LE QUOTIDIEN : Quand allez-vous relancer les négociations ? Dans quel état d’esprit abordez-vous ce round ?
THOMAS FATÔME : Mon état d’esprit est résolument tourné vers le dialogue et l’action. C’est celui du patron de l’Assurance-maladie qui a négocié et signé, avant l’été, un grand nombre d’accords ambitieux avec plusieurs professions de santé. Des négociations « flash » sur l’inflation, une nouvelle convention avec les dentistes, un protocole pluriannuel avec les biologistes, deux avenants très importants avec les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes. Bref, la dynamique conventionnelle fonctionne ! Le dialogue social dans la santé, ça marche. De part et d’autre, on a su trouver des terrains d’entente, dans le cadre de négociations pas toujours évidentes. Il n’y a pas de raison que le dialogue conventionnel ne produise pas des résultats aussi avec les médecins. Je souhaite que la reprise des négociations puisse se faire sans tarder.
C’est-à-dire ?
Il faut deux choses. Un nouveau mandat du ministre de la Santé et de la Prévention, qui termine en ce moment des rencontres avec l’ensemble des syndicats médicaux. Et de nouvelles orientations du conseil de l’Uncam. Dès lors que ces éléments sont sur la table, nous serons prêts à redémarrer. Nous nous y préparons sur le fond comme sur la forme, pour enclencher des discussions de manière rapide.
Aurélien Rousseau a souhaité que la dynamique des discussions soit enclenchée avant le 1er novembre, date symbolique du C à 26,50 euros…
Je partage ce calendrier. Mais encore une fois, il y a des étapes juridiques et politiques à respecter au préalable.
Précisément, le cadre des négociations sera-t-il différent du précédent ?
Je souhaite en tout cas qu’il permette de construire un accord ambitieux avec les médecins. Le gouvernement présentera, a priori, dans l’intervalle son projet de loi de financement de la Sécurité sociale et l’Ondam pour 2024. Ces éléments poseront aussi le contexte des discussions. Mais je le dis : nous devons garder en tête que les défis du système de santé n’ont pas disparu. Les tensions sur l’accès aux soins sont réelles. Ce qui est en jeu, c’est notre capacité, de part et d’autre, à proposer des solutions nouvelles. J’attends des syndicats qu’ils soient force de propositions. De notre côté, on ne reformulera pas de propositions qui n’ont pas fonctionné.
Pour la majorité des syndicats, la consultation à 30 euros sans conditions est devenue un prérequis. Allez-vous mettre cette proposition sur la table ?
La consultation à 26,50 euros n’est qu’une étape, c’est clair. Il faut certainement aller au-delà de ce tarif. Mais il y a eu des avancées depuis deux ans : on a trois fois plus de visites longues majorées, on a revalorisé plusieurs spécialités cliniques (pédiatres, psychiatres), l’APC [avis ponctuel de consultant, NDLR], les soins non programmés. L’arbitre a mis en place une consultation à 60 euros pour les médecins traitants qui prennent des patients en ALD, c’est 2 000 euros d’honoraires en plus par médecin. Le passage à 26,50 euros représente quant à lui 6 % d’augmentation à venir. Mais encore une fois, ce n’est qu’une étape. Tout le monde mesure le contexte inflationniste, qui doit être pris en compte. Ces nouvelles revalorisations devront s’inscrire dans une réflexion plus globale sur l’attractivité de la médecine de ville et l’accès aux soins des patients.
Mais avez-vous du moins abandonné l’idée d’un engagement territorial conditionnant l’accès à des revalorisations supplémentaires ?
Oui, soyons clairs : je ne vais pas reprendre une logique qui liait une revalorisation à l’acte avec des conditions individuelles d’engagement. Le contrat d'engagement territorial, c’est terminé ! J’entends et j’écoute : celui qui n’a pas compris que les 30 euros étaient un sujet majeur n’a pas suivi ce qui s’est passé ces derniers mois. Je suis lucide.
Mais j’attends aussi, en contrepartie, des propositions de la part des syndicats médicaux, en particulier sur un sujet majeur, insuffisamment traité jusque-là, comme le ministre de la Santé l’a lui aussi demandé : celui de la qualité et de la pertinence des soins, de la qualité des prescriptions. Quels sont les nouveaux outils que nous pouvons construire avec les médecins ? Par exemple, pourquoi sommes-nous si en retard sur les biosimilaires ?
Au-delà de la médecine générale, y a-t-il toujours une volonté de revaloriser certaines spécialités cliniques au bas de l’échelle des revenus ?
Clairement, nous voulons poursuivre un rééquilibrage des rémunérations au bénéfice de la médecine générale mais aussi d’autres spécialités cliniques. Notamment les pédiatres et les psychiatres. Nous avons des avancées importantes dans l’avenant 9, il faut aller plus loin. Je souhaite aussi que cette négociation nous permette de mieux appréhender les défis de chacune des spécialités. Nous n’en avons pas eu le temps la dernière fois.
Des syndicats vous ont souvent reproché de ne pas être assez à l’écoute. Vous annoncez un changement de méthode ?
Le nouveau ministre de la Santé et de la Prévention l’a dit en arrivant : ce qui est important, ce sont les preuves. Nous avons prouvé à l’Assurance-maladie, au deuxième trimestre, que nous savions écouter et tenir compte des attentes des différentes professions de santé. Mais je dis aussi que je souhaite instaurer davantage de transparence, il faut que nous expliquions mieux nos propositions, nos éléments de diagnostic. Tout ce qui est mis sur la table, nous devons le diffuser plus tôt pour que les syndicats aient le temps de l’appréhender. Le débat doit être plus largement porté.
Depuis plusieurs semaines, des collectifs de généralistes passent d’autorité leur consultation à 30 euros. Quelle est l’ampleur de ce mouvement ?
Nous suivons cela de près. Fin août, nous avions 850 médecins (sur 50 000 généralistes) qui, régulièrement et sur une part non négligeable de leur activité, cotent soit 30 euros directement, soit utilisent un « DE » systématique. J’ai entendu sur les réseaux sociaux que la moitié des généralistes cotaient 30 euros de façon sauvage, mais on est très très loin de cela ! C’est moins de 2 % des généralistes. Je me félicite donc que l’immense majorité des médecins continuent de respecter les tarifs conventionnels.
Lorsque les médecins pratiquent assez systématiquement des dépassements, ce sont les patients qui payent. Ils font peser sur eux un reste à charge illégal, ce n’est pas acceptable. Nous leur avons adressé un courrier rappelant les règles du jeu conventionnel, qui prévoit une période d’observation. Nous y sommes. J’ai demandé aux caisses primaires de privilégier le dialogue mais les courriers sont très clairs : si les comportements ne changent pas, des étapes et des sanctions sont prévues. Ma responsabilité, c’est de faire respecter les règles conventionnelles.
L’UFML-S a lancé des appels au déconventionnement et revendique plus de 2 700 lettres d’intention. Cette contestation vous inquiète-t-elle ?
À ce jour, nous n’avons enregistré que quelques dizaines de déconventionnements effectifs depuis début 2023. Je ne commente pas des lettres d’intention dont je ne mesure pas le volume réel. Mais je condamne ces appels irresponsables. C’est une forme de prise en otage des patients, qui ne sont pas responsables. Ils relèvent d’un choix individuel de quelques médecins qui se mettent en dehors du système permettant le remboursement et la prise en charge de leurs patients.
Envisagez-vous une ouverture du secteur 2, que réclament certains syndicats ?
Ce n’est pas à l’ordre du jour. On a travaillé sur le sujet de l’Optam [option de pratique tarifaire maîtrisée, NDLR], son évolution et ses paramètres. C’est un dispositif intéressant qui permet de construire une régulation des dépassements, leur solvabilisation partielle par les complémentaires et donc de gérer des restes à charge maîtrisés. L’heure n’est pas pour moi à une extension du secteur 2.
Un mouvement de grève illimité a été annoncé par tous les syndicats à partir du 13 octobre. Cela complique-t-il l’entrée en négociation ?
Je crois me souvenir que l’origine de ce mouvement de colère n’est pas en lien direct avec les négociations conventionnelles mais avec l’examen au Sénat de la proposition de loi dite « Valletoux » sur l’accès aux soins. Il faut lire attentivement le texte voté par l’Assemblée ; le député Frédéric Valletoux a redit clairement que son texte ne comportait pas d’obligation individuelle de permanence des soins, ni de régulation de la liberté d’installation.
Où en est la campagne de recrutement des assistants médicaux ?
Ce dispositif a été déjà massivement simplifié et rendu plus lisible. Les médecins peuvent déjà recruter un assistant médical à temps plein sans condition démographique ou d'exercice coordonné. On l'a aussi simplifié sur l'atteinte des objectifs. La campagne d'accompagnement démarre, un bilan sera fait dans les prochaines semaines. Mais le dispositif est en train de décoller. Et je rappelle que l’aide est pérenne, ce n’est pas une aide à l’embauche mais à l’emploi.
Les pharmaciens vont pouvoir délivrer des antibiotiques sans prescription médicale dans le cadre de la cystite et de l’angine. Êtes-vous favorable à ces délégations à des non-médecins ?
C'est une proposition de bon sens. Aujourd'hui, les patients ne comprennent pas pourquoi, dans un cadre défini, avec un arbre décisionnel, les pharmaciens formés ne peuvent pas agir. À un moment, il faut simplifier le parcours des assurés dans un cadre maîtrisé. Mais là où je rejoins les médecins, c'est que si tous les actes simples et rapides sont faits par d'autres professionnels, il leur restera des consultations et des situations plus compliquées, ce qui va impacter leurs conditions d'exercice et leur modèle économique. C'est une inquiétude légitime. Pour autant, dans un contexte de pénurie médicale, est-ce nécessairement au médecin de faire un rappel de vaccin pour un adulte ?
Le plan « patients en ALD sans médecin traitant » a débuté au mois d’avril. Sur plus de 700 000 personnes concernées, quel en est le bilan, à six mois ?
En juin, François Braun a évoqué le chiffre de 50 000 patients en ALD ayant déjà trouvé un médecin traitant. Début juillet, nous avons écrit aux médecins qui voient régulièrement les mêmes patients dont ils ne sont pas les médecins traitants, avec des listes nominatives. Cette opération commence à porter ses fruits. Nous prendrons d’autres initiatives, par exemple en direction des 13 000 médecins en cumul emploi-retraite, pour anticiper les départs et, bien sûr, tout faire pour qu’ils poursuivent leur activité.
IJ : « quelques centaines » de médecins qui abusent
L’été a été marqué par une campagne de contrôles renforcés des arrêts maladie. « Elle ne vient pas de nulle part », assume le DG, qui pointe la dynamique élevée des dépenses liées aux arrêts de travail – dont la moitié seulement s'explique par la situation démographique ou économique. Concernant les généralistes, la Cnam a ciblé un peu moins de 1 000 médecins, soit 2 % d'entre eux. « Les entretiens confraternels, les visites des délégués de l’Assurance-maladie, ce n’est pas du contrôle », plaide Thomas Fatôme. Dans un quart des cas, le dialogue a abouti à l'abandon de la procédure de mise sous objectifs (MSO). Dans un peu moins de la moitié des situations, les médecins acceptent la MSO et, dans le quart restant, ils l'ont refusée, ce qui va entraîner une mise sous accord préalable (MSAP). « Ce n’est pas une mécanique aveugle. Une petite minorité de médecins abusent, quelques centaines », recadre le DG.
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