C’est une enquête* inédite de l’Union régionale des professionnels de santé médecins libéraux Grand Est (URPS ML), qui témoigne de la capacité des médecins spécialistes libéraux de la région à réorganiser leur pratique et leur exercice pour améliorer l’accès aux soins des patients.
« Ces difficultés, notamment pour la médecine spécialisée sont une réalité. Mais nous avons la sensation d’être toujours mis en cause, comme si nous ne faisions rien ! , explique la Dr Anne Bellut, dermatologue, vice-présidente de l’URPS ML et coauteure de cette étude (avec le Dr Thierry Bour, ophtalmologue). On nous oppose toujours des arguments qui ne sont pas fondés. À savoir nous ne recevons pas de nouveaux patients et que nous ne nous installerions que dans les grandes villes. Mais en réalité, beaucoup de choses sont mises en œuvre par les médecins spécialistes eux-mêmes. »
Premier enseignement : près de 44 % des spécialistes sondés exercent sur au moins deux sites différents, révèle l’étude, ce qui témoigne d’une « réelle mobilité géographique » et donc de la volonté de s’emparer de la problématique des déserts médicaux. Une autre idée reçue est battue en brèche. Si la majorité (57 %) des répondants déclarent exercer dans les agglomérations de plus de 100 000 habitants, « une part non négligeable des spécialistes (18 %) est installée dans des agglomérations de moins de 20 000 habitants », peut-on lire.
Autre tendance forte des spécialistes, surtout chez les plus jeunes : l’implantation majoritaire de l’exercice en cabinets de groupe. Selon l’URPS, près des trois quarts des spécialistes de moins de 40 ans (71 %) travaillent dans ce type de structures « qui permettent de mutualiser certains moyens ». Les confrères plus expérimentés hésitent encore à sauter le pas puisque seulement 43 % des plus de 50 ans déclarent exercer dans un cabinet de groupe.
Des habitudes de travail qui évoluent
Plus significatif, huit médecins spécialistes sur dix – toutes générations confondues – , déclarent avoir modifié leurs habitudes de travail ces cinq dernières années. « Ce qui témoigne d'une réactivité face à l'augmentation de la demande », insiste l’URPS. Ainsi, plus des deux tiers des spécialistes proposent désormais la prise de rendez-vous en ligne, de scores encore plus élevés dans les cabinets de groupe.
L’embauche de personnel et de ressources humaines est une autre réalité d’exercice qui tend à se généraliser. Près des deux tiers (63 %) des spécialistes ont ainsi recruté un secrétariat médical pour améliorer l'accueil et la gestion administrative. Une proportion beaucoup plus faible (16 %) a recruté un assistant médical. À ce sujet, de façon surprenante, « seulement la moitié de ces assistants bénéficie actuellement d'un contrat aidé par la CPAM », souligne l’URPS. Bonne nouvelle pour la Cnam, le principe des assistants médicaux séduit particulièrement les moins de 40 ans (25 % d’embauches, 84 % de contrats aidés). En parallèle, 23 % des spécialistes ont fait évoluer le métier d'un de leurs secrétaires précisément vers celui d'assistant médical, montrant leur volonté de valoriser les compétences de leur personnel.
L’étude précise que l’externalisation croissante de tâches non médicales (plus fréquente en cabinet de groupe) et le travail avec des libéraux de santé non-médecins (20 %) permettent de déléguer certaines tâches et de se concentrer sur le cœur de métier.
Plages horaires plus flexibles
Autre enseignement fort portant sur les pratiques et les horaires : les spécialistes de cette région ont un recours croissant aux outils numériques, en parallèle des recrutements et sous-traitances, ce qui illustre une flexibilité accrue. La très grande majorité d’entre eux (78 %) ont ainsi adapté leur agenda en ligne pour répondre aux demandes urgentes de leurs confrères de premier recours et aux besoins non programmés de leurs patients. « Ceci s’est traduit par une hiérarchisation des consultations et une différenciation des délais en fonction du caractère d’urgence des demandes », insiste l’URPS ML.
L’étude précise que la moitié des spécialistes sondés a accru le délai de suivi entre deux consultations pour les pathologies chroniques « afin de libérer du temps pour de nouveaux patients ». D’autres stratégies sont évoquées comme le transfert de certains actes techniques, le travail aidé ou la coopération interpro.
L’enquête dévoile aussi qu’un quart des médecins spécialistes répondants (et même 28 % des moins de 50 ans) exercent dans un site de consultation secondaire, notamment dans les zones où l'offre médicale est moins dense. Ces sites secondaires « sont majoritairement éloignés de 15 à 45 minutes du site principal ; une distance plus longue étant plus difficile à gérer par le médecin car empiétant trop sur le temps médical ».
Loin d’être figée, la médecine libérale spécialisée apparaît sur le chemin de l’adaptation aux défis
Dr Thierry Bour, coauteur de l’étude
La téléconsultation et la télé-expertise concernent désormais respectivement 45 % et 32 % des spécialistes répondants (mais avec des volumes globalement assez faibles, voire épisodiques).
Au chapitre des bémols, l’étude de l’URPS montre que l’immense majorité des médecins spécialistes (81 %) ne disposent pas d'un agrément de terrain de stage officiel. Ce qui n’empêche pas une proportion non négligeable de praticiens (19 %) de recevoir des internes, docteurs juniors ou assistants de médecine. « Loin d’être figée, la médecine libérale spécialisée apparaît sur le chemin de l’adaptation aux défis et aux besoins croissants de la population. Ces transformations vont cependant devoir être accompagnées aux plans conventionnels et réglementaires », avance le Dr Thierry Bour, co-auteur de l’étude.
L’enquête, diffusée aux médecins spécialistes par e-mail, a recueilli 238 réponses, soit un taux de participation en ligne de 18,8 % par rapport aux mails consultés. 79 % des répondants sont des libéraux exclusifs.
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