LE QUOTIDIEN : Vous venez de signer un avenant à l’accord-cadre interprofessionnel (Acip) qui prévoit d’expérimenter des équipes de soins coordonnés avec le patient (Escap). Combien visez-vous d’équipes ?
SÉBASTIEN GUÉRARD : Aucun objectif chiffré n’a été fixé. Nous avons depuis longtemps soutenu ces équipes dites Escap, première marche de l’exercice coordonné. En ville, des libéraux y sont déjà impliqués, sans aucune formalisation ! L’expérimentation permettra de savoir si les soignants joueront le jeu. Les discussions ont été longues avec la Cnam qui craignait une forme de concurrence avec les équipes de soins primaires (ESP) ou les maisons de santé. Pour nous, c’est complémentaire. L’ESP avance sur un projet de santé, avec une équipe fixe, alors que l’Escap, plus légère, se coordonne autour d’un besoin spécifique du patient avec les professionnels qu’il choisit.
Quel est son fonctionnement ?
Le principe est simple. Un professionnel de santé libéral identifie chez un patient une des quatre situations cliniques complexes fixées dans l’avenant [patients polypathologiques chroniques de plus de 65 ans, diabétiques sous insuline, patients ayant fait un AVC et hospitalisés il y a moins d’un an, patients en soins palliatifs, NDLR]. Il se connecte à une application mobile pour évaluer le besoin de coordination en remplissant la grille d’inclusion prévue. Si le patient ciblé est éligible, le soignant prend contact avec les autres libéraux de santé préalablement désignés par le patient afin de créer l’équipe de coordination, qui doit être composée a minima de trois professionnels dont obligatoirement le médecin traitant. Pour les patients sans médecin traitant, l’équipe préconstituée d’infirmiers, de kinés, pourrait par exemple se faire connaître auprès des généralistes du secteur. Nous faisons confiance à la dynamique du terrain.
La rémunération proposée n’est guère incitative…
Il est prévu une aide forfaitaire de 100 euros par an pour chaque professionnel dès l’acquisition et l’usage de l’outil numérique et 100 euros par an dès son implication dans cinq Escap a minima. Par la nature des pathologies visées et des critères d’inclusion, la cible de cinq équipes par an est infiniment facile à atteindre pour certaines professions comme les médecins, les pharmaciens, les biologistes.
En revanche, pour d’autres métiers comme les sages-femmes, les pédicures podologues, les orthoptistes, ce sera plus difficile. Un avenant, c’est un compromis. Les partenaires conventionnels ont prévu une clause de revoyure au bout de 18 mois pour revoir les critères d’éligibilité à la rémunération afin d’inciter l’adhésion des professionnels.
L’outil de partage efficace des informations est-il prêt ?
Notre dispositif de coordination est basé sur une application mobile qui permet justement aux acteurs de partager les informations entre eux. Jusqu’à présent, chaque région a créé sa propre appli. L’UNPS a proposé un cahier des charges à respecter pour rendre les applis interopérables avec les logiciels métiers. Quatre ou cinq éditeurs, tels que Cegedim, Paymed, Globule, Entr'Actes, sont prêts à se lancer.
L’UNPS veut faciliter le développement des dispositifs d’avance de frais. Pourquoi poussez-vous le tiers payant ?
Le chantier du tiers payant avec les complémentaires santé est en panne. Des freins persistent. Les patients changent plus souvent de mutuelles et nous n’avons aucune garantie de paiement, surtout pour les professionnels qui font des actes en série. L’association Inter-AMC [réunissant les complémentaires santé, NDLR] se réserve le droit de modifier les conventions de tiers payant qui les lient aux professionnels, sans qu’elles soient visées par les organisations syndicales. Nous souhaitons que cela change. Ces contrats devraient être discutés avec les syndicats avant tout ajustement.
L’UNPS propose l’instauration d’un tiers de confiance. Cela permettrait aux soignants de faire appel à un concentrateur technique chargé de vérifier s’il y a un écart entre ce qui a été facturé et ce qui a été payé par les organismes complémentaires. Ces derniers ne semblent pas avoir de problème avec cette idée, à condition de surmonter les difficultés techniques. Mais derrière tout ça, il y a une question politique. A-t-on envie de déployer les dispositifs d’avance de frais ? En signant pour la première fois l’avenant Acip, l’Unocam, qui réunit mutuelles, assureurs et institutions de prévoyance, affiche clairement sa volonté d’avancer.
Pourquoi une vaccination n’est-elle pas rémunérée de la même façon pour un médecin, un infirmier et un pharmacien ?
La lutte contre la fraude est une autre priorité. Comment comptez-vous procéder ?
Il s’agit d’élaborer avec l’Assurance-maladie une charte de bonnes pratiques pour les professionnels et les caisses primaires. Je ne remets pas en cause leurs contrôles, qui doivent veiller à la bonne utilisation de l’argent public. Mais il est hors de question que les caisses sanctionnent les professionnels sans respecter les règles et les délais légaux. Nous avons constaté que, dans certaines procédures de récupération d’indus, le remboursement a été effectué avant même que le professionnel ne reçoive la notification et fasse jouer son droit de réponse. La Cnam est favorable à cette démarche car elle a aussi identifié des problèmes.
Quel regard portez-vous sur la convention médicale qui vient d’être signée ? Est-elle à la hauteur ?
Si cinq syndicats médicaux sur six ont signé cette convention, c’est parce qu’ils l’ont sans doute trouvée équilibrée entre les avantages, les inconvénients et les revalorisations ! En tout cas, il est fondamental que la convention médiale soit enfin signée, dans ce contexte politique très instable. La dissolution décidée par Emmanuel Macron m’inquiète fortement en raison de l’incertitude à gouverner, délétère pour relever les défis d’accès aux soins. Quand on est professionnel de santé, on est attaché aux valeurs d’humanisme, au pacte social. Et certains programmes politiques nous interpellent.
Mais comment rénover le cadre conventionnel, que vous jugez à bout de souffle ?
Nous revendiquons avant tout un accord interpro qui embarque tous les sujets transversaux et oubliés comme les actes partagés. Pourquoi une vaccination, par exemple, n’est-elle pas rémunérée de la même façon pour un médecin, un infirmier et un pharmacien ? Il en est de même pour une séance de rééducation pelvienne effectuée par une sage-femme ou un kiné… Ensuite, il faudra ramener dans le giron interprofessionnel un certain nombre de sujets comme les consultations de prévention dont les tarifs ont été fixés réglementairement.
Cette rénovation vise aussi à mettre fin à l’empilement des divers accords interpro : Acip, accords conventionnels interprofessionnels signés par les maisons de santé et les CPTS. Tout devrait être rassemblé dans un seul et même accord interpro, qui chapeauterait les accords monocatégoriels qu’il faut conserver.
Faut-il aller encore plus loin sur les transferts de compétence ?
Jusqu’à la loi Rist, les soignants travaillaient en silo avec une autonomie qui n’était pas du tout adaptée à leur niveau de compétences. Pour faire face à la pénurie médicale et à l’évolution des besoins de la population, nous avons besoin de nous appuyer sur toutes les forces en présence. Donc non, cela ne me choque pas qu’on accélère le partage des compétences. Cela va dans le sens de l’histoire, des besoins, des ressources et du niveau de formation et de qualification des professionnels.
Si la négociation démarre en disant que le médecin est le chef, cela ne marchera jamais !
Comment travailler sur ce sujet sans conflit avec les médecins ?
C’est une question ardue. Depuis 1992, en dehors de la pharmacie, toutes les professions de santé décrites par le Code de la santé publique se sont construites par dérogation au monopole de l’exercice médical. Une liste d’actes a été créée pour les infirmiers, les kinés… Et en dehors de ces périmètres, on considère que c’est de l’exercice illégal de la médecine.
Or cette construction est aujourd’hui complètement anachronique. Nous devons réussir collectivement à redéfinir les contours des métiers en fonction des missions et des compétences, celles qui sont propres et celles qui sont partagées. Mais, pour construire, il faut de la volonté pour avancer autrement. Si la négociation démarre en disant que le médecin est le chef et que le diagnostic et la prescription, c’est son monopole réservé, cela ne marchera jamais ! Aujourd’hui, je pense que les généralistes ne sont pas prêts à aborder sereinement cette discussion car ils sont confrontés à une crise existentielle.
La convention introduit une expérimentation de rémunération « intégralement forfaitaire » des équipes volontaires. Une bonne idée ?
L’expérimentation de rémunération forfaitaire à l’équipe a du sens, à condition qu’elle ne soit pas intégrale. Il est nécessaire de trouver un bon équilibre entre la rémunération forfaitaire qui rétribue les actions de santé publique, de coordination et la valorisation de l’acte pour les médecins qui acceptent par exemple de voir davantage de patients. Ces deux modes de rémunération participent à l’attractivité de nos professions libérales. Je m’étonne un peu que ce sujet ne fasse pas l’objet d’une discussion interprofessionnelle en amont, tout comme pour les équipes de soins spécialisés.
Repères
2003 : Diplômé en masso-kinésithérapie au CHU de Rouen
2015-2017 : Vice-président du conseil de gestion de l’agence nationale du DPC
Depuis 2019 : Président de la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes rééducateurs (FFMKR)
2021-2023 : Président des Libéraux de santé (LDS)
2023 : Président de l’UNPS, qui regroupe 23 organisations syndicales représentatives des professions libérales de santé
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