« Que faire sur le plan politique ? Comment s’allier pour lutter ? » La Dr Sophie Bauer, présidente du Syndicat des médecins libéraux (SML), a cadré en ces termes une table ronde sur le « périmètre des métiers », lors de ses récentes Journées annuelles à La Rochelle. La chirurgienne faisait notamment allusion à l'offensive perçue en faveur de l'élargissement des compétences des pharmaciens qui provoque des remous au sein de la profession.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2024) ouvre la possibilité aux officinaux de délivrer directement des antibiotiques contre les cystites et les angines – sans passer par la case médecin – après avoir réalisé un test rapide d'orientation diagnostique (Trod). Et la présidente du SML est persuadée que les pharmaciens « ne veulent pas s’arrêter là ». Dans leur viseur, la prescription d'antalgiques de niveau 2, puisqu’ils bénéficient de « l’oreille attentive de certains politiques qui ne comprennent rien à la médecine », tacle Sophie Bauer. Jusqu’au jour où « il y aura un accident, car on aura donné des antalgiques de niveau 2 et on aura masqué une intervention nécessitant une intervention chirurgicale », met-elle en garde.
Une déclaration récente du deuxième syndicat de pharmaciens d'officine (Uspo) lui donnerait raison. Dans un communiqué, son président, Pierre-Olivier Variot appelle l'État « à autoriser et à élargir le droit de prescription » aux pharmaciens, dans certaines situations qui nécessitent « l'intervention rapide » comme dans le cas pour les soins non programmés n'impliquant pas « d'auscultation ». L'Uspo cite en effet en exemple la douleur dentaire ou les substituts nicotiniques.
Infirmiers et examens périodiques, accès direct aux IPA…
Un autre article inquiète, qui ouvre la possibilité pour les médecins du travail de déléguer sous leur contrôle aux infirmiers certains examens périodiques des salariés agricoles. Une expérimentation qui pourrait être pérennisée et généralisée. « Après avoir subventionné, éliminés les agriculteurs avec des pesticides, on ne peut même plus avoir le droit à un suivi médical remboursé par un médecin », se désole la Dr Bauer.
Son syndicat se dit également opposé à l’accès direct des infirmiers en pratique avancée (IPA) prévu par la loi Rist, persuadé que leurs deux années de formation supplémentaires seront insuffisantes pour « remplacer les médecins qui font neuf à dix ans d’études ».
Lors de la table ronde des Journées du SML, le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président de l'Ordre des médecins, s’est montré dubitatif. « Les IPA, c’est 3+2 ans (de formation, NDLR). Et encore, on parle de validation d’acquis d’expérience pour les infirmiers, donc on peut se demander ce que ces deux années seront en pratique. » Le généraliste n’est pas opposé à la valorisation des compétences infirmières, à condition qu’ils bénéficient d’une formation digne de ce nom. Mais selon l'ordinal, le parcours de soins doit rester « coordonné par le médecin », au regard de la typologie des patients « de plus en plus complexes ». Enfin, dans un contexte de pénurie médicale, le vice-président du Cnom milite pour « davantage de plasticité dans les métiers pour répondre aux besoins de santé ».
Perte de chance
Pour attaquer la problématique du partage des compétences, il convient de travailler en bonne intelligence avec les différentes professions (infirmières, pharmaciens, etc.). Le Dr Marcel Mourgues sait de quoi il parle car il avait « pris le chemin » du comité de liaison des institutions ordinales (Clio) pour avancer. Mais cette expérience s’est soldée par « un échec retentissant », notamment parce que, selon lui, « certains professionnels et représentations sont animés d’un désir de revanche sociale sur les médecins ». Or, des politiques « se laissent embobiner » par des « solutions magiques », déplore le vice-président de l’Ordre.
Généraliste à la retraite et membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, le Pr Rissane Ourabah partage cette analyse critique. Il épingle les politiques qui ont sorti les paramédicaux de leur chapeau pour résoudre la crise des déserts médicaux, directement inspirés par l’exemple des infirmiers en pratique avancée (IPA) dans des services spécialisés à l'hôpital (où des actes sont déjà délégués). Or, pour le Pr Ourabah, il n’est pas possible de dupliquer ce modèle hospitalier aux soins ambulatoires, au risque de subir une « perte de chance ». Les délégations de tâches, insiste-t-il, doivent s'opérer « dans un domaine cadré, précis, avec nécessairement un retour d’informations vers le prescripteur initial. »
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