« 10 % des Français n’ont pas de médecin traitant. C’est un sujet auquel on ne pouvait pas ne pas s’intéresser », cadre François Demesmay, directeur innovation médicale et expérience patient chez Ramsay Santé. Depuis 2022, la filiale européenne du géant australien Ramsay Health Care, leader de l’hospitalisation privée en France, expérimente la gestion de centres de santé dans le cadre de l’article 51 de la loi Sécu sur les innovations en santé. Une façon aussi pour le privé lucratif d'investir le champ des soins primaires.
Ces centres sont déjà au nombre de cinq (Pierrelatte et Bourg-de-Péage dans la Drôme, Oyonnax dans l’Ain et deux en Île-de-France, à Argenteuil et Ris-Orangis). Tous sont situés au sein de déserts médicaux, soit ruraux (Auvergne Rhône-Alpes), soit périurbains dans la région francilienne. Inspirés du modèle suédois expérimenté par le groupe depuis 15 ans (forfait pour la prise en charge annuelle des patients, évaluation systématique de la qualité, offre de services complémentaires via des outils digitaux), ces centres pluridisciplinaires fonctionnent ainsi sur des modes d’organisation et de financement des soins spécifiques, dérogatoires au droit commun.
Délégations maximum
Sur le plan organisationnel, tout est fait pour optimiser le temps médical. Chaque site est constitué d'une équipe à taille humaine, composée au maximum de quatre généralistes à temps plein, une infirmière de pratique avancée (IPA), une infirmière Asalée, deux assistants médicaux et deux secrétaires – tous salariés de Ramsay. « Le médecin n’est plus un soliste mais un chef d’orchestre, avance François Demesmay. Il fait ce qu’il est le seul à pouvoir faire, et délègue le reste aux infirmières, aux assistants médicaux… ».
Ce fonctionnement intégré avec des infirmiers et des assistants médicaux est cadré par des protocoles « maison », validés par l'ARS, ce dont se félicite la Dr Marie Ouairy, 36 ans. La généraliste, auparavant remplaçante en libéral, a rejoint le centre de Pierrelatte dès 2022. « Chaque infirmier a ses propres spécificités, explique la médecin. Nous pouvons leur déléguer de nombreuses tâches ».
De fait, l'infirmière Asalée, spécialisée dans la prise en charge des patients diabétiques, effectue « des consultations d'éducation thérapeutique sur l'alimentation ou le sevrage tabagique », témoigne la Dr Ouairy. Quant à l'IPA, elle accompagne les patients dans leur parcours de soins. « Pour un patient diabétique stabilisé, témoigne Céline Berges, le médecin n'a pas besoin de le revoir tous les trois ou six mois, puisque je me charge de faire le point sur les consultations obligatoires chez les spécialistes, de vérifier les bilans biologiques ou de renouveler les traitements ».
Régulation et soins non programmés
Face à l'afflux de patients sans médecin traitant (3 700 pour un territoire de 13 000 habitants), l'équipe a innové. Les infirmiers peuvent assurer en amont du médecin une première consultation grâce à des formulaires spécifiques pour chaque premier patient. « Le médecin effectue ensuite la consultation avec un dossier médical comportant déjà des informations hiérarchisées, c'est un gain de temps considérable », se félicite la Dr Ouairy.
Le centre de Pierrelatte a aussi créé des consultations d'urgence avec trois créneaux de deux à trois heures par semaine par médecin. Pour chaque demande transférée par le secrétariat, l'infirmière qui assure ces créneaux régule les appels. Si la demande doit être prise en charge dans la journée, c'est aussi une infirmière qui se charge de prendre les constantes et de réaliser des examens complémentaires. Le médecin se concentre sur l'examen clinique. « Je ne fais que de la médecine », commente la Dr Ouairy.
6 000 à 8 000 euros net pour 40 heures
L'autre innovation majeure concerne le mode de financement par capitation. Comme les autres sites, le centre de Pierrelatte perçoit de l'Assurance-maladie un forfait annuel par patient, défini en fonction de l’âge, du profil et des pathologies. « Une trentaine d’euros par an pour un jeune homme en bonne santé. Environ 400 euros par an pour une femme de 85 ans diabétique et insuffisante cardiaque par exemple », indique le groupe privé. Cette rémunération forfaitaire permet au centre de salarier son équipe et de dégager du temps pour la prévention et l’éducation thérapeutique, la prise en charge des pathologies chroniques, tout en réduisant la charge administrative.
De l'avis des intéressés, ce modèle intégré et forfaitisé contribue à améliorer les conditions d’exercice dans ces zones déficitaires. Les généralistes des centres urbains sont rémunérés 6 000 euros net par mois et ceux en zones rurales de 7 000 à 8 000 euros pour 40 heures de travail par semaine. Le groupe Ramsay reconnaît prendre un risque en finançant ces centres à perte pour l'instant. Mais, assure François Demesmay, « on veut démontrer que ces centres sont pérennes et permettent d'impulser une nouvelle façon de travailler ».
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