Ce mardi 30 mai, le ministre délégué chargé des Comptes publics, Gabriel Attal, a dévoilé un vaste plan de lutte contre la fraude sociale estimée entre 6 et 8 milliards d’euros par an par la Cour des comptes, alors que l’administration parvient à récupérer à peine 1,6 milliard d’euros et envisagé la fusion de la carte Vitale avec la carte d'identité. « Notre volonté est de regarder où sont les situations de fraude et y répondre, sans stigmatisation, sans instrumentalisation », a-t-il affirmé lors d'une visite à la Caisse nationale d'allocations familiales à Paris. Le ministre se donne dix ans pour mener le chantier, avec une première étape, à savoir en 2027 pour avoir « deux fois plus de résultats qu'en 2022 ».
D'abord, Bercy souhaite s'attaquer à la fraude aux cotisations sociales, la plus fréquente, en augmentant les effectifs des Urssaf, de 60 %, soit 240 équivalents temps plein. Objectif : atteindre 5 milliards d'euros récupérés sur le quinquennat, soit un doublement des résultats entre 2022 et 2027 (1,5 milliard d'euros en 2027, contre 800 millions d'euros en 2022)
Le deuxième volet du plan se concentre sur les prestations de santé, une autre priorité en raison du montant de fraude. Selon Gabriel Attal, « dans 70 % des cas, la fraude est à l’initiative d’un professionnel de santé par surfacturation ou par facturation d’actes fictifs ». « L’an dernier, l’Assurance-maladie a détecté 300 millions d’euros de fraudes. J’ai fixé l’objectif d’atteindre 500 millions d’euros dès l’année prochaine », a-t-il indiqué.
Des signalements par les assurés
Pour mieux déceler ces fraudes, le plan ministériel prévoit ainsi que dès 2025, les Français soignés dans un centre dentaire ou ophtalmologique recevront par SMS ou un e-mail, la liste des soins facturés à l’Assurance-maladie. En cas d'incohérence, ils pourront déposer un signalement « dès la fin de l’année 2023 » sur le site de la Caisse, en cas d’usurpation d’identité ou de surfacturation de soins. « Ces signalements aideront à mieux cibler les contrôles sur les prescripteurs hors norme et les risques d’usurpation d’identité », précise Bercy dans son communiqué.
Autre action prioritaire : le contrôle des arrêts de travail dont la fraude « coûte sans doute beaucoup », a reconnu Gabriel Attal. Selon la Cour des comptes, les dépenses d'indemnités journalières (IJ) ont augmenté de 13,7 % entre 2021 et 2022, le Covid et la hausse des salaires n'expliquant pas complètement cette forte progression. Alors, pour repérer les fausses déclarations, un plan national sera lancé « dès la rentrée de septembre 2023 ». « Seront ciblés les professionnels prescrivant un nombre d’arrêts très élevé par rapport à la moyenne, et les faux arrêts de travail vendus pour quelques dizaines d’euros sur les réseaux sociaux, comme Snapchat », a répondu le ministre dans une interview au « Parisien ». Selon le locataire de Bercy, 450 cyber-enquêteurs à l’Assurance-maladie seront formés et « il y aura aussi un ciblage sur les "arrêts du lundi" lorsqu’ils sont répétitifs ».
Vers une fusion carte Vitale - CNI
Et surtout, afin d'éviter les fraudes liées aux cartes Vitale, Bercy envisage de fusionner ladite carte avec la carte nationale d'identité (CNI). Cette solution déjà effective en Belgique, au Portugal et en Suède, selon le ministre, a été suggérée dans un rapport des Inspections générales des affaires sociales (Igas) et des finances (IGF). Une idée à laquelle la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) a déjà réagi. Elle avait, en effet, été auditionnée par la mission IGF/Igas. « Sous réserve d’apporter certaines garanties », l'autorité indépendante a estimé que « le scénario visant à intégrer le numéro de Sécurité sociale dans la carte d’identité électronique constitue, parmi les scénarios envisagés, la solution la moins intrusive et la moins risquée ».
Elle n'est, en revanche, pas favorable à la création d'une carte Vitale biométrique qui poserait d'ailleurs « des difficultés en cas de délégation de la carte Vitale (par exemple son utilisation par un proche) et pourrait donc avoir des conséquences négatives pour la prise en charge de certaines personnes ». Selon l'Igas et l'IGF, « une migration du numéro de Sécurité sociale vers les titres d'identité permettrait de répondre aux fraudes à l'usurpation », tandis que l'usage de la biométrie pour la carte vitale « présenterait plus de difficultés que d'apports utiles » outre un coût « prohibitif ».
Mardi, Bercy et le ministère de la Santé ont fait savoir qu'une nouvelle mission d'inspection commune allait être « lancée très prochainement afin de travailler à la mise en œuvre technique et juridique de la fusion de la carte nationale d’identité et de la Carte vitale ». Cette mission devra dire « comment et dans quels délais c'est possible », a précisé Gabriel Attal, reconnaissant les « difficultés » rencontrées actuellement par les Français pour obtenir rapidement une carte d'identité.
Sanctions durcies
Enfin, en cas de fraude, outre le barème de sanctions financières adoptées dans le cadre du budget de la Sécu pour 2023, les professionnels de santé pourraient devoir également prochainement « rembourser les cotisations sociales prises en charge pour leur compte par l’Assurance maladie, comme les employeurs remboursent les exonérations sociales dont ils ont bénéficié en cas de travail illégal ». « Cette mesure pourrait concerner 300 dossiers par an et fera l’objet d’un article dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 », a dévoilé Gabriel Attal.
En avril dernier, l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS) avait déjà dénoncé un projet soumis par la direction de la Sécurité sociale (DSS) du ministère aux organisations syndicales. Celui-ci prévoyait « la suspension automatique de la participation de l’Assurance-maladie à la prise en charge des cotisations des praticiens et auxiliaires médicaux en cas de fraude détectée et avérée ».
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