. Celles qui sont de dimension inter-régionale ou régionale le sont aussi. C’est exactement ce que j’ai dit au ministre. Attention, si ces petits établissements implantés dans ces territoires délaissés n’appartenaient pas à des groupes plus solides, ils seraient déjà en faillite. Avec les conséquences que cela implique pour les patients et les professionnels de santé.
Le gouvernement a accordé une hausse de 0,3 % sur les tarifs MCO des cliniques. Concrètement, comment risque de se traduire cette stagnation tarifaire pour les spécialistes qui y exercent ?
Cela signifie que les cliniques privées n’auront plus suffisamment de recettes pour pouvoir embaucher ou revaloriser les salaires. Si on ne prend que l’exemple des infirmières, leurs salaires sont aujourd’hui beaucoup plus importants à l’hôpital public que dans le privé. La différence est déjà de l’ordre de 20 % à 30 %.
Le ministre en a d’ailleurs convenu. Mais ce n’est pas tout, Quand vous n’avez plus de marges de manœuvre, vous allez freiner sur l’investissement, sur l’innovation et sur les équipements, et donc par ricochet, sur la qualité et la sécurité des prises en charge. Vous allez aussi rogner sur les types d’activité que vous réalisez. Tout ce qui n’est pas rentable, vous ne le faites plus ! Il y aura une sélection. Et à l’arrivée, vous licencierez du personnel.
Revenons à la convention… Poussez-vous en faveur du secteur 2 pour tous, ou du moins le droit à un espace de liberté tarifaire pour l’ensemble des médecins ?
Certains syndicats le demandent. J’en ai parlé au ministre. Nous sommes conscients des difficultés économiques. Lorsque l’État ou l’Assurance-maladie ne peuvent pas satisfaire la nécessaire valorisation des tarifs des médecins libéraux, il faut trouver d’autres solutions. La mise en place d’un espace de liberté tarifaire pourrait être un bon moyen. Mais pour combler le reste à charge supplémentaire, nous devons le solvabiliser avec les complémentaires pour que personne ne soit perdant. C’est pour cela que nous allons continuer à discuter avec les complémentaires santé et à négocier. Car nous n’avons peut-être pas besoin de compléments d’honoraires sur tous les actes.
Le retard pris dans les négociations à cause de votre boycott ne risque pas de pénaliser tout particulièrement les spécialistes cliniciens au bas de l’échelle des revenus, et aussi les généralistes ?
Avenir Spé prendra le temps qu’il faudra pour négocier et construire un accord avec les mesures que nous souhaitons. Le discours de l’urgence est celui de l’Assurance-maladie relayé par certains syndicats. J’ai toujours dit à Thomas Fatôme [le DG de la Cnam, NDLR] que nous prendrions notre temps et qu’on arrête de nous dire que le temps presse.
Le calendrier d’application des revalorisations fait partie de cette négociation… Mais pensez-vous qu’on soit désormais à six mois près ? En tout cas, le timing dépendra des propositions qui seront mises sur la table notamment sur la CCAM technique (classification commune des actes médicaux, NDLR).
Avez-vous reçu des gages de la part du ministre ?
Il nous a dit que la négociation n’est pas terminée. De notre côté, nous sommes en train de parfaire les revendications que nous porterons conjointement avec la Fédération de l’hospitalisation privée [FHP] et toute l’intersyndicale, notamment une enveloppe CCAM indexée, a minima, sur l’inflation. On va tous essayer de négocier pour qu’on n’arrive pas bloqués au 3 juin, date de la grève programmée des cliniques.
Mais je le répète : il faut bien lier les deux sujets, celui de l’enveloppe tarifaire des cliniques et celui des négociations conventionnelles. À quoi bon obtenir des tarifs réévalués si l’on n’a plus d’établissement pour les pratiquer ? La CSMF fait fausse route. Et l’arbitrage sera rendu au plus haut niveau de l’État.
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