Le bras de fer dure depuis huit mois. Le Dr Dominique Tribillac, 70 ans, est accusé par sa caisse primaire d’assurance-maladie d’avoir délivré près de « trois fois plus » de jours d’arrêts de travail par patient que la moyenne du 1er septembre 2022 au 28 février 2023, soit en tout 4 900 jours indemnisés pour 16,7 jours d’arrêt par patient, quand la moyenne pratiquée par ses confrères des zones comparables est de 5,9 jours.
Si le généraliste installé depuis 35 ans dans un quartier populaire défavorisé de Dieppe (Seine-Maritime) ne nie « absolument pas » ce chiffre, ni la proportion d’arrêts, il se dit « révolté » par la sanction infligée. Dans un premier temps, la caisse primaire lui a demandé de réduire le nombre d’arrêts de 20 %, une mise sous objectifs (MSO) que le médecin a refusée. Ce refus a déclenché une procédure de mise sous accord préalable (MSAP), actée pour une durée de quatre mois. Selon le Dr Tribillac, cette décision a été appliquée malgré un avis « négatif » de la commission paritaire consultée. Conséquence, pour chaque arrêt de travail prescrit, le praticien est censé remplir un long formulaire pour justifier sa décision et le faire valider par un médecin-conseil de l'Assurance-maladie, et ce jusqu'au 31 mai 2024. Une décision infantilisante. « J’ai refusé cette décision. La Cnam n’a qu’à convoquer les patients pour voir si ma prescription est justifiée ou non », s’exaspère le généraliste, joint par Le Quotidien.
Population précaire
Dans cette affaire, le Dr Tribillac regrette que la Sécurité sociale ne prenne pas en compte « la réalité socio économique de sa patientèle, qui vit pour beaucoup avec 865 euros en moyenne ». « Dans les quartiers défavorisés, la moitié des actifs sont des travailleurs précaires, davantage victimes d’accidents de travail car ils ne sont pas formés à la sécurité. Tous les jours, j’avais au moins un ouvrier précaire qui refusait de se faire arrêter », confie le médecin. C’est cette « misère sociale et économique » qui entraîne, selon le généraliste, un nombre plus important d’arrêts maladie qu’ailleurs.
La situation a tourné au pataquès. Face aux indemnités journalières bloquées pour une dizaine de patients, le généraliste a décidé de leur avancer l’argent pour ne pas les pénaliser… Le médecin en cumul emploi retraite a aussi décidé de porter plainte devant le tribunal administratif contre sa caisse pour « abus de pouvoir » et promet de poursuivre son action « jusqu’à ce qu’elle cède ».
Mes patients ont vraiment besoin de ces arrêts de travail pour des raisons strictement médicales
Afin de sensibiliser les patients, il a aussi lancé une pétition en ligne intitulée « Pour de meilleures indemnités maladie dans les quartiers populaires », qui a déjà récolté plus de 400 signatures. Il y explique que ses patients ont « vraiment besoin de ces arrêts de travail pour des raisons strictement médicales », et qu’il ne sort pas de son rôle de « soignant responsable ». Le cas du Dr Tribillac n’est pas isolé. Dans le Tarn par exemple, six généralistes ont fait l’objet d’une mise sous accord préalable (MSAP) en décembre.
À l’été 2023, en pleine polémique sur la campagne de contrôle des IJ, la Cnam s’était expliquée sur sa méthode. Environ 2 % des généralistes étaient alors concernés par une potentielle mise sous objectifs (MSO) de leurs prescriptions d’arrêts de travail, première étape avec une éventuelle mise sous accord préalable (MSAP). Pour cette campagne, avaient été sélectionnés les médecins prescrivant au moins « deux fois plus d’arrêts de travail par patient actif » en tenant compte de la structure de leur patientèle (comparaison avec leurs confrères de la même région à patientèle et zone d’exercice comparable avec standardisation des patientèles selon l’ALD, le sexe et l’âge et prise en compte de l’indice de défavorisation du territoire). Pas de quoi convaincre le Dr Tribillac…
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