En quête de médecins, les départements jouent leur propre partition

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Publié le 21/06/2024
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Bourses, cabinets itinérants, salariat, plateformes digitales… Face à la dégradation de l’accès aux soins, les collectivités territoriales se retroussent les manches et s’engagent dans des politiques volontaristes locales. Sans attendre les décisions de Paris.

Face aux nombreux départs en retraite des médecins de ville, les collectivités se mobilisent

Face aux nombreux départs en retraite des médecins de ville, les collectivités se mobilisent
Crédit photo : GARO/PHANIE

Dissolution oblige, le ministre délégué à la Santé, Frédéric Valletoux, a annulé sa venue aux Assises nationales de l’accès aux soins, qui se sont tenues le 13 juin à Vendôme (Loir-et-Cher). L’enjeu est pourtant très sérieux : selon une étude réalisée par l’institut Quorum* en préparation de ces assises, le renoncement aux soins des Français atteint un seuil critique. Ils sont 67 % à déclarer avoir reporté ou renoncé à des soins médicaux, et même davantage parmi les patients atteints de maladies chroniques.

Les raisons sont connues. En premier lieu figure le manque de disponibilité des médecins, cité par 58 % des répondants. Viennent ensuite les délais d’attente, souvent supérieurs à deux mois, pour un rendez-vous avec un spécialiste (55 %). Ce motif de renoncement est très marqué auprès de la jeune génération, qui l’évoque à 71 %. Leur découragement peut se comprendre puisqu’il faut, en moyenne, près de trois mois pour décrocher une consultation chez un dermatologue, deux mois et demi pour un ORL ou deux mois pour un gynécologue. Le motif financier de renoncement concerne, lui, quatre Français sur dix (deux tiers des répondants ayant été confrontés, au moins occasionnellement, à des dépassements d’honoraires chez un médecin spécialiste). « Cette situation est le résultat de la politique conduite pendant cinquante ans. Ce n’est pas étonnant qu’on soit dans une situation aussi catastrophique », a commenté le Pr Patrick Diot, doyen de la faculté de médecine de Tours, lors des Assises.

Prêts à taux zéro et guichet unique

Alors que la suppression du numerus clausus actée en 2020 ne donnera pas d’effet avant plusieurs années, de nombreuses collectivités locales ont pris le taureau par les cornes, même si la santé n’est pas dans leur champ de compétences. « La moitié des départements ont choisi de conduire des politiques volontaristes pour mailler correctement leur territoire et faire face aux énormes besoins », a estimé Philippe Gouet, président du conseil départemental du Loir-et-Cher.

Même si chacun s’accorde à dire que l’argent ne règle pas tout, le levier des incitations financières continue à être actionné pour favoriser l’installation des médecins, voire d’autres soignants libéraux (infirmiers, kinés). Ainsi, de très nombreux plans santé locaux prévoient des bourses aux étudiants et aux internes (en contrepartie d’une installation de quelques années), des bonus à la primo-installation mais aussi souvent des aides au logement, des prêts à taux zéro ou encore des subventions à la formation à la pratique avancée.

En zone rurale, la création et l’extension des maisons de santé sont souvent accompagnées de façon professionnelle. Plusieurs départements misent désormais sur une agence d’attractivité, « guichet d’entrée unique » pour prospecter les forces vives et accompagner les soignants dans leur installation. « En deux ans dans le Loir-et-Cher, il y a eu 69 installations dont un tiers de médecins généralistes, spécialistes et dentistes et un tiers de kinés », a confié Karine Gourault, directrice de l’agence Be LC. Au premier trimestre 2024, 15 installations se sont concrétisées. Dans l’Indre, « 110 professionnels se sont installés », ajoute Marc Fleuret, président du conseil département. Mais aussi quatre généralistes en Lozère.

La télémédecine fait partie de la panoplie

De façon plus originale, dans le Cher, où 236 communes sur 287 n’ont plus de médecin, le plan Cher Santé propose la création d’un cabinet médical itinérant pour sillonner le secteur à la rencontre des administrés sans médecin traitant. À bord, un généraliste et un chauffeur, tous deux salariés du département, se déplacent dans les communes où les patients doivent faire plus de 20 km pour trouver un généraliste. « Cela permet de renforcer les actions de prévention », souligne Jacques Fleury, président du conseil départemental du Cher.

La télémédecine fait partie de la panoplie. Dans le Grand Est, trois départements (Meuse, Haute-Marne et Meurthe-et-Moselle) ont déployé un maillage de cabinets de télémédecine dans les zones les plus reculées de la région. Ces passerelles digitales sont connectées en réseau, d’après un modèle testé grandeur nature sur 15 sites (pharmacies, cabinets infirmiers, maisons de santé, Ehpad, etc.) installés dans la Meuse. Pour pallier les réticences de certains patients à être soignés à distance, un infirmier ou un pharmacien « téléassistant » épaule la téléconsultation. En trois ans, près de 5 000 consultations en visio ont été effectuées avec plus de 80 professionnels de santé.

Paris aux avant-postes de la délégation des tâches

En Saône-et-Loire, le conseil départemental est allé beaucoup plus loin, en salariant les médecins à grande échelle. Sous l’impulsion de son président, André Accary, un centre départemental de santé multisite a été créé en janvier 2018. La structure embauche des médecins et les répartit sur le territoire dans différentes antennes. « Nous sommes partis du constat que 50 % des généralistes allaient partir à la retraite, avec un taux faible d’installation », a rappelé André Accary, qui n’a cessé depuis d’expliquer et de populariser cette stratégie. Le bilan ? 80 médecins salariés dans 31 lieux de consultation départementaux, qui accueillent la population sur place ou en téléconsultation. « J’avais fait cela un peu dans l’illégalité car le département ne pouvait pas salarier les médecins. Désormais, nous sommes reconnus d’utilité publique », se réjouit l’élu.

Dans les territoires déficitaires en médecins, d’autres édiles plaident plutôt en faveur d’une accélération des délégations de tâches avec d’autres soignants, comme les infirmiers en pratique avancée (IPA). Mais cette solution, qui fait son chemin politique, se heurte souvent, sur place, aux réticences du corps médical. Les départements peuvent alors compter sur le soutien de Paris. « Le transfert de tâches et le partage des compétences sont une pierre angulaire de l’organisation des soins de demain », a confirmé, lors des assises de Vendôme, le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président de l’Ordre national, favorable à ces évolutions. « Mais cette approche doit se faire dans un parcours de soins coordonné avec le médecin traitant. » Une vision partagée par Daniel Guillerm : « On peut être une partie de la solution aux difficultés d’accès aux médecins », a ainsi réaffirmé en écho le président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI) lors des derniers Contrepoints de la santé. La dernière personne en date à avoir poussé pour donner davantage de prérogatives aux paramédicaux n’est autre que Frédéric Valletoux, grand militant de la délégation de tâches pour contrer les déserts médicaux. Fin avril, le ministre a jeté un pavé dans la mare en soutenant la création d’une « consultation infirmière ». L’une de ses dernières propositions avant le grand chambardement des législatives.

*Enquête réalisée en ligne par l’institut Quorum du 2 au 7 mai 2024, selon la méthode des quotas, auprès d’un échantillon de 1 000 répondants représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus

Loan Tranthimy et François Petty

Source : Le Quotidien du Médecin