Courrier des lecteurs

Notre exercice se réduit comme peau de chagrin...

Publié le 10/06/2016
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Le champ d'action du médecin généraliste se rétrécit de plus en plus. À titre d'exemple, autrefois, les généralistes faisaient les petites sutures ; vu le temps nécessaire et sa rétribution, c'est du passé. Certes maintenant, avec un kit hors de prix on a droit à une revalorisation de l'acte, mais on est tombé sur la tête ! La moindre cicatrice, c'est le risque d'un procès perdu au motif que l'on aurait dû faire appel à un spécialiste de la chirurgie esthétique ; heureusement que certains patients sont encore (in) conscients de la réalité, sinon, les généralistes n'en feraient plus du tout.

Je me souviens, il y a fort longtemps, je fus appelé vers 22 heures chez un patient artiste peintre, qui faisait une démonstration de gravure au burin à l'un de ses clients, médecin-conseil de la Sécu. Il s'était fait une petite entaille à l'index. Le médecin-conseil s'est confondu en plates excuses, arguant qu'il n'avait pas sa trousse de secours avec lui, et que donc, il ne pouvait pas recoudre ; de qui se moquait-il ? J'ai fait comme lui ; j'ai demandé au patient un rouleau de sparadrap au lieu de prendre celui que j'avais dans ma sacoche, j'ai coupé un petit bout, j'ai collé. Il n'y a pas eu la moindre cicatrice ; mais j'aurais dû sortir l'artillerie lourde, encaisser le tarif de nuit, pour faire une lettre à l'hôpital en lui faisant croire à la nécessité d'une exploration chirurgicale pour qu'il n'y ait pas de conséquences néfastes pour son métier d'artiste ; et cela aurait réconforté aussi le médecin-conseil, mais qui aurait été privé de repas.

Ce patient aurait peut-être eu des séquelles iatrogéniques hospitalières, mais alors il m'aurait félicité d'avoir reconnu mes limites, c’est-à-dire de reconnaître ne rien savoir en dehors du cadre réglementaire des référentiels applicables aux généralistes. Effectivement, les techniques utilisées en médecine générale ne sont pas enseignées par nos « maîtres », elles ne sont pas assez nobles, c'est pour cela qu'on nous affuble aimablement du titre de bobologue. Certes, c'est moins spectaculaire, c'est tout aussi efficace dans les cas simples, sinon mieux, et moins cher.

Triste programme pour attirer les futurs généralistes...

Il suffit de regarder le listing des ROSP pour comprendre à quoi se réduit réellement le rôle médical du généraliste moderne : surveillance du diabète, de l'hypertension, de la comptabilisation du dépistage des cancers gynécologiques et de la comptabilisation des vaccinations antigrippales effectuées directement par les infirmières, sans passage préalable chez le médecin. J'allais oublier : l'essentiel fumeux problème hautement médical dit de santé publique (puisqu'il est en bonne place dans les ROSP), créé de toutes pièces par les politiques, celui des génériques. Triste programme pour attirer les futurs candidats à la profession, traduisant la pauvreté de la pensée politique, donc de son discours et de son action envers ce qu'est le métier de médecin généraliste ; heureusement pour les Français qu'il y a toujours en 2016 des illuminés qui croient encore en la médecine générale, qui font fi de toutes les brimades imposées, sinon la chute du nombre des exerçants serait pour le coup en chute vertigineuse !

Car la médecine générale, c'est toutes les maladies, pas seulement l'hypertension et le diabète qui sont deux conséquences des erreurs politiques sur notre société, et dont le traitement préventif est plus du niveau politico-économique que du niveau médical. On a l'impression d'une pseudo-cécité politique avec comme unique solution, une obligation aux médecins de rafistoler les pots cassés par le politique ; ce qui bouffe les 3/4 de leur temps, mais, ça, ce n’est pas grave et sans importance.

Le « droit à la santé », une fiction aux mains d'illusionnistes

À plusieurs reprises, récemment, des voix se sont élevées, en provenance d'associations de malades, à propos de la maladie de Lyme et des séquelles jouissives chroniques dont ils sont les heureux bénéficiaires.

À leur avis, ce fameux « droit à la santé » n'est probablement qu'une fiction aux mains d’illusionnistes, car si on leur demandait, ils trouveraient sans doute plus juste que leur médecin ait une prime ROSP pour avoir diagnostiqué leur maladie avant qu'elle n'engage le processus des séquelles irréversibles, au lieu d'avoir une prime pour comptabiliser le nombre d’hémoglobine glyquée prescrit et réalisé dans l'année ; action de comptage qui ne satisfait que l'ego de l'inventeur de ce beau compteur qui n'a jamais prouvé sa moindre validité hormis celle de mettre de la suspicion entre les médecins et leurs tutelles. Outil-délire qui repose sur le concept moderne que la vérité médicale d'aujourd'hui était fausse hier, mais sera fausse demain, du fait de l'amélioration continue des connaissances, et que donc sa seule efficacité ne peut reposer que par l'obéissance aveugle sans avoir à réfléchir ni à analyser les situations individuelles.

Mais c'est une autre conception de la médecine générale qui survole très haut au-dessus des têtes décisionnelles. Quant aux malades de Lyme, et tous les autres, ils ne sont pas assez nombreux donc pas assez fort pour se faire entendre, car pas assez coûteux – ils en ont de la chance - pour les promoteurs de la santé publique ; expression à consonance collective, versus santé individuelle qui n’intéresse absolument pas le domaine politique.

Dr Yves Adenis-Lamarre, Bordeaux (Gironde)

Source : lequotidiendumedecin.fr