Santé des médecins

Fumées chirurgicales et particules virales : un risque qui émerge en salle d’opération

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Publié le 16/10/2024
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L’utilisation de bistouris électriques expose le personnel de bloc opératoire à des fumées contenant des polluants organiques, anorganiques et de l’ADN viral ou bactérien. À ce jour, il n’existe que peu ou pas de surveillance spécifique des personnels exposés, mais heureusement les salles d’opération sont équipées de systèmes de filtration de l’air.

Le Collectif Inter-Blocs entend faire reconnaître les risques liés à l'inhalation des fumées chirurgicales

Le Collectif Inter-Blocs entend faire reconnaître les risques liés à l'inhalation des fumées chirurgicales
Crédit photo : BURGER / PHANIE

Début 2024, le Collectif Inter-Blocs a annoncé la mise en place d’une nouvelle action juridique afin de faire reconnaître les risques liés à l'inhalation des fumées chirurgicales et de faire indemniser les soignants qui y sont exposés (2 000 euros par année d'exercice effectif en bloc). Dans une publication de 2015, la Société française d’hygiène hospitalière (SF2H) parlait d’un danger similaire à celui du tabac (fumées, particules fines etc.) [1]. La société savante recommandait déjà de mettre en place des systèmes de traitement d’air, de limiter le nombre des personnes présentes dans les blocs opératoires, de respecter un temps minimal entre chaque intervention…

Que s’est-il passé depuis cette recommandation ? Il y a effectivement eu un développement des systèmes de traitement d’air, mais parallèlement on a noté une disparition progressive des sas d’entrée dans les salles d’opération (qui limitaient l’entrée de polluants et étaient aussi utiles pour éviter l’aérobiocontamination).

Tous les types d’interventions n’exposent pas au même risque de contact avec des fumées

Polluants biologiques

D’où proviennent ces fumées chirurgicales et quels sont les risques associés ? Une thèse de pharmacie de 2022 nous éclaire sur le sujet (2). Tous les types d’interventions n’exposent pas au même risque de contact avec des fumées. Outre l’utilisation des bistouris électriques, la colle chirurgicale et les composants en plastique ou matériaux composites peuvent causer des irritations des voies respiratoires. Dans l’air des salles d’opération, on peut aussi détecter la présence de polluants biologiques tels que des cellules intactes, des fragments de cellules (parfois cancéreuses), des cellules sanguines, fragments d’ADN viral (de virus tels que le VIH, l’HBV, l’HPV). Des bactéries provenant de fumées de laser ont même pu être cultivées : Bacillus subtilis, Staphylococcus aureus, mycobactéries, dont Mycobacterium tuberculosis. Le diamètre moyen des particules dépend de la nature de l’énergie utilisée sur les tissus : électrocoagulation (< 0,1 µm), laser (0,3 µm) et scalpels à ultrasons (0,35 à 6,5 µm).

Gène ORL et respiratoire

Le risque sur la santé de l’exposition aux fumées chirurgicales est une notion récente. Même si des chiffres alarmants sont donnés dans certaines sources, le lien de causalité entre fumées chirurgicales et maladies respiratoires n’est pas formellement prouvé. On sait néanmoins que 43,7 % des personnes travaillant en salle d’opération présentent des symptômes ORL ou respiratoires qu’ils mettent en lien avec les fumées et que 58,3 % se plaignent de gêne olfactive.

Plus préoccupante, la transmission virale lors d'interventions chirurgicales est un risque potentiel pour le personnel du bloc opératoire et cette question s’est posée en particulier dans le contexte pandémique du Covid. En effet, l'ADN viral peut être aérosolisé que ce soit pendant les procédures chirurgicales ouvertes ou laparoscopiques. Parmi ces risques de transmission virale, celui lié au papillomavirus reste le plus documenté et le plus décrit dans la littérature en particulier du fait de l’utilisation croissante de lasers dans le traitement des infections à HPV. La question d’une éventuelle transmission du VIH ou du VHB au cours de procédures entraînant une forte aérosolisation s’est posée dans les années 1990. Mais aucun cas n’a été formellement décrit. En 2020, au plus fort de la première vague de Covid, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) recommandait un renforcement de l’aération des locaux et de la maintenance des systèmes de ventilation/climatisation (en particulier de leurs filtres).

Des normes depuis 2013

C’est surtout en raison de la présence dans les fumées de polluants organiques (en particulier des hydrocarbures aromatiques comme le benzène et le toluène, de l’acide cyanhydrique, de l’aldéhyde formique et des hydrocarbures aromatiques polycycliques) ainsi que des polluants inorganiques (comme du dioxyde de carbone, du monoxyde de carbone, des oxydes de soufre et d’azote, de l’ammoniac) que des mesures de protection de la santé des personnels ont été mises en place. Outre le port de masques, des systèmes de filtration d’air équipent toutes les salles d’opération (en participant par ailleurs à la prévention de l’aérobiocontamination). La norme NFS 90-351 de 2013 (3) précise les exigences de sécurité sanitaire pour la conception, la construction, l’exploitation, la maintenance, le contrôle et l’utilisation des installations de traitement et de maîtrise de la qualité de l’air dans les établissements de santé, détaille la SF2H.

Les soignants des blocs opératoires sont-ils désormais bien protégés ? On peut en douter : à ce jour, en France, aucun programme de prévention spécifique n’est appliqué en routine. Aucune surveillance médicale préventive n’est mise en place visant spécifiquement le dépistage des maladies liées aux fumées chirurgicales.  

(1) Qualité de l’air au bloc opératoire et autres secteurs interventionnels. Recommandations SF2H de 2015.

(2) Serville C. Risques liés aux fumées chirurgicales : état des lieux des connaissances et moyens de prévention au bloc opératoire. Thèse Faculté de Pharmacie de Grenoble 2022.

(3) https://www.sf2h.net/k-stock/data/uploads/2018/04/Avis_2018_02_SF2H_Tra…


Source : Le Quotidien du Médecin