« Que plus jamais un médecin ne soit lynché et jeté aux chiens par l’Assurance maladie ». La dureté des propos du Dr François Moriss est à la hauteur du drame qu’il a vécu. Le 10 mars 2018, ce généraliste de Hazebrouck (Nord) a tenté de mettre fin à ses jours en se tirant une cartouche de fusil de chasse dans le visage.
Aujourd’hui âgé de 62 ans, il a fait parvenir au « Quotidien » un long courrier dans lequel il explique son geste par les méthodes « cruelles » de la CPAM des Flandres qui l’avait convoqué pour évoquer ses prescriptions d’arrêt de travail. « Trois ans après ce drame, je suis totalement dépendant de mon épouse pour l’alimentation qu’elle me donne muni d’un bavoir comme un nourrisson. C’est particulièrement humiliant », écrit le Dr Moriss dont une partie de la mâchoire et du visage a été broyée.
« Je n’ose plus sortir de chez moi, je ne peux plus pratiquer ce métier auquel j’ai consacré 30 ans de ma vie, je ne sers plus à rien », confie le médecin au « Quotidien ». Dans une vidéo diffusée en ligne (voir ci-dessous), il s’est également expliqué au journal « L’indicateur des Flandres ».
« Que mon nom ne soit pas associé à celui d’un escroc »
Le 12 avril dernier, le généraliste a assigné devant le tribunal judiciaire de Dunkerque la Caisse nationale de l’assurance maladie et la CPAM des Flandres pour obtenir réparation du préjudice subi, les négociations à l’amiable n’ayant pas abouti. « La dernière proposition d’indemnisation de la caisse est très inférieure aux dommages évalués. J’ai vécu cela comme une nouvelle humiliation », explique le Dr Moriss. Il dit également vouloir « laver son honneur », que son « nom ne soit pas associé à celui d’un escroc » et faire de ce drame un exemple, « que plus jamais un confrère actuel ou futur ne vive un tel calvaire ».
Tout a basculé le 15 février 2018, jour où le Dr Moriss reçoit un appel de la CPAM d’Armentières pour fixer un rendez-vous, non pas au cabinet du médecin mais dans les locaux de la caisse, afin d’évoquer des solutions pour « diminuer le nombre d’arrêts de travail prescrits ». Surpris, le généraliste, qui n’avait été en conflit avec la caisse auparavant, demande si tous les praticiens sont concernés par cette initiative. « Non, lui répond son interlocutrice. Vous avez été taupé ! ». « J’ai immédiatement saisi la cruauté de ces termes synonymes d’escroquerie, de prise en flagrant délit », raconte le médecin qui vit cette accusation comme « un véritable coup de poignard, une remise en cause de 30 années d’exercice de la médecine ».
Harcèlement
Pendant les semaines qui suivent, le médecin ne dort plus, il est obnubilé par cette convocation. Des affiches collées dans son cabinet informent les patients qu’il devra fermer son cabinet pour honorer ce rendez-vous. Aux patients qui s’inquiètent, il répond que la caisse le « considère comme un escroc ». Le lundi 5 mars, à bout de nerfs, il décide d’arrêter ses consultations 3 jours « pensant évacuer le stress avec l’aide d’anxiolytiques et la consommation de 4 paquets de cigarettes par jour ». Sans succès. Quatre jours plus tard, la caisse lui téléphone pour lui dire de « ne surtout pas oublier son rendez-vous ». « J’ai pris cet appel comme un véritable harcèlement, écrit le Dr Moriss. Quand je raccroche, ma décision est prise. »
Le lendemain, vers 5 heures, il prend son fusil de chasse et se tire une cartouche dans la tête. Son épouse et l’un de ses fils le découvriront peu après dans son cabinet, installé à son domicile, et pourront appeler les secours qui parviendront à le sauver.
Un médecin à l’ancienne
Pour comprendre le geste du Dr Moriss, il faut se pencher sur son profil de praticien. « C’est un médecin à l’ancienne qui vit son métier comme un sacerdoce, ne prenant quasiment pas de vacances, témoigne Me Alexia Navarro, son avocate. Le fait qu’on puisse penser qu’il avait fraudé l’a profondément atteint ». Le médecin aurait vécu cette convocation comme une condamnation. « Il a tout de suite pensé qu’il allait être sanctionné, qu’il serait assimilé à un escroc », ajoute la juriste.
Pour le psychologue qui suit le Dr Moriss, le lien de causalité entre sa tentative de suicide et ses échanges avec la caisse ne fait pas de doute. Il ajoute que « le Dr Moriss ne présente aucun trouble de personnalité, d’antécédents psychopathologiques congruent avec un ou des passages à l’acte de type suicidaire ».
Contactée par le « Quotidien », l’Assurance-maladie n’a pas souhaité « commenter plus avant un dossier dont l’instruction est désormais entre les mains de la justice ». « Nous avons exprimé toute notre compassion tant au Dr Moriss qu’à sa famille », peut-on lire dans un mail envoyé au « Quotidien ».
La caisse précise par ailleurs le cadre du rendez-vous mentionné par le Dr Moriss : « Il s’agissait d’une invitation à venir échanger sur sa pratique avec un médecin-conseil tel que couramment pratiqué et non une démarche contentieuse. De plus, les relations entre l’Assurance Maladie et ce médecin installé de longue date (près de 30 ans) ont toujours été constructives. » En revanche, aucun commentaire sur les termes qui auraient été employées par le CPAM d’Armentières et qui ont déclenché ce drame.
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