À défaut de ministre de la Santé, Thomas Fatôme, directeur général de la Cnam, s’est prêté volontiers au jeu des questions-réponses durant près de 2 h 30, devant les adhérents de la CSMF, réunis à Saint Malo ce week-end pour les 30e Universités du syndicat.
Trois mois après la signature de la convention par cinq syndicats de médecins libéraux (CSMF, MG France, Avenir Spé-Le Bloc, SML, FMF), la pression est quelque peu retombée pour le patron de la Cnam. Même si la situation de la branche maladie reste exsangue, son objectif est désormais de convaincre les médecins de se mobiliser pour réussir sur le terrain cet accord qui s’applique « déjà » avec les mesures concernant les assistants médicaux. Prochaine grande étape le 22 décembre avec les premières mesures tarifaires emblématiques (G à 30 euros et APC à 60 euros).
Pas d’engagement individuel opposable
De fait, le choc d’attractivité réclamé un peu plus tôt par le président de la CSMF dans son discours d’ouverture, « c’est maintenant », a recadré Thomas Fatôme. « L’Assurance-maladie a investi massivement. On a fait une convention riche et ambitieuse mais elle ne réussira que si chacun s’empare de son contenu », a prévenu le DG.
Une façon de rappeler aux médecins que leur responsabilité est engagée pour respecter le contrat. Même si cet accord ne comporte aucun engagement individuel opposable, les objectifs partagés fixés en termes d’accès aux soins ou de permanence des soins seront analysés. « Les engagements collectifs ne sont que la somme des engagements individuels, a mis en garde le DG. Tous les résultats seront publiés. La responsabilité est lourde et pour tout le monde. C’est un défi collectif de la médecine libérale, des partenaires conventionnels ». Faute de quoi, « l’imagination des parlementaires est légitime pour dire qu’il faudra abandonner le médecin traitant », a-t-il mis en garde.
Pour soutenir ce déploiement, un calendrier de travail a été décidé avec les syndicats. Dès décembre, l’élaboration du cahier des charges pour les équipes de soins spécialisés (ESS), puis l’installation de l’observatoire de l’accès aux soins, ainsi que celui sur la pertinence et la qualité des soins, seront des jalons forts pour suivre l’évolution des indicateurs.
APC et visites à domicile, des irritants
Malgré cette feuille de route toute tracée, plusieurs cadres de la CSMF n’ont pas caché pas leur impatience. Sur les revalorisations, le Dr Bruno Perrouty, président de la branche des spécialistes de la CSMF, a pressé la Cnam de rouvrir le chantier pour certaines disciplines cliniques. « Les spécialistes ont accepté que la médecine générale soit favorisée car l’accès aux soins est une priorité. Il n’en demeure pas moins que certaines spécialités cliniques sont encore insuffisamment aidées comme l’allergologie », a prévenu le neurologue de Carpentras.
Autre point dur : les modalités de l’ouverture très encadrée de l’APC (acte ponctuel de consultant), un dossier qui avait cristallisé les tensions avec les généralistes. « Ne souhaitez-vous pas que l’APC soit ouvert comme un acte de référence de l’expertise médicale des spécialistes ? », s’est interrogé le Dr Perrouty. « Il faut des règles claires pour savoir comment cela peut se construire. Ce sont des chantiers pour des prochains mois », a évacué le DG.
Autre revendication source de crispation dans la salle : la visite à domicile. « C’est un loupé de cette convention car on n’arrive pas à résoudre la problématique du maintien à domicile », a taclé le Dr Luc Duquesnel, président de la branche généraliste. Aujourd’hui, cet acte est valorisé 36,50 euros contre 60 euros pour une visite longue et complexe. « On mettra ce sujet en discussion. Mais quel que soit le niveau de revalorisation, est-ce que les médecins auront du temps pour se réinvestir dans la visite à domicile ? Il y a un principe de réalité qui est la démographie médicale ? », a observé Thomas Fatôme. Sur cette question, la Cnam préfère accompagner la visite coordonnée entre le médecin et l’infirmier. « Ce n’est pas toujours facile de synchroniser les pratiques, a admis Thomas Fatôme. Mais la ressource humaine (les effectifs d’infirmiers : NDLR) est davantage au rendez-vous ».
Au-delà des revendications tarifaires, des cadres ont soulevé les imperfections liées au dispositif des assistants médicaux. La nouvelle convention a certes simplifié et amélioré les aides financières. Mais certains confrères ont pointé du doigt leurs « difficultés » pour atteindre les objectifs réclamés (passage d’un contrat de tiers-temps à mi-temps, conciliation entre la hausse de la patientèle sans une baisse de la file active par exemple). Là aussi Thomas Fatôme s’est montré ouvert mais ferme. « Je regarderai la situation de chacun mais je ne lâcherai pas sur les deux leviers de patientèle/file active car nous avons besoin que les médecins prennent plus de patients ».
Arrêts de travail, ça coince
Les échanges jusque-là cordiaux sont montés d’un cran sur les arrêts de travail. Visiblement la campagne de contrôle des IJ auprès des généralistes est souvent mal perçue sur le terrain. Au micro, le Dr Jean-Daniel Gradeler, secrétaire général adjoint de la CSMF Lorraine, a témoigné du malaise. « J’ai très mal vécu la commission de pénalité sur les IJ (…) j’avais l’impression d’être devant un tribunal d’exception. C’était traumatisant ». Ses propos ont été appuyés par le Dr Luc Duquesnel, chef de file des généralistes. « J’ai vécu la même chose. Quand des médecins sortent en pleurs devant la commission de pénalité en expliquant qu’ils peuvent se faire massacrer s’ils refusent un arrêt de travail, c’est cette souffrance qu’il faut aussi entendre, sinon c’est de la maltraitance ».
Thomas Fatôme a assumé la stratégie de contrôles en la justifiant par des chiffres. Les indemnités journalières (IJ) pèsent de plus en plus lourd dans le budget de la Sécu (16 milliards d’euros), et pourraient représenter encore 1,5 milliard d’euros supplémentaires cette année. Si 60 % de cette croissance s’explique par des facteurs économiques et démographiques, 40 % de la hausse reste inexpliquée. « C’est 600 millions d’euros. Est-ce que c’est tenable ? Il faut s’emparer du sujet et nous devons avoir un débat serein », a plaidé Thomas Fatôme.
Pour calmer le jeu, le Dr Franck Devulder a rappelé deux propositions de la CSMF. Celle de travailler avec le patronat pour avancer sur les arrêts de travail de courte durée « dont on sait tous que le bien-être au travail est un facteur déterminant ». Concernant les arrêts longs, au-delà de la durée recommandée par la HAS, « nous appelons au rôle que devraient jouer les médecins conseils de l’assurance maladie ». Une intervention applaudie par les cadres, plutôt satisfaits de cet échange nourri avec le patron de la Sécu.
Et l’Optam pour tous ?
La question de l’extension de l’Optam pour tous les médecins y compris de secteur 1 (option de pratique tarifaire maîtrisée), avec la participation des complémentaires, est revenue sur le tapis. « Est-ce que c’est un gros mot ? », a lancé le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. Sur cette demande récurrente, la position de Thomas Fatôme n’a pas changé. « Offrir des espaces de liberté tarifaire aux médecins voudrait dire un reste à charge supplémentaire pour les assurés. Mon objectif est de continuer dans les tarifs opposables, d’avoir un secteur 1 attractif et un secteur 2 avec un Optam attractif ».
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