L’offensive contre la liberté tarifaire est-elle lancée ? Par touches multiples, l’étau se resserre avec des pistes de la Cnam visant à la fois le secteur 2 à honoraires libres et l’exercice hors convention, pendant que montent les litiges autour des options de pratique tarifaire maîtrisée (Optam) et que les parlementaires planchent sur le sujet.
L’horizon s’est assombri au printemps. Le Premier ministre, François Bayrou, a confié en mai une « mission d’évaluation » des dépassements d’honoraires (coût, répartition, lieu, etc.) à deux députés, Yannick Monnet et Jean-François Rousset, dont les conclusions sont attendues en septembre. La semaine dernière, la Cnam a dévoilé dans son rapport Charges et produits, préparatoire au prochain budget de la Sécurité sociale, plusieurs mesures pour endiguer les dérives tarifaires.
Selon l’Assurance-maladie, le phénomène est inquiétant. Le montant total des dépassements facturés par les médecins, qui s'élevait à 3,5 milliards d'euros en 2019, a augmenté de 7 % par an depuis 2020, pour atteindre 4,5 milliards d'euros en 2024. « Si une hausse des dépassements a pu être activée par les médecins de secteur 2 pour compenser la perte d’activité de 2020 via leurs tarifs en 2021, puis du fait de la forte inflation de 2022 et 2023, l’accélération constatée depuis est significative », pointe le rapport de la Cnam. De surcroît, les taux d’installation en secteur 2 « restent élevés et ont globalement augmenté », s’inquiète la Caisse. Par exemple, chez ceux qui s'installent, 87 % des chirurgiens, 85 % des anesthésistes et 89 % des gynécologues-obstétriciens choisissent le secteur à honoraires libres (2024), une dynamique qui contribue à la croissance, depuis vingt-cinq ans, des effectifs de médecins spécialistes pratiquant la liberté tarifaire : 37 % en 2000 toutes spécialités, contre 56 % en 2024.
Lier le niveau de dépassement à l’expérience ?
La stratégie de la Cnam consistant à encourager les options de pratique tarifaire « maîtrisée » (Optam et Optam-ACO pour les médecins de bloc) montre ses limites : elle a certes permis de « stabiliser » la part des dépassements dans les honoraires des spécialistes en ville jusqu’en 2020 (autour de 15,5 %) mais avant que s’observe un nouveau rebond (17,1 % en 2023), qui a entraîné une hausse des taux de reste à charge des ménages. Dans ce contexte, la nouvelle convention (2024-2029) a remis à jour plusieurs paramètres techniques des contrats Optam, dans le but de développer l'activité à tarif opposable et réduire les montants de dépassement. Las, les nouveaux avenants proposés aux spécialistes concernés présentent des objectifs si contraignants que de nombreux praticiens ont décidé de ne pas les signer (lire encadré).
Si le législateur décide un jour de fermer le secteur 2 ou de le contraindre de façon forte, c’est possible puisque la loi est supérieure à la convention
Dr Philippe Cuq, président de l’Union des chirurgiens de France
Aujourd’hui, la Cnam prépare donc les esprits à une nouvelle étape : elle juge impératif d’engager, à la faveur de la révision de la nomenclature des actes techniques (CCAM), « une refonte plus conséquente du dispositif [des Optam] pour geler durablement le niveau de dépassement ». Au menu : simplification, nouveau périmètre d’éligibilité et répartition des dépenses entre régime obligatoire et complémentaires santé. La mission parlementaire précitée doit servir de tremplin « pour limiter l’impact de la liberté tarifaire ». Déjà, l’Assurance-maladie suggère de « relier davantage le niveau des dépassements et leur progression à des critères d’expérience et d’expertise ». Lesquels ? Rien n’est précisé mais une telle évolution changerait la donne. Le début de la fin du secteur 2 actuel ? Pour le Dr Philippe Cuq, président de l’Union des chirurgiens de France (UCDF), « si le législateur décide un jour de fermer le secteur 2 ou de le contraindre de façon forte, c’est possible puisque la loi est supérieure à la convention ».
La prévention, c’est aux tarifs opposables
La stratégie de la Cnam va encore plus loin lorsqu’il s’agit de prévention, « le défi de la décennie ». Le rapport Charges et produits déplore à cet égard une augmentation tendancielle des dépassements sur les actes en lien avec les dépistages organisés. C’est le cas pour le cancer du sein, où « des compléments d’honoraires sont en augmentation régulière sur les dernières années pour les dépistages individuels », passant de 9 % du montant des bases de remboursement en 2014 à 16 % en 2023 et 19 % en 2024. « Nous proposons donc d’interdire les dépassements d’honoraires pour les actes en lien avec les dépistages organisés », tranche Marguerite Cazeneuve, directrice générale adjointe de la Cnam, qui cite la mammographie, l’échographie et la coloscopie. Objectif : éviter tout renoncement à ces examens de santé publique à cause de freins financiers. « C’est une proposition dont les législateurs pourront se saisir, souligne Thomas Fatôme, DG de la Cnam. Quand on discute avec les médecins spécialisés, ce n’est pas quelque chose qui les effraie et nous voulons construire avec la profession. »
Le rapport évoque enfin la possibilité « de ne plus rembourser les prescriptions des médecins non conventionnés ». Objectif : assécher le secteur 3, considéré comme une voie de contournement incompatible avec un système solidaire. La Cnam suggère aussi d’identifier la part que représentent les pratiques non conventionnées complémentaires (médecine esthétique, sophrologie) dans l'activité globale d’un médecin et de définir des « actions de régulation forte », par exemple « un seuil pour rester conventionné ». Une telle réflexion, anticipe le Dr Franck Devulder, président de la CSMF, « ne devra pas être imposée de façon autoritaire ».
Rififi autour des avenants Optam
Le mécontentement couvait depuis des semaines. Plusieurs syndicats de spécialistes avaient alerté sur la situation de praticiens adhérents aux options de pratique tarifaire maîtrisée (Optam et Optam ACO) « affolés » par leur nouveau taux de dépassement autorisé proposé dans leurs avenants. D’où la consigne donnée aux praticiens de ne pas re-signer. La CSMF a proposé « le report de l’application des avenants au 1er janvier 2026 ». D’autant que selon le Dr Bruno Perrouty, président des Spécialistes-CSMF, « des confrères ont été informés en commission paritaire locale que les taux proposés étaient erronés au vu du gel tarifaire » (imposé de juillet à janvier pour cause de dérapage des dépenses maladie). Parallèlement, le syndicat Jeunes médecins a conduit une enquête sur l’Optam (97 répondants) qui aboutit à des résultats inquiétants : 81,4 % des praticiens estiment que l’avenant détériore leurs conditions d’exercice. Fin juin, plus des deux tiers d’entre eux ne l’avaient pas signé et 56,7 % envisageaient de quitter le dispositif ou de changer de secteur.
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