C’est un constat sans détour. Conçues comme un outil souple de coordination à l’initiative des professionnels, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) se sont multipliées depuis leur création à vive allure : d’une vingtaine en 2018 à plus de 800 en 2025. Dans son rapport d’information du 15 octobre sur la pertinence des fonds consacrés à ces organisations, les deux rapporteurs Corinne Imbert (LR) et Bernard Jomier (PS) se montrent pour le moins critiques.
Depuis 2019, les CPTS bénéficient en effet « d’un soutien opérationnel et financier important des pouvoirs publics », permettant ainsi leur forte progression qui leur confère en mai 2025 une couverture d’« une grande partie du territoire national et 82 % de la population ». Mais si leur vocation initiale, en matière d’accès aux soins, d’organisation des parcours et de prévention, reste saluée, les sénateurs constatent une réalité contrastée : « L’apport effectif des CPTS n’a jamais été réellement mesuré au niveau national », estiment-ils.
Par ailleurs, « l’implication variable des professionnels de santé dans leur CPTS est particulièrement soulignée ». Les sénateurs citent par exemple l’Union nationale des professionnels de santé (UNPS), qui reconnaît que les soignants ont en pratique du mal à s’approprier les CPTS, jugées « trop administrées et peu lisibles ». Ce faible engouement serait particulièrement marqué chez les médecins et, parfois, « accentué par la mise en place de l’accès direct [aux paramédicaux comme les IPA, NDLR] au sein des CPTS ».
Des millions d’euros sans pilotage clair
En matière de financement, les sommes versées ont été importantes. On compte 105,8 millions d’euros aux 348 CPTS signataires de l’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) en 2022, 121 millions d’euros en 2023 pour les 508 CPTS signataires (une moyenne estimée de 240 000 euros) voire 254 millions d’euros pour les 700 CPTS signataires en 2025, « dans le cas où tous les indicateurs seraient atteints ».
Des montants jugés considérables dont le suivi est « manifestement insuffisant ». Les rapporteurs regrettent « la faible connaissance des financements attribués aux CPTS et s’étonnent qu’aucun outil de pilotage de la dépense ne soit disponible à l’échelle nationale », peut-on lire dans la synthèse du rapport. D’où la recommandation des sénateurs de créer « un outil de pilotage de la dépense et d’analyse des financements alloués aux CPTS sur l’ensemble du territoire ».
De plus, bien que le dialogue de gestion (outil d’évaluation des actions) représente le principal outil de pilotage financier de l’activité des CPTS, les rapporteurs ont constaté que « les CPAM et les ARS restent trop dépendantes de la bonne relation avec les CPTS de leur territoire pour obtenir les documents nécessaires au bon déroulement du dialogue de gestion ».
Par ailleurs, dans le cadre de cette enquête, les sénateurs ont aussi noté « les limites » de certains indicateurs retenus (comptes rendus de réunion, feuilles d’émargement à une formation...) : « Trop souvent, le justificatif demandé apparaît faible : une simple mention dans le rapport d’activité d’une réunion suffit parfois à attester de sa tenue », déplorent-ils. Les parlementaires regrettent aussi de fortes distorsions entre les missions financées : « La mission “gestion de crise sanitaire” semble largement surfinancée quand d’autres, comme la mission “prévention”, paraissent sous-estimées. »

Cours de yoga, sorties en voile ou soirées théâtre
Face à une très grande liberté des CPTS dans l’utilisation des fonds, le document sénatorial pointe « le risque de mésusages des fonds » publics octroyés notamment pour des projets immobiliers, pour des salaires versés ou pour des événements conviviaux tels des cours de yoga, des sorties en voile ou des soirées théâtre, financements déjà dénoncés par une enquête menée en 2024 par l’UFML-S, syndicat qui n’apprécie guère ce principe de communautés.
Les sénateurs relèvent également que le niveau d’information dont disposent les régulateurs sur les dépenses engagées par ces organisations est « très variable ». La CPAM du Calvados rapporte ainsi, que l’une des CPTS lui adresse, depuis plusieurs années, son rapport d’activité « amputé de la partie financière ». Alors que la CPAM du Loiret estime n’avoir, en l’absence de disposition en ce sens dans l’ACI, « aucune légitimité à questionner la CPTS sur l’utilisation des deniers publics ». De fait, les rapporteurs recommandent de renforcer le cadrage national des dépenses effectuées et des rémunérations versées par les CPTS, afin d’assurer la prévisibilité des contrôles et sanctions.
Réorienter les financements vers l’action réelle
Ainsi, la négociation du prochain accord interprofessionnel (ACI) est aux yeux des rapporteurs l’occasion d’un rééquilibrage, en revoyant le périmètre des missions ainsi que les modalités de leur financement. La conduite d’une étude nationale sur le montant des dépenses effectives des CPTS sur chacune des six missions conventionnelles est aux yeux du Sénat nécessaire. Toujours dans le cadre de cette discussion, les financeurs et les organisations représentatives devront aussi aborder la question de l’augmentation de la part variable du financement des CPTS fondée sur l’atteinte d’objectifs.
Enfin, le rapport met en garde contre des financements secondaires opaques, parfois issus d’acteurs privés : « Les CPTS disposent parfois de sources de financement secondaires très diversifiées (…) notamment des laboratoires pharmaceutiques en contrepartie de formations », indique le rapport. D’où la proposition d’un contrôle systématique des sources de financement pour éviter le risque de financiarisation de ces organisations.
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