Les annonces en rafale sur la médecine de ville ont surpris, intervenant en pleines négociations conventionnelles entre l’Assurance-maladie et les syndicats de médecins libéraux. Dans un entretien accordé samedi depuis Matignon à plusieurs journaux de la presse régionale et au Parisien, le chef du gouvernement a exposé une batterie de mesures concernant les soins de ville, mêlant nouvelles mesures et recyclage de dispositions dans les tuyaux ou même déjà votées mais pas appliquées. Le Premier ministre a ainsi affiché sa volonté de « reconquérir 15 à 20 millions » de créneaux médicaux annuels, en simplifiant une quinzaine de procédures, si possible dès cet été. Selon Matignon, il s'agit de « répondre au souci majeur des Français : la capacité de trouver un rendez-vous dans des délais acceptables » chez le médecin.
La taxe lapin dans la poche du médecin ?
Gabriel Attal confirme et précise d’abord une mesure en réalité complexe à mettre en œuvre, la fameuse « taxe lapin » qui vise à pénaliser les patients indélicats. Ainsi, les assurés qui n'honorent pas leur rendez-vous médical (sans avoir prévenu au moins 24 heures à l'avance) devront payer une sanction de cinq euros, qui ira intégralement dans la poche du médecin concerné. La somme pourrait être retenue via l'empreinte bancaire par les plateformes de prise de rendez-vous en ligne ou par les soignants eux-mêmes, même si les modalités techniques forcément délicates restent à préciser. Point important, la pénalité ne sera pas automatique mais reste à la main du médecin qui pourra décider de ne pas l'appliquer s'il juge les raisons du patient valables (bonne foi, situation précaire, etc.). Cette mesure nécessite une loi, qui sera prochainement examinée par le Parlement (sans doute à la faveur d’un texte de la majorité), en vue d'une entrée en vigueur en janvier 2025.
Accès direct aux spécialistes et aux kinés
Au risque de remettre en cause – voire de déconstruire – l’organisation du parcours de soins autour du médecin traitant, Gabriel Attal précise qu'il va « expérimenter » à partir du mois de juin dans 13 départements (un par région de France métropolitaine) l'accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes (déjà prévu par la loi Rist mais pas appliqué), mais aussi l'accès direct à des médecins spécialistes, sans que le patient n'ait besoin de passer par un généraliste traitant. Même si les modalités restent très floues, c’est une façon de déroger au système de gradation des soins mis en place il y a 20 ans avec la loi de 2004 et la convention de 2005.
Délivrance directe des antibiotiques par le pharmacien
L'exécutif entend aussi simplifier les procédures de délivrance de certains produits. Il confirme la possibilité pour les pharmaciens de délivrer directement « dès juin » des antibiotiques pour les angines et cystites, qui génèrent jusqu’à neuf millions de consultations par an. En réalité, cette annonce n’est pas une nouveauté non plus puisque la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2024 autorise les pharmaciens à délivrer des antibiotiques sans ordonnance (pour ces deux pathologies) mais des décrets d’application font toujours défaut.
Dans le même esprit, il devrait être possible de recevoir sous conditions une nouvelle ordonnance de lunettes directement chez l’opticien.
PDS-A élargie et mutualisée
Autre pilier de l'accès aux soins : les gardes le soir (18h à minuit) et les week-ends en cabinet de ville. Aujourd'hui, 5 % des territoires ne sont toujours pas couverts, souligne Matignon. Pour que « chaque Français ait toujours un médecin de garde à moins de 30 minutes de chez lui », le Premier ministre promet une « aide financière » à tout praticien qui accepterait d'être temporairement de garde en dehors de sa zone.
Autre levier déjà évoqué, la mutualisation de cette permanence des soins ambulatoires (PDS-A) avec des non-médecins. Gabriel Attal veut demander à d'autres soignants de participer aux gardes, notamment les infirmiers, qui pourraient faire un « premier filtre », les sages-femmes ou encore les dentistes.
Si le retour de l’obligation de garde n'est pas au programme dans l’immédiat, il demeure une menace si les professionnels de santé se montrent incapables de s’organiser dans certains territoires. Lors de son discours de politique générale, le 30 janvier déjà, Gabriel Attal avait agité le spectre de la contrainte dans les départements où il n’y aurait pas de services d’accès aux soins [SAS] et de réponse opérationnelle cet été. Une pierre dans le jardin des libéraux qui ont acquis de haute lutte le volontariat au début des années 2000.
Mon Soutien Psy : des consultations à 50 euros en accès direct !
Cette fois, la décision est prise. L'exécutif va muscler le dispositif Mon Soutien psy, jugé beaucoup trop compliqué et inopérant (avec seulement 2500 psychologues inscrits). Aussi, le montant de la consultation remboursée chez le psychologue dans le cadre de ce dispositif passera de 30 à 50 euros, avec désormais 12 séances possibles par an (au lieu de huit) en accès direct, à partir de juin. Ce tarif risque de paraître en décalage avec ce qui est proposé aux médecins libéraux – y compris aux psychiatres – dans le cadre des négociations conventionnelles.
16 000 places en fac de médecine en 2027
Mesure de long terme cette fois, le gouvernement continue de pousser les murs des facultés de médecine, au risque de dépasser les capacités de formation: le nombre de places en deuxième année passera de 10 800 en 2023 à 12 000 en 2025, puis 16 000 en 2027, soit quasiment le double de carabins formés par rapport à 2017. Un effort que Gabriel Attal qualifie « d’historique ». Mais le remplacement de l'ancien numerus clausus ne commencera à produire ses effets sur la densité médicale qu'à partir de 2035.
Quant au mystérieux émissaire, chargé d’aller chercher à l’étranger des médecins qui souhaiteraient venir (ou revenir) dans l’Hexagone, sa nomination officielle devrait intervenir d’ici à juin…
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