Hasard des envois postaux, le verdict est tombé pour certains « quelques heures avant Noël », se désole l'antenne départementale du Tarn de MG France par la voix de son président, le Dr Théo Combes. La raison ? Six des neuf généralistes de ce département d’Occitanie, convoqués le 7 novembre dernier devant la commission des pénalités pour sur-prescription d’arrêts de travail, font désormais l’objet d’une mise sous accord préalable (MSAP), notifiée par courrier avec avis de réception.
Mais au-delà de la date malvenue, c’est avant tout le fond de cette décision que le Dr Combes, qui participait aux audiences comme membre de la section professionnelle de la commission, ne s’explique toujours pas. « En tout, mises bout à bout, les auditions ont duré 4 heures quand même », confie le généraliste installé à Gaillac (81).
Pétition de soutien sur les réseaux sociaux
Pendant environ une demi-heure, chacun des praticiens s’est livré à « une description de l’intérieur de ce que signifie prendre en charge sa patientèle, en utilisant l’arrêt de travail comme l’acte de soin qu’il est », explicitant les contraintes fortes qui pèsent sur les prescripteurs et la difficulté de soigner leurs patients « avec des délais d’imagerie et des délais de rendez-vous auprès des spécialités qui sont de plus en plus longs », poursuit le Dr Combes.
Face à ce qu’il décrit comme un « harcèlement politico-administratif », le généraliste a fait tourner sur les réseaux sociaux, dès le 29 décembre, une pétition de soutien à ses six confrères. Moins d’une semaine plus tard, ce mercredi, elle approchait les 2 500 signatures, émanant à la fois de médecins et de patients.
Cela joue sur la relation médecin-malade et le droit des personnes
Dr Théo Combes, vice-président de MG France
« C’est un sujet qui ne laisse pas les gens indifférents, ils se sentent concernés. Cela joue sur la relation médecin-malade et le droit des personnes à avoir un arrêt maladie quand ils sont malades et aux médecins de les prescrire », argumente le Dr Combes.
Celui qui est également vice-président national de MG France n’hésite pas à parler, en la matière, de délit et de « flicage » statistique. La position de son syndicat n’est pas nouvelle et les autres centrales syndicales de médecins libéraux sont sur la même ligne. Comme l’expliquait Le Quotidien en novembre à propos d’une affaire similaire, l’Assurance-maladie (étant tenue de ne comparer que des activités comparables) « redresse » les chiffres pour parvenir à une moyenne de référence. À l’arrivée, des généralistes à patientèle atypique peuvent se retrouver accusés de prescrire un nombre faramineux d’indemnités journalières (IJ). Alors qu’ils sont en réalité dans les clous…
Algorithmes dans le collimateur
Le Dr Francis Blanc, l’un des six généralistes du Tarn faisant l’objet d’une MSAP peut en témoigner. « Selon mon dernier relevé individuel d'activité et de prescriptions (RIAP) semestriel, j’avais des arrêts de travail de 35 jours. Notre moyenne régionale étant de 30 jours, j’estimais qu’il n’y avait pas de quoi fouetter un chat », raconte le praticien septuagénaire, installé à Albi depuis 1978. « Vous imaginez ma surprise lorsque ma caisse m’indique en juin dernier que je prescris trois fois plus d’arrêts que mes confrères ». Le Dr Blanc épluche alors ses prescriptions, remonte jusqu’à 2018, et ne trouve quant à lui aucune variation significative. Il somme alors la caisse primaire de se justifier. Cette dernière lui explique que sa moyenne a été calculée par des algorithmes. Qui n’ont manifestement pas pris en compte la patientèle spécifique de ce généraliste qui exerce dans un quartier défavorisé d’Albi. « Le 5e plus pauvre de France selon l’Insee, précise le Dr Blanc. La moyenne d’âge de ma patientèle qui recouvre près de 80 nationalités est de 35 ans. Je ne pense pas représenter le médecin lambda », s’emporte le médecin de famille qui n’entend pas en rester là. Il porte l’affaire, avec son avocat, devant le tribunal administratif.
C’est très impressionnant. Vous entrez dans cette salle assez grande…
Dr Francis Blanc, généraliste albigeois placé sous MSAP
Mais pour l’heure, ce sont surtout les conséquences de ce type de procédure sur ses confrères moins aguerris qui l’inquiètent le plus. « Quand je suis passé devant la commission, je leur ai dit : “Vous ne me faites pas peur, mais peut-être que certains des plus jeunes médecins convoqués sont plus sensibles, vous risquez de les fragiliser” », se souvient le Dr Blanc.
Il faut dire que le décorum de l’audience joue, à lui seul, un rôle déstabilisant. « C’est très impressionnant. Vous entrez dans cette salle assez grande, face à des gens qui ne se présentent pas. Vous avez des écrans allumés, on n’y voit pas bien, on n’entend pas bien et on vous accuse de choses dont vous vous demandez d’où ça sort… », raconte-t-il. Pas sûr en effet, après une telle expérience, que tous les médecins auditionnés puissent ensuite continuer à exercer sereinement.
Missions, consultation et diagnostic, prescription : le projet Valletoux sur la profession infirmière inquiète (déjà) les médecins
Désert médical : une commune de l’Orne passe une annonce sur Leboncoin pour trouver un généraliste
Pratique libérale : la chirurgie en cabinet, sillon à creuser
Le déconventionnement tombe à l’eau ? Les médecins corses se tournent vers les députés pour se faire entendre