Le « choc d’attractivité libérale » avancé par la Cnam n’a pas encore convaincu. Au terme de la troisième séance multilatérale de négociations conventionnelles, jeudi, lors de laquelle la Cnam a abattu une grande partie de son jeu, les syndicats de médecins libéraux que Le Quotidien a interrogés oscillaient entre scepticisme et déception.
Calendrier et contreparties, ça coince
L’annonce immédiate du financement de la consultation de référence des généralistes (G) à « 30 euros » n’a pas eu l’effet de souffle escompté. D’abord parce que ce chiffre était déjà intégré dans tous les esprits, avant même sa confirmation. « Ce n’est pas une augmentation mais juste un maintien du revenu en raison de l'inflation », recadre la Dr Agnès Giannotti, présidente de MG France. Ensuite, parce que la Cnam n’a pas donné le calendrier d’application de cette revalorisation, qui fera partie du deal final (au même titre que l’enveloppe globale d’investissement pour l’Assurance-maladie). « Le calendrier, c’est un point de détail qui est très important », ironise la généraliste parisienne. MG France compte bien « négocier » au plus serré cet agenda d’augmentation et demander en particulier « la suppression des six mois de stabilisateurs budgétaires », système prévoyant ce délai de carence entre la publication de la convention et l'application réelle des revalorisations d'honoraires.
« Le 30 euros, c’est pour quand ? »,
Dr Franck Devulder, président de la CSMF
La CSMF réclame elle aussi la suspension de cette règle financière. « Le 30 euros, c’est pour quand ? », interpelle le Dr Franck Devulder, président de la CSMF. « Ce serait au mieux en décembre 2024 ou 2025 ? Où est le choc d’attractivité pour les généralistes ? », s’impatiente le gastroentérologue de Reims.
Du côté de la FMF, la déception est palpable. « On nous donne 30 euros… avec des engagements collectifs [de pertinence et de qualité des soins] délirants et inatteignables », s’agace la Dr Patricia Lefébure, qui a réitéré sa demande d’ouvrir le secteur 2 à honoraires libres. Pourtant, la caisse a pris soin d’exclure tout indicateur individuel opposable au profit d’objectifs collectifs (IJ, produits de santé, prescriptions non médicamenteuses, etc.).
Forfait unique, dossier complexe !
La fin de la rémunération sur objectifs de santé publique (Rosp) dans sa forme actuelle est plutôt perçue comme une bonne nouvelle par les syndicats, tant ce système était décrié. La Cnam veut en effet simplifier la rémunération forfaitaire des médecins traitants, en supprimant à la fois le forfait structure et la Rosp pour créer un « forfait médecin traitant » unique annuel, individualisé par patient, composé d'une part fixe mais aussi d’une part variable suivant l'atteinte d'objectifs de prévention (vaccins, dépistages, consultations obligatoires).
Mais là encore, il faudra bien faire ses calculs car le nouveau module forfaitaire unique remplacerait trois briques existantes de rémunération (FPMT, forfait structure et Rosp). « Est-ce que tous les montants touchés vont bien être réaffectés sur ce forfait ? C’est difficile à évaluer », commente la Dr Lefébure (FMF). « C’est un dossier très technique mais nous sommes prêts à travailler pour faire avancer ces sujets », avance la Dr Giannotti.
Les spécialistes laissés-pour-compte ?
Du côté des spécialistes – hors médecine générale – le package a clairement goût de trop peu.
La Cnam a pourtant mis sur la table des revalorisations qu’elle juge « très substantielles » pour les cliniciens au bas de l’échelle des revenus (pédiatres et psychiatres notamment mais aussi gériatres, gynécologues médicaux, endocrinologues et médecins physiques et réadaptation) afin de corriger les déséquilibres de rémunération entre spécialités. Elle propose par ailleurs d’augmenter l'avis ponctuel de consultant (APC) à 60 euros (contre 56,5 euros actuellement) et la valeur du point de travail pour les spécialités techniques concernées . « C’est totalement insuffisant, à part l’APC, il n’y a quasiment rien pour les consultations des spécialistes », estime la Dr Sophie Bauer, présidente du SML.
Le Dr Patrick Gasser, à la tête des gros bataillons de spécialistes d’Avenir Spé-Le Bloc, fulmine, très déçu des propositions de la Cnam et déplorant le « déséquilibre » entre généralistes et spécialistes. « On n’a que des miettes », avance-t-il avec une pointe d’exaspération. Selon ses calculs (non confirmés), « l’enveloppe financière allouée à la médecine générale est de 900 millions d’euros contre 350 millions pour nous ». « C’est une erreur grave, ajoute-t-il, car les marges de manœuvre en termes d’accessibilité aux soins, c'est surtout la médecine spécialisée qui pourra la donner ». Le gastroentérologue de Nantes ne s’imagine p signera pas cette convention. Or l’accord d’Avenir Spé est nécessaire pour valider la future convention.
Interrogé sur les critiques vives des spécialistes libéraux, le DG Thomas Fatôme a défendu au contraire la force de son projet. « Sur ce point, notre copie est injustement perçue comme insuffisamment ambitieuse », résume-t-il. « Equilibre, c’est le mot-clé, mais équilibre ne veut pas forcément dire égalité », recadre-t-il.
L’UFML appelle toujours au déconventionnement
Loin d’être convaincue, l’UFML-S, sévère, pointe « une séance pour rien ». « La Cnam va nous faire le coup d’une augmentation tous les cinq ans », anticipe son président, le Dr Jérôme Marty. Il invite la profession à poursuivre l’action de déconventionnement collectif, « la seule à même de provoquer de vraies négociations ».
Médecins pour demain est sur la même ligne. Non représentatif officiellement mais actif, le collectif créé sur les réseaux sociaux dénonce les propositions « indignes » et attend « un arbitrage ministériel ». Dans ce contexte compliqué, l’arrivée de Frédéric Valletoux aux manettes de Ségur n’ajoute pas à l’optimisme des libéraux.
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